80 ans de la grande rafle des juifs étrangers de la région Rhône-Alpes du 26 août 1942

Une date-clef dans l’histoire de notre ville, avec un acte de résistance qui a permis le sauvetage de 108 enfants fin août 1942

Vénissieux se souvient …En cette année du 80ème anniversaire de la grande rafle des juifs étrangers de la région Rhône-Alpes du 26 août 1942, nous étions rassemblés cet après-midi devant les plaques commémoratives du camp de Vénissieux, où plus de 1000 juifs étrangers ont été conduits. L’été 42, l’été où la France a perdu ses valeurs et son âme, l’été où l’État français a commis l’irréparable. Une date-clef aussi dans l’histoire de notre ville, avec un acte de résistance qui a permis le sauvetage de 108 enfants fin août 1942. En présence de (Jean Lévy, délégué régional Auvergne Rhône-Alpes de l’association des Fils et Filles Déportés Juifs de France)*, des associations des anciens combattants, Valérie Portheret, membre de l’association des Fils et Filles de Déportés Juifs de France, historienne chercheur enseignante, et du Conseil municipal d’Enfants.(*) qui n’a pu être présent pour des raisons de santé

Certains événements font date. Non seulement ils permettent de sauver des vies mais sèment en même temps l’espoir, brisent la spirale de la violence, marquent les esprits et agissent comme une rupture temporelle. Il y a eu un avant et un après.

Le sauvetage de 108 enfants juifs du camp de Bac Ky fait partie de ces faits historiques. Nous marquons cet été les 80 ans de l’été 42, l’été où la France a perdu ses valeurs et son âme, l’été où l’État français a commis l’irréparable : participer activement à l’entreprise génocidaire du 3ème Reich en déportant les juifs étrangers ou apatrides de France.

Après les premières déportations en 1941, Pétain, Laval et Bousquet ont engagé notre pays dans l’abject et l’ignoble. La responsabilité de l’État français est clairement établie dans la préparation et l’organisation de ces deux journées des 16 et 18 juillet 42, tragiques et impardonnables. Il n’y a aucun concours des forces allemandes. Au contraire même, auprès des autorités occupantes, et dans le cadre de la politique d’élimination des juifs d’Europe du 3ème Reich, Bousquet pratique la surenchère auprès du général Oberg. Il négocie l’impensable : la déportation des juifs étrangers en échange d’un réarmement de la police française. L’opération s’appelle, comble de l’horreur, du mépris et du cynisme, «opération vent printanier ». A l’origine, il s’agissait d’arrêter tous les juifs à Bruxelles, Paris et Amsterdam, le même jour.

Et le bilan de ces 16 et 17 juillet 42 dans notre capitale est effroyable : 12 884 personnes juives arrêtées, envoyées au Vel d’Hiv ou à Drancy, dont 4051 enfants, le plus souvent français nés de parents étrangers. On compte deux fois plus de femmes que d’hommes. La quasi-totalité des juifs déportés trouvera la mort dans les camps d’extermination, moins d’une centaine d’entre eux en reviendront.

C’est dans ce contexte terrible que le sauvetage de Bac Ky surgit, comme une lueur d’espoir dans une nuit noire. Tout au long de cette opération, rien ne tient du miracle, mais de la volonté d’hommes et de femmes qui ne peuvent pas supporter l’idée d’assassiner et décimer des familles en fonction de leur appartenance ethnique ou religieuse. Ils disent non, non à la collaboration, non à la banalité de l’horreur, non à Pétain et consorts qui détruisent les valeurs républicaines, non à la terreur et à la peur.

Car en cette fin août, le piège se referme sur les juifs étrangers de la zone libre, après l’accord de leur déportation donné par Bousquet aux autorités allemandes. C’est Bousquet lui-même qui émet l’idée auprès des autorités allemandes et de Heydrich, l’un des planificateurs de la Shoah ! Et c’est le même Bousquet qui rédigera les circulaires d’autorisation des arrestations dès août 42. Le préfet Alexandre Angeli, qui sera chargé de mener l’opération secrète dans dix de nos départements, de l’Ain jusqu’à la Savoie, a le champ libre.

Après la grande rafle du 26 août 42 dans le Rhône, plus de 1000 juifs étrangers sont ainsi conduits au camp de Vénissieux. Ce qui les attend, si tout le monde se soumet à Pétain et Laval, c’est Drancy, Auschwitz, les chambres à gaz, la mort annoncée.

L’amitié chrétienne, l’œuvre de secours aux enfants, la Cimade, croyants et laïcs réunis, une communauté d’hommes et de femmes va changer le cours de l’histoire. Gardons en tête ces noms, dont certains parmi eux auront droit au titre de Justes de France. Il y a l’abbé Glasberg, Gilbert Lesage, l’agent double du sauvetage des enfants de Vénissieux, le Père Chaillet, Jean-Marie Soutou, Charles Lederman de l’OSE avec Lili et Georges Garel, Elisabeth Hirsch. Il y a encore Madeleine Barot de la Cimade et Jean Adam, dépêché comme médecin au camp de Vénissieux qui sauvera de nombreuses vies en obtenant l’hospitalisation de nombreux internés. Ou encore l’insubordination du Général de Saint-Vincent, auquel notre ville a rendu hommage et attribué le nom d’un square en 2017. Ce dernier s’opposa à l’ordre du gouvernement de Vichy de fournir des unités de gendarmerie pour acheminer du camp de Vénissieux vers la gare de Perrache un convoi de 545 juifs étrangers, destinés à être transférés à Drancy.

En falsifiant les dates de naissance, en jouant sur les critères d’exemption à la déportation, au prix de risques insensés, en refusant d’appliquer les mesures administratives, ils vont exfiltrer et sauver 471 personnes sur les 1016 juifs internés, dont 108 enfants et adolescents.

Il y aura bien sûr de la douleur, une douleur à peine imaginable, celle des parents qui vont signer l’abandon et la délégation de paternité pour sauver leurs propres enfants. Quitter son fils ou sa fille pour qu’il ou elle reste en vie et échappe à la mort dans les camps, quelle tragédie, quel déchirement intérieur pour un père ou une mère. C’est terrible, un véritable cauchemar, mais un choix vital, un sacrifice comme dernière solution, comme ultime horizon. Oui, l’été 42 a bien été un cauchemar.

A titre personnel, je garde à ce sujet un souvenir bouleversant de ma rencontre avec une enfant sauvée du camp de Bac Ky.

Des années après, l’émotion était toujours là, vive, tranchante, inoubliable.Le sauvetage de 108 enfants juifs fin août 42 est l’une des dates-clés de notre ville. Ce n’est pas la seule bien sûr, mais comme le dit Serge Klarsfeld, l’acte de résistance « de Vénissieux a changé le cours de l’histoire et freiné la déportation, c’est en tout cas un coup d’arrêt à une déportation massive ».

Elle a donc une portée symbolique, mais aussi dans le temps, à travers les valeurs que nous faisons vivre.

Je voudrais pour finir adresser un immense remerciement à Valérie Portheret, historienne dont les travaux exceptionnels nous ont restitué une part de notre histoire vénissiane, une part de nous-mêmes.

Oui, même dans les périodes les plus compliquées, des hommes et des femmes de conviction savent se lever et dire non pour faire vivre l’espoir et croire en des lendemains de liberté et de solidarité.

Je vous remercie.   

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