Libération de Vénissieux

Le deuil frappe les familles vénissianes, le vivre ensemble, la vie économique, sociale, sont à reconstruire.

Commémorer un événement historique, c’est bien sûr se souvenir, mais aussi faire un pas vers l’autre, vers les générations de Vénