Libération de Vénissieux

Notre liberté est à ce prix, cette liberté que nos aînés ont payée très cher mais dont ils nous ont finalement transmis le flambeau, ici à Vénissieux.

Vénissieux se souvient … Vendredi dernier, nous avons rendu hommage à nos aînés qui se sont battus pour la Libération de notre ville. Ne trichons pas avec l’histoire : au prix de risques insensés, de courage et bien souvent au prix de leur vie, ils ont fait ce que nous sommes. Les citoyens que nous sommes, vivant sous le modèle social du CNR et les habitants que nous sommes, héritiers de valeurs aussi fortes que le partage, la solidarité et la justice sociale. En présence de Jean Lévy* Délégué régional Auvergne Rhône-Alpes de l’association des Fils et Filles Déportés Juifs de France, Valérie Portheret, membre de l’association des Fils et Filles Déportés Juifs de France, historienne chercheuse enseignante, spécialiste des opérations de sauvetage conduites au camp de Vénissieux en 1942, les associations d’anciens combattants et le conseil municipal d’enfants. (*) qui n’a pu être présent pour des raisons de santé.

Aujourd’hui, sur le continent européen et dans bien d’autres parties du monde, des villes vivent sous une pluie de bombes et d’obus. A quoi ressemble le quotidien de leurs habitants, des familles ? A la peur, à l’angoisse permanente. Imagine-t-on ce que peuvent être la guerre, le bruit et la fureur pour un enfant ? Imagine-t-on les séquelles psychologiques, les traumatismes, les angoisses avec lesquels il devra vivre, si la guerre l’épargne, si sa famille en sort indemne.

Ce 2 septembre, alors qu’il y a 78 ans nos aînés libéraient Vénissieux du joug de l’occupant et de la France de la collaboration, il ne faut pas oublier que des populations civiles vivent des drames à l’heure même où je vous parle.

Malgré les leçons du passé, la guerre est là, toujours là, le sang coule, les drames et tragédies se répètent, les populations civiles deviennent les otages et les cibles innocentes de conflits dont elles ne sont pas responsables, et dont bien souvent elles ne veulent pas. Perdre un membre de sa famille, un ami, son appartement ou sa maison, être déraciné, réfugié, expulsé de sa propre vie, de son territoire, de ses racines, oui, il faut rappeler que l’horreur de la guerre frappe au présent comme elle a frappé dans le passé. Alors, il nous faut transmettre et transmettre encore, il nous faut ouvrir les sillons de la mémoire pour espérer semer la paix, l’entente et le respect entre les peuples.

Ce 2 septembre, la question que l’on pourrait se poser serait la suivante : à quoi ressemblerait notre ville sans le courage de ceux qui l’ont libérée en septembre 1944 ? Serait-elle animée par ce sens aigu de la solidarité et du partage ? Nul ne le sait. Mais ce que l’on peut imaginer, c’est ce mélange de joie, de soulagement et de douleurs que les vénissians ont dû ressentir et partager ce 2 septembre 44 ? Ce moment-là a dû les saisir, gravé dans tous les esprits, dans toutes les mémoires, à jamais. La joie de renouer le fil avec la liberté, la démocratie et la République. La joie de respirer, la joie d’être enfin délivré de l’occupant. La joie d’avoir fait tomber un régime de la peur, de la délation, de la soumission, de la collaboration et de la répression, le régime de Vichy, des pétainistes et de l’extrême droite française. Mais la joie devait être aussi retenue, empreinte de silences et de peines intérieures.

Car en cette fin d’été, il y a 78 ans, la ville panse ses plaies et compte ses disparus : les bombardements alliés entre mars et mai 1944 feront 29 morts, 62 blessés. 600 maisons sont à l’état de ruines ou très endommagées. Vénissieux est touchée, par les coups malheureux des forces amies, mais Vénissieux relève la tête, comme elle saura le faire tout au long de son histoire contemporaine. La stratégie du tapis de bombes fait d’énormes dégâts collatéraux. Il faut en finir avec cette guerre et l’occupation allemande. L’activité industrielle de notre ville et la prise de position de la famille Berliet qui collabore avec l’Allemagne en font une cible privilégiée. La cité Berliet est réduite à un champ de ruines.

Vénissieux est la ville du Rhône ayant le plus souffert des bombardements anglo-américains. La stratégie consiste à couper les axes de communication, du transport ferroviaire et d’affaiblir la production  industrielle de la région lyonnaise. De nombreux immeubles sont rayés de la carte, le bassin de production est touché.  L’usine Sigma est elle aussi visée. La Ville reçoit à ce titre la Croix de Guerre en 1945. C’est à Saint-Fons et à Vénissieux que le bilan des bombardements est le plus lourd : entre 12 et 20% des habitations rasées quand la commune de Lyon ne perd, entre guillemets, que 2% de ses immeubles.

Mais sur le fond, est-ce un hasard si ce 2 septembre 44 les Vénissians se sont libérés par eux-mêmes, avant l’entrée des troupes alliées dans l’agglomération lyonnaise ? N’y a-t-il pas ainsi des racines communes entre le passé et le présent, dans cette façon de vivre et d’être vénissian, de résister aux forces occupantes hier, à l’ordre établi et à l’injustice aujourd’hui ? Car une force semblait préexister.

