Semaine d’information sur la santé mentale

Ci-après l’intervention de Michèle Picard lors de l’ouverture de la journée de réflexions, dans le cadre de la semaine d’information sur la santé mentale, organisée par le Conseil Local de Santé Mentale Vénissieux/St Fons, vendredi 18 mars 2011

Ci-après l’intervention de Michèle Picard lors de l’ouverture de la journée de réflexions, dans le cadre de la semaine d’information sur la santé mentale, organisée par le Conseil Local de Santé Mentale Vénissieux/St Fons, vendredi 18 mars 2011

Je voudrais déjà remercier les participants et professionnels de cette semaine d’information sur la santé mentale, organisée par le Conseil Local de Santé Mentale Vénissieux-Saint-Fons.

Pour la ville de Saint-Fons et pour la ville de Vénissieux, le CLSM, qui existe depuis maintenant 11 ans, est un outil très précieux. Car il permet, qui plus est en temps de crise, d’échanger des connaissances et des informations extrêmement utiles. Il décloisonne l’univers de deux mondes qui œuvrent dans le même sens (en schématisant le bien-être de la population de nos villes) mais dans des registres différents. Les acteurs du terrain social peuvent être désarçonnés lorsqu’ils sont confrontés à des situations de détresse mentale. De même, les acteurs professionnels de la santé mentale peuvent manquer d’informations relatives à l’environnement social, économique, les difficultés de logement par exemple, de leurs patients.

Ce double échange illustre la convergence qui existe entre les acteurs de la cité et les acteurs de la santé et ce double échange enrichit nos connaissances mutuelles dans nos champs respectifs. L’attention de la ville de Vénissieux dans le domaine de la santé mentale a toujours été aiguë et je me réjouis à ce titre de la prochaine implantation d’une antenne de l’Hôpital Saint-Jean de Dieu dans le bâtiment Le Corallin pour l’accueil en hôpital de jour des enfants et adolescents. En ouvrant les travaux et débats sur la place publique, il est aussi très important de lever les tabous collectifs et parfois inconscients vis-à-vis de la santé mentale.

L’image du « fou » entre guillemets, de la personne incontrôlable qui dérange l’ordre établi et dont il ne faut pas parler, est plus enracinée qu’on ne le croit dans nos sociétés. La santé mentale, ce n’est pas une tare, une honte, ça peut être un passage délicat, un choc affectif, un sentiment d’isolement, un manque de bien-être, une rupture d’équilibre que tout le monde, je dis bien tout le monde, peut connaître un jour ou l’autre. La santé mentale concerne chacun, mais ensemble : c’est le rapport à son voisinage, le rapport à la citoyenneté, le lien et la perception entre l’individu et le collectif, le je et le nous, en somme, c’est la jointure entre le champ de la santé et le champ républicain. Je parlais en introduction d’outil et de crise.

A Vénissieux, comme dans les toutes les villes populaires en France, les familles souffrent et donnent des signes de détresse préoccupants. Il y a une souffrance directe, palpable en quelque sorte. La commission de lutte contre la grande pauvreté, que nous avons créée en septembre 2008, en enregistre les effets tout en ouvrant des pistes de réflexion pour répondre plus précisément à de nouveaux besoins. A titre indicatif, en 2 ans, les aides du CCAS de la ville de Vénissieux ont augmenté de près de 30 % ! Cette fragilité économique et sociale, l’absence de perspective, la perte d’un emploi créent des angoisses, un état de stress et de mal-être quasi-permanents chez bon nombre de nos concitoyens.

On retrouve ce sentiment diffus dans les chiffres nationaux : la consommation d’antidépresseurs et de psychotropes en France est la plus élevée au monde. Plus de 5 millions de nos concitoyens en consomment, dont plus de 120 000 enfants. Autre signe qui ne trompe pas, et qui montre la nécessité d’une présence forte de la psychiatrie dans le domaine de la santé publique et de l’accompagnement : chez les 15-24 ans, le suicide est la deuxième cause de mortalité. Enfin bien sûr, plus vous vous enfoncez dans la précarité et plus les signes tangibles de détresse physique et mentale se font sentir : 69% des personnes précaires sont considérées en souffrance psychique, 39% des chômeurs déclarent souffrir d’insomnies, 22% d’entre eux sont en état dépressif. Sans parler des exclus et des laissés pour compte de notre société.

A ce sujet, les expulsions locatives des familles en difficulté ont des conséquences terribles : nomadisme urbain, conditions de vie ignobles, péril sanitaire. N’oublions pas que dans cette spirale sont entraînés de nombreux enfants. On compte en France 2 millions d’enfants pauvres, sujets à des traumatismes psychologiques, au saturnisme et décrochage aussi bien scolaire que social, à un âge très précoce. Ce sentiment de vulnérabilité, d’exclusion, s’inscrit aussi très fortement dans le monde du travail et dans les entreprises. L’équation pauvreté = fragilité mentale est dépassée. Dans le monde du travail, les souffrances augmentent elles aussi : dizaines de suicides chez France-Télécom, à Pôle Emploi, et ce chiffre significatif par le biais duquel 54% des salariés en France s’estiment stressés, angoissés, anxieux quant à l’avenir. Un européen sur 5 déclare souffrir de troubles de la santé liés au stress et au travail.

A ce chiffre, il faut ajouter les travailleurs touchés par les violences physiques, le harcèlement moral et sexuel.

Les effets du capitalisme financier sont impitoyables : les déréglementations successives du code du travail, la mise en concurrence des salariés entre eux, les méthodes de management inhumaines, gestionnaires et productivistes inaugurées dans les années 80 ont littéralement ruiné la valeur travail. Ce qui a disparu dans ce terme « valeur travail », c’est la transmission du savoir-faire entre générations, c’est l’accomplissement et l’épanouissement de l’individu au sein d’un projet collectif.

Les salariés se sentent isolés, perdus, au projet commun s’est substituée la survie individuelle. Ils sont une variable, qu’on jette, qu’on délocalise, qu’on maltraite, qu’on licencie, qu’on humilie. Avec cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête, les personnes finissent par être déstabilisées et fragilisées. En la matière, et alors qu’un projet de loi sur les soins psychiatriques est débattu à l’Assemblée en ce moment même, la dérive sécuritaire du discours de Nicolas Sarkozy ne répond pas aux vrais problèmes de fond.

La psychiatrie publique, comme la santé publique, est fragilisée par les politiques libérales menées depuis plus de dix ans. Dans les hôpitaux, les postes vacants se comptent par centaines et plus de 10 000 lits ont été fermés. Ce texte, qui part dans tous les sens avec son fond sécuritaire pour rassurer l’électorat UMP, est violemment contesté par les professionnels de la psychiatrie. Assimiler la maladie mentale à une supposée dangerosité est un raccourci de pensée démagogique, racoleur et contre-productif.

Les médecins ne veulent pas de budgets pour des aménagements carcéraux, mais des fonds publics qui subventionnent des soins, la formation des personnels et qui renforcent les effectifs. Instrumentaliser l’émotion suscitée par des faits divers dramatiques à des fins électoralistes est indécent, nul et non avenu. Tous les acteurs de terrain, qu’ils relèvent du social ou de la santé mentale, vous le diront : il faut avant tout mettre en place une conception humaine de l’accueil de la souffrance. Il serait bon et grand temps que le gouvernement écoute l’avis des professionnels de la santé.

Je vous remercie.

X