Parrainage d’enfants de parents sans papiers

Retrouvez l’intervention de Michèle Piacrd à l’occasion du parrainage d’enfants de parents sans papiers, le samedi 1er décembre dernier.

Lundi 3 décembre 2012.

Retrouvez l’intervention de Michèle Piacrd à l’occasion du parrainage d’enfants de parents sans papiers, le samedi 1er décembre dernier.

Bien sûr, l’abject est derrière nous. L’abject des quotas, l’abject de l’intitulé d’un ministère en 2007, celui de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement, qui n’avait rien de républicain. Bien sûr, la stigmatisation des immigrés, les discours de Nicolas Sarkozy, qui ont monté les français les uns contre les autres, sont derrière nous. Bien sûr, l’obsession électoraliste de l’UMP, avec cinq textes de loi sur l’immigration en 7 ans, est terminée, du moins faut-il l’espérer.

Mais la question des sans-papiers, entre 200 000 et 400 000 personnes en France, reste toujours et avant tout une question de dignité. Cette dignité, c’est celle de notre société, incapable à l’heure actuelle d’offrir un traitement humain à des populations exploitées, soumises à la précarité, au travail au noir, livrées à elles-mêmes.

Cette dignité, c’est la nôtre, c’est celle de savoir dire stop : ces conditions de vie ne sont pas acceptables ; ces familles meurtries, séparées sont l’expression d’une profonde injustice ; ces expulsions aléatoires, ces retours au pays qui peuvent être dramatiques, pour des hommes et des femmes en quête d’asile politique, ne sont pas justifiables. Heureusement qu’il y a la Cimade, heureusement qu’il y a le Réseau Éducation sans Frontières, pour nous rappeler au quotidien, que notre pays ne respecte pas tous les droits de l’homme.

Je vais prendre un exemple concret : celui des enfants. Le sort qui leur est réservé est inhumain. Avec leur père et leur mère, avec leur frère ou leur sœur, ils vivent dans la peur. La peur d’être tirés du lit au petit matin, la peur d’être arrêtés à la sortie de l’école, la peur d’être séparés de leur famille dans les centres de rétention. Le traumatisme affectif, psychologique est terrible, au point de se demander si un jour, ces enfants s’en remettront. 80% des jeunes enfants enfermés dans les centres de rétention administrative ont moins de 10 ans ! Ces chiffres heurtent nos consciences, mais pas seulement.

Ils heurtent des textes internationaux majeurs, comme la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Cette dernière n’a-t-elle pas condamné la France en janvier dernier, jugeant l’enfermement des enfants inadapté et traumatisant. Il faut que ces pratiques d’un autre temps cessent, il faut remettre de l’humanité, de la dignité et de la justice, à l’égard des sans-papiers.

La politique du chiffre et de la stigmatisation a enfin pris fin, personne ne le regrettera, mais la situation n’est pas réglée pour autant. Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, et son ministre de l’Intérieur Manuel Valls, ont pris des mesures d’urgence en mai et juillet dernier. La circulaire, relative aux étudiants étrangers, assouplit les conditions d’accueil dans les universités, et les modalités d’accès à une première expérience professionnelle. Les préfets et procureurs de la République ont également reçu instruction de ne plus recourir à la garde à vue, pour les étrangers en situation irrégulière.

Mais il n’aura échappé à personne que le gouvernement a tardé à publier une nouvelle circulaire, relative aux régularisations. Elle est tombée mercredi dernier seulement. L’ouverture de la régularisation sera permise aux familles, qui justifieront une présence d’au moins cinq ans sur le territoire français, et ayant au moins un enfant scolarisé depuis trois ans. Pour les jeunes de 18 ans, il est prévu de leur donner un titre de séjour, s’ils peuvent prouver deux ans de scolarisation « assidue et sérieuse » en France.

Enfin, en ce qui concerne les salariés, la circulaire articule des conditions de présence en France (trois à sept ans), d’ancienneté dans le travail (de 8 à 30 mois), et de travail effectif. Voilà pour le dispositif, reste à savoir comment il sera mis en place par les préfectures, sur l’ensemble du territoire. Bon nombre d’associations des droits de l’homme estiment que la circulaire ne va pas assez loin, d’autres font état de petites avancées.

J’aimerais attirer votre attention sur un point central. En matière de régularisation, il ne s’agit pas d’être naïf ni angélique, ni de l’accorder automatiquement à toute personne en situation irrégulière. Le gouvernement passe de l’absurde et de l’ignoble (les quotas et les chiffres si chers à Nicolas Sarkozy), au principe du cas par cas. Cette démarche me paraît raisonnable, dans la mesure où tous les acteurs sociaux, de l’éducation, de l’insertion et de la justice sont impliqués, écoutés et pris en compte.