Une force que portaient en eux des anonymes et des représentants politiques et syndicaux, des femmes et des hommes, des jeunes et des adultes, des résistances à l’ignominie de Vichy et aux milices de Pucheu. Même ceux dont l’histoire n’a pas retenu le nom ont joué un rôle capital dans la libération de notre ville. Dans la classe ouvrière, parmi les cheminots et les travailleurs, on connaît le sens du mot combat, de la lutte, on sait que rien ne s’obtient dans la passivité ni dans la résignation.

Les exemples de résistance à Vénissieux sont nombreux, des résistances qui se rejoignent entre les syndicats, les forces de gauche communistes et socialistes et les salariés. A la SIGMA, à l’ex-usine Maréchal, futur Veninov, à la Société des Electrodes, à la SOMUA, il fallait oser s’opposer à la mise en place du STO, aux ordres de réquisition, quand le préfet de région n’attendait qu’une chose : réprimer le mouvement syndical, le mouvement social. L’ancien maire destitué Ennemond Roman, sera interné à la prison Saint-Paul, Louis Dupic, futur maire transféré dans un camp du Sud algérien. Georges Roudil, secrétaire de la section communiste sera livré aux allemands et déporté au camp de Buchenwald, Charles Jeannin connaîtra l’enfer de Dachau. Les frères Amadéo, les frères Lanfranchi, Francis Paches, et tous les autres, anonymes, jeunes ou adultes ont défendu Vénissieux, la liberté et la République.

Ne trichons pas avec l’histoire : au prix de risques insensés, de courage et bien souvent au prix de leur vie, ils ont fait ce que nous sommes. Les citoyens que nous sommes, vivant sous le modèle social du CNR et les habitants que nous sommes, héritiers de valeurs aussi fortes que le partage, la solidarité et la justice sociale.

Dans des contextes plus faciles, ces valeurs-là continuent de nous habiter et de nous définir, que ce soit lors des crises économiques que nous avons connues depuis le choc pétrolier, ou plus récemment lors de la crise sanitaire. C’est la cohésion, l’organisation dans la résistance qui ont permis à Vénissieux de se libérer par elle-même. Cette leçon-là, personne ne doit l’oublier.

Bien sûr, tous les drames n’ont pas pu être évités. A quelques jours de la libération, les combattants des Groupes Francs tombaient devant la porte B Usine Marius Berliet, fusillés par les troupes allemandes qui y stationnaient. Ils s’appelaient Pierre Gayelen, Félix Gojoly, Louis Moulin, Jean Navarro, Louis Troccaz. Membre du groupe Carmagnole-Liberté, Marcel Fermigier, ouvrier à Saint-Gobain, tombe lui, ce 2 septembre 44. Mais tous ont fait esprit de corps, tous ont fait preuve de courage et d’audace, tous ont dit non aux Pétain, Laval et consorts qui fourvoyaient l’esprit de la République et trahissaient les valeurs universelles de la France.

Cette année, nous marquons les 80 ans d’un événement considérable à Vénissieux. Nous venons de le commémorer ensemble, mais j’en rappelle le contenu. Il a eu lieu dans la nuit du 28 au 29 août 1942, quelques jours à peine après la grande rafle du 26 août 42 dans le Rhône. Plus de 1000 juifs étrangers sont conduits au camp de Vénissieux, dit camp de Bac Ky. Ils sont promis à une mort certaine. Mais grâce à l’amitié chrétienne, l’œuvre de secours aux enfants, la Cimade ou encore les Eclaireurs Israélites de France, une communauté d’hommes et de femmes héroïques va changer le destin des détenus. Il y a entre autres le père Chaillet et l’abbé Glasberg, Claude Gutmann et Lili Garel, qui mène l’équipe de l’Oeuvre de Secours aux Enfants. En falsifiant les dates de naissance, en jouant sur les critères d’exemption à la déportation, au prix de risques insensés, en refusant d’appliquer les mesures administratives, ils vont exfiltrer et sauver 471 personnes sur les 1016 juifs internés, dont 108 enfants et adolescents.

Notre ville, après proposition du Conseil Municipal Enfant, vient par ailleurs d’inaugurer un espace vert au nom de Lili Garel.

« Le sauvetage de Vénissieux a changé le cours de l’histoire et freiné la déportation », déclarait dans les colonnes du Progrès en 2019 Serge Klarsfeld, avocat et historien. Et de poursuivre : « Le cardinal Gerlier a couvert l’opération. Sa rencontre orageuse avec le préfet Angeli sera suivie d’effets. Le 1er septembre 42, Laval dira aux Allemands l’impossibilité de livrer 1000 juifs chaque jour jusqu’au 31 octobre C’est un coup d’arrêt à une déportation massive ». Voilà comment un événement isolé vient dérégler et contrecarrer l’entreprise de déportation et de participation de l’État Français à l’objectif génocidaire du IIIème Reich.

Y croire, encore et toujours, même dans les périodes les plus sombres, elle est peut-être là la leçon la plus précieuse de ce 2 septembre 1944. Il n’y a pas de résistance sans espoir, pas de résistance sans la volonté de changer le monde, de refuser l’ignoble et l’infamie du totalitarisme.

Notre liberté est à ce prix, cette liberté que nos aînés ont payée très cher mais dont ils nous ont finalement transmis le flambeau, ici à Vénissieux.

Je vous remercie.    

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