Session de formation du Cidefe : « laïcité et droits des femmes »

Retrouvez ci-après l’intervention de Michèle PICARD lors de la session de formation du Cidefe, « laïcité et droits des femmes », le mercredi 30 mars 2011.

Retrouvez ci-après l’intervention de Michèle PICARD lors de la session de formation du Cidefe, « laïcité et droits des femmes », le mercredi 30 mars 2011.

Mesdames, Messieurs,

« Il y a mille manières de rassembler les hommes, il n’y en a qu’une de les unir ».

C’est à dessein que j’ai choisi cette belle définition de l’esprit de la laïcité de Jean-Jacques Rousseau. Elle est, je le crois, d’une parfaite acuité, elle est, je le crois, d’une parfaite modernité.

La laïcité est comme toutes ces choses naturelles, cet air que l’on respire sans s’en rendre compte. On a malheureusement tendance à oublier que le combat laïque est un combat qui ne nous as pas a été donné. Rousseau, Voltaire et le siècle des Lumières, 1789, la 2ème République, Victor Hugo et son fameux « je veux l’Etat chez lui et l’église chez elle », Jules Ferry et enfin la loi du 9 décembre 1905. Plus d’un siècle et demi, d’avancées puis de reculs, de réformes et de contre-réformes, pour séparer par la laïcité l’Etat de l’ordre religieux, la sphère publique de la sphère privée.

Et le combat a continué après 1905, essentiellement à travers la neutralité de l’école avec, là encore, le balancier qui hésite entre les percées des circulaires de Jean Zay et les lois anti-laïques de Vichy. La laïcité dans laquelle on vit et on régit nos rapports à l’autre, il a fallu aller la chercher, la conquérir, avant qu’elle ne devienne notre bien commun. Elle est à la fois l’esprit et le poumon de la République, car de la laïcité découlent trois valeurs clés : la liberté de conscience, l’égalité des droits, et l’universalité.

Voilà pourquoi et comment l’espace public est devenu un espace d’intelligence et de tolérance, dans lequel les croyants, les athées et les agnostiques peuvent vivre sans se déchirer, sans se mépriser, sans, tout simplement, s’entretuer, comme l’histoire des religions nous l’a malheureusement trop souvent montré. Cette perspective historique, je la crois nécessaire pour mesurer l’enjeu du débat : attaquer la laïcité, c’est attaquer la République. Ne pas la défendre, c’est mettre en danger les règles d’existence collective et d’égalité, face aux forces d’oppression ou de soumission. Ça n’est pas rien, c’est l’essence même de nos démocraties, de la Res Publica d’Athènes, du droit romain jusqu’à nos jours.

Pour fermer cette parenthèse historique, notons que les luttes pour les droits des femmes croisent l’échelle du temps de la laïcité : même inscription dans la durée, longue, à cheval sur les siècles, même fragilité. Les deux relèvent de la quête et de l’émancipation. Je citais Rousseau, Hugo ou Jules Ferry, je pourrais vous parler des ouvrières du 19ème siècle, de Louise Michel, Lucie Aubrac ou encore Simone Veil. Il y a, oui, des points communs entre la laïcité et les droits des femmes : fragilité des avancées, vigilance de tous les instants, combat permanent et perpétuel. Je dirais même que l’émancipation des femmes favorise l’émancipation de la société, ce qui raffermit encore plus le socle de la vie collective : la laïcité.

Etre maire, c’est être le sismographe du terrain, c’est être en contact direct avec les habitants, c’est vivre la laïcité au coin de sa rue. Nous sommes la première marche de la République comme nous sommes la première marche de l’espace public et laïque.

J’ouvre juste une parenthèse : affaiblir les collectivités locales comme se prépare à le faire la réforme du gouvernement, c’est donner des coups de boutoir très dangereux à la République et affaiblir les principes qu’elle porte. J’ai grandi sur le plateau des Minguettes à une époque où les replis communautaires n’étaient pas aussi aigus, à une époque où l’école publique était une priorité des politiques publiques, à une époque où l’individualisme n’était pas aussi prononcé.