Les décisions brutales et arbitraires de certaines préfectures, et l’absence de critères clairs en matière de régularisation, ont créé un climat délétère, entre délation et sentiment d’injustice, qu’il fallait arrêter. Les régularisations obéissent aussi à des principes de dignité et d’humanité, et des paramètres comme la situation de la famille, son intégration dans l’environnement, la scolarité des enfants, la volonté de franchir l’obstacle de la langue, doivent entrer en ligne de compte.

Il y a un point en revanche auquel on ne s’attaque pas assez, c’est la dimension économique du problème liée au travail clandestin. Le maintien d’une main d’œuvre dans l’irrégularité profite à des filières, à une économie souterraine et à des patrons peu scrupuleux, c’est le moins qu’on puisse dire. Travailler sans papier, qu’est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire accepter n’importe quelle offre, n’importe quel salaire, sans droit et sans aucune protection.

Vivre sans papiers, cela veut dire accepter bien souvent les logements insalubres et hors de prix des marchands de sommeil, c’est se priver de soins, c’est vivre sans statut, sans droit, c’est vivre dans l’ombre. C’est ni plus ni moins que de l’esclavagisme d’hommes et de femmes réduits au silence.

Quand je réclame plus de moyens pour la police d’investigation, afin de démanteler les réseaux et trafics en tous genres qui pourrissent la vie des quartiers, nous pouvons demander aussi à l’État plus de moyens pour l’inspection du travail, afin de démanteler les filières organisées du travail au noir. Un débat sur l’immigration économique est prévu au parlement début 2013 : il faudra s’attaquer sérieusement au cœur du problème, et afficher une volonté politique de sanctionner ceux qui tirent les ficelles de l’immigration clandestine.

Ces hommes et ces femmes sont les doubles otages et les doubles victimes d’un capitalisme cynique : exploités sans vergogne d’un côté, instrumentalisés de l’autre, pour déréglementer le marché du travail et tirer les salaires et conditions de travail par le bas. Mais ce débat devra être aussi l’occasion de rappeler aux Français, des vérités pour que cesse l’instrumentalisation de l’immigration. Lutter contre l’immigration clandestine, c’est une évidence et une nécessité, mais lutter contre les préjugés, est aussi de notre devoir.

Non, les immigrés ne prennent pas le travail des Français, ils occupent le plus souvent des emplois complémentaires, dans des secteurs en pénurie. Il faut le rappeler avec force et pédagogie, surtout en temps de crise. Oui, une étude très sérieuse, en 2010, a montré que la hausse de 10% de l’immigration entre 1962 et 1999 avait produit des richesses, et même augmenté les revenus des nationaux de 10%.

Enfin oui, l’Europe, avec pour la première fois en 2011, une population en âge de travailler en baisse, aura besoin des immigrés à court et moyen terme. Il faudra anticiper cette demande en encadrant, en accompagnant, en offrant des postes qualifiés. Ne laissons pas faire uniquement les lois du marché, elles nous mèneraient dans une impasse.

L’intégration et des politiques de co-développement éducatif, social, économique entre les pays sont obligatoires, si l’on veut agir efficacement sur les flux migratoires. C’est l’immense fossé, entre pays riches et pays pauvres, qu’il faut combler. C’est aussi par la formation dans nos pays, que l’on peut faciliter le retour des migrants vers leur terre natale, avec l’expérience acquise, avec des projets de développement au service de leur pays d’origine.

Mais pour vous, qui avez entre 15 ans et 3 ans, pour vous, 23 enfants de parents sans papiers, l’heure de la République a sonné.  En accueillant les marches des sans papiers, en réclamant une solution globale et humaine pour les roms, en luttant contre les expulsions locatives, Vénissieux se bat pour une cause universelle : vivre dans la dignité. Aujourd’hui, nous vous reconnaissons comme citoyens à part entière de notre commune, de notre pays et des valeurs profondes qui l’animent depuis le siècle des Lumières.

Par cette cérémonie de parrainages, c’est notre République, qui vous ouvre ses bras avec des droits, avec des devoirs aussi, avec l’assurance de notre protection pour garantir votre éducation, votre émancipation, votre cheminement. Notre pays renoue avec son histoire quand il sait être solidaire, généreux et juste.

Je vous remercie.

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