Les politiques sociales menées, le communisme municipal comme on le surnomme, ont été une chance d’ouverture pour nous. Les tensions urbaines, les difficultés économiques, sociales étaient là (les étés chauds des Minguettes au début des années 80 les ont révélées brutalement), mais le vivre ensemble n’avait pas encore subi les ravages du libéralisme de ces 30 dernières années. Il y avait un horizon commun, difficile certes, mais un horizon commun aux antipodes du repli identitaire actuel. Aucune femme ne portait le voile intégral par exemple (ou n’était sommée de le porter par son compagnon, sa famille, son entourage), ça n’est plus le cas aujourd’hui. Avant de poursuivre, il ne s’agit pas de stigmatiser une religion, l’islam en l’occurrence dont la très grande majorité des pratiquants est tolérante, ni même de réduire la laïcité à ce sujet précis, mais de voir comment ici ou là c’est la République laïque qui est attaquée.

A Vénissieux, nous avons toujours été solidaires des personnels municipaux ou dans l’enseignement qui se retrouvaient dans l’incapacité d’accomplir leurs tâches. Expliquez-moi comment on travaille dans le service de l’état civil alors que la personne qui est en face de vous refuse de montrer son visage, que ce genre de problème se présente aussi à l’occasion des cérémonies de mariages. Ce sont des situations concrètes, de rupture du contrat laïque, face auxquelles le personnel se trouve désemparé.

La loi d’interdiction du port du voile intégral dans les espaces publics, qui va entrer en vigueur le 11 avril, n’est pas une loi de stigmatisation, soyons extrêmement vigilants sur ce point, mais une loi de rappel de ce qu’est l’espace public.

Une loi aussi pour les libertés individuelles de la femme, pour sa dignité, pour sa place dans la société. L’identité en démocratie, c’est le visage, un visage libre de ses émotions, de ses sentiments, mais c’est un visage. Le dérober, le dissimuler, c’est d’abord nier l’identité, le libre arbitre de la femme, et c’est afficher ostensiblement un refus d’échanges, de communications, une rupture brutale du rapport à l’autre et du rapport à la chose publique.

Je parle souvent de limites au-delà desquelles la compréhension devient une compromission, la limite de l’insupportable. En septembre dernier, la ville de Vénissieux a élevé au rang de citoyenne d’honneur, la jeune mère de famille iranienne Sakineh, condamnée à mort par lapidation pour adultère. Parce que là encore, la peine que décrète une justice patriarcale et moyenâgeuse et l’atteinte portée aux droits des femmes les plus universels sont insupportables. Le raisonnable n’est pas de se dire, « c’est une autre culture, ce sont d’autres mœurs que nos sociétés ne peuvent pas comprendre », c’est de dire non, ça dépasse le tolérable.

La laïcité, c’est justement ce garde-fou contre l’intolérance, les oppressions, les soumissions, dont les femmes, il faut bien le reconnaître tout au long de l’histoire, sont les premières victimes. Il faut de la pédagogie et de la fermeté sur ce sujet, il faut aussi tout mettre en œuvre pour intégrer socialement les différences de culture. Sortons des peurs sarkozystes, l’histoire de la France, c’est l’histoire de ses diversités. L’histoire de la France, c’est l’histoire d’une terre d’accueil. Une mosquée turque voit le jour sur le sol vénissian. Les choses avancent, en étroite collaboration avec l’Etat, le Grand Lyon, les associations turques, et créent bien évidemment les réactions épidermiques du Front National. Elles avancent dans le bon sens, avec la certitude que ce projet cultuel et culturel favorisera le vivre-ensemble et le vivre en bonne intelligence, chacun avec ses différences.

En tant que maire femme, nous pouvons aussi faire bouger les lignes différemment. Les différences de cultures, le poids des traditions et les représentations hommes-femmes, notamment par rapport à la notion de pouvoir, font que les regards portés sur les femmes élues ne sont pas les mêmes. L’approche et les discussions changent également, et ça peut contribuer à ouvrir d’autres horizons, à nourrir un autre dialogue.

A Vénissieux, la laïcité est une question centrale de notre politique. Elle est présente dans tous nos espaces publics. C’est la raison pour laquelle nous ne tenons pas à la segmenter, mais à la défendre dans toutes ses ramifications, et à appuyer toutes les actions qui la renforcent. Réduire la question de la laïcité à la seule dimension religieuse, c’est s’engager dans une mauvaise voie.

Les forces réactionnaires, populistes, xénophobes, le Front National sont des agents infectieux pour notre République laïque. Dérembourser l’IVG, comme le préconise Marine Le Pen, est aussi attentatoire pour la liberté d’une femme que d’être interdite de consulter un médecin homme par dogmes religieux abscons.

La stupidité des extrêmes, de quelque nature qu’elle soit, n’est plus à démontrer. Mais les dégâts les plus pernicieux relèvent aussi des politiques libérales menées depuis plus de trente ans. S’attaquer aussi lourdement aux services publics, c’est contribuer à l’affaissement de la laïcité et à l’effondrement du pacte républicain.

Le cœur de ma réflexion, c’est l’école, sanctuaire de la tolérance, du respect, de la transmission du savoir et de la connaissance de l’autre. C’est l’école laïque multidimensionnelle, dans les salles de classes comme dans les lieux de restauration, dans les cours de récréation comme dans les temps péri-scolaires. Sanctuaire aussi de l’égalité fille/garçon dans la formation et dans l’accès aux formations, pour en finir avec les disparités salariales (on est encore loin du compte !) et les disparités de filières, les fameux métiers féminins d’un côté et les métiers masculins de l’autre.

L’éducation à Vénissieux, c’est une ATSEM par classe, des concertations riches et permanentes avec l’Education nationale, les enseignants, les parents. C’est la défense de l’accueil des enfants de 2 ans et d’attribution de postes supplémentaires : si nous cumulons les postes budgétaires Enseignement Ecoles + Sport Jeunesse + Culture, nous atteignons la barre des 53% des dépenses de fonctionnement. Pourquoi un investissement aussi fort de notre part dans l’enfance, la jeunesse ? Parce que c’est là aussi que la question laïque, que la question des droits des femmes se jouent. Elles se jouent au présent et elles se jouent sur plusieurs générations. 40 000 postes dans l’Education Nationale ont été supprimés depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Est-ce ainsi que l’on consolide la laïcité ? Nous comptons de graves problèmes de non-remplacements de professeurs dans nos écoles et le gouvernement ne cache pas ses intentions de supprimer à terme les écoles maternelles ? Est-ce ainsi que l’on conforte la laïcité ?

La loi Carle, et les circulaires de 2007, obligent les villes à participer aux dépenses de fonctionnement des écoles privées sous contrat d’association avec l’Etat sur son territoire. Est-ce ainsi que l’on respecte la loi de 1905 et l’école de la République de Jules Ferry ? Enfin, rappelons-nous que dans son discours de Latran, Nicolas Sarkozy a prononcé cette phrase délirante, d’un autre siècle : « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur ». Est-ce ainsi que l’on veut construire une France laïque ?

Pour nous, sur le terrain, pour nous les républicains, cette destruction systématique, et écoeurante, de l’école publique amoindrit, d’une façon ou d’une autre, les actions locales que nous menons. Je n’accuse là ni les enseignants, ni les élèves, ni les associations, bien au contraire, mais l’irresponsabilité de l’Etat dans sa volonté d’atrophier, voire de privatiser, l’Education nationale.

A Vénissieux, nous travaillons au contact des jeunes sur la notion de respect filles/garçons, sur des rapports qui se sont durcis. Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec Filactions, association lyonnaise, dont les actions sont un levier pour promouvoir l’égalité entre les sexes, au sujet de ce fléau des violences conjugales. Des campagnes de sensibilisation et de prévention sur les relations amoureuses sont menées dans les collèges et lycées de Vénissieux.

Alerter, éveiller les consciences, informer pour trouver des parades, pour changer les mentalités, ce travail ne peut porter ses fruits que s’il est mené au jour le jour et dans la longévité. De même, toutes les actions et démarches entreprises dans les Equipements polyvalents jeunes (EPJ), à travers les différents ateliers, le slam, les créations théâtrales, sont autant de pierres posées sur le chemin de l’émancipation des femmes.

A travers notre Projet Sportif Vénissian, nous avons lancé en 2009 des études et enquêtes sur la pratique sportive féminine, qu’il faut démocratiser et désenclaver, dans les piscines, dans les stades, dans les équipements sportifs de notre ville. Le sport à Vénissieux, c’est le sport pour tous, sans discrimination sociale, religieuse ou sexiste. Le sport est un vecteur d’intégration, et il est de notre rôle de veiller à ce qu’il reste un socle solide et partagé du vivre-ensemble.

Tout comme dans la santé publique, dans les hôpitaux, où les sectarismes religieux n’ont pas à interférer. Le droit à la santé est un droit commun, un droit universel, pas à géométrie variable. Là encore, le droit des femmes croise le champ de la laïcité, sur un point bien précis, l’IVG, qui cristallise toujours les tensions et les régressions. L’intégrisme catholique et l’extrême droite en ont fait leur cible de prédilection, et la privatisation rampante de la santé menée par les politiques libérales l’accompagne dans ce processus d’affaiblissement.

Dans les esprits donc, ça se traduit par une remise en cause implicite de l’IVG et sur le terrain, le résultat est sans appel : je tiens à rappeler que 11 centres d’orthogénie ont fermé en France en 2010. Il n’y a pas de hasard. Espace public, école, santé : notre vigilance doit donc redoubler car, dans le temps de crise économique et morale que la France traverse, les attaques n’avancent plus masquées, elles sont délibérées, elles sont frontales, elles contaminent en profondeur les valeurs et les droits que l’on pensait universels et intemporels. Si on veut construire une société laïque, si on veut inscrire dans le temps le droit des femmes, c’est maintenant et auprès des jeunes générations qu’il faut agir, c’est en amont qu’il faut œuvrer par un travail au quotidien, sans relâche, un travail obstiné et éclairé.

Dans ce cadre, et par les temps qui courent, la laïcité a besoin d’une école publique forte et d’une neutralité de l’école, garantie, dégagée de toute pression religieuse. Elle a besoin aussi de s’appuyer sur le maillage associatif, victime des coupes drastiques de l’Etat. Entre 2006 et 2009, les subventions de l’Etat pour les associations d’aide aux victimes de violences conjugales ont baissé de 18,8%. Moins 38% pour les associations et permanences locales d’accueil, d’écoute et d’accompagnement des femmes victimes de violences.

Pour la première fois, et parce qu’il y avait urgence, la Ville de Vénissieux a accordé, à la demande du Planning familial, une subvention pour que l’association boucle son budget. L’association Filactions nous a également fait part de difficultés financières. C’est bien maille par maille que l’on détricote le pacte républicain et c’est maille par maille que l’on détricote l’espace public, livré à l’appétit du privé et à l’individualisme de survie.

Dans le prolongement de mon constat, je redoute la dévalorisation des sciences humaines, que le gouvernement méprise, que le gouvernement néglige au plus haut point. Elles sont jugées peu rentables, elles forment pourtant les esprits. Elles ne génèrent pas de profits à court terme, elles construisent pourtant l’homme tolérant de demain et d’après-demain.

Les forces qui agissent contre la laïcité sont souvent semblables à celles qui font reculer les droits des femmes. Les régressions se répandent par ondes : dans le monde du travail où les femmes subissent les temps partiels et où le démantèlement du code du travail les fragilise comme l’ensemble des salariés.

Dans la sphère privée, quand la porte se ferme et où les coups des violences conjugales pleuvent. Une femme en France meurt sous les coups de son conjoint tous les deux jours et demi.

Et dans l’espace public enfin, j’ai parlé de la négation de l’identité de la femme sous une burqa, mais il faut aussi évoquer la banalisation de la représentation de la femme dans l’imaginaire collectif, entre femme vénale et fille facile.

Je vais vous donner un exemple concret : avec le Collectif Femmes, j’ai engagé un combat politique mais aussi citoyen contre la société Sensual Clean Services, qui proposait contre paiement les services de jeunes femmes, pour venir faire le ménage en petites tenues à domicile. Nous avons eu gain de cause, la société a renoncé à ses activités, mais ce cas concret montre les glissements de valeurs de notre siècle actuel. Exploiter la misère sociale de ces femmes, ça n’est pas un jeu autour d’un fantasme, c’est une bascule, qui ferait passer de la dérision au cynisme.

A l’heure où le populisme et les replis identitaires frappent à nos portes, nous avons besoin tout autant de défendre que d’aménager la laïcité. L’espace de libre pensée, de circulation des idées et de tolérance que la loi de 1905 a su initier après tant de combats, c’est l’espace le plus précieux de la République. Cet espace est le dénominateur commun de nos différences au service du vivre ensemble. Il se défend centimètre par centimètre, il se défend au quotidien comme pour le droit des femmes, il se défend au-delà même du cercle politique, mais dans les actes de tous les citoyens.

Il a fallu le siècle des Lumières pour en arriver là. Le siècle du clair-obscur qui est le nôtre ne doit pas en triompher.

Je vous remercie.

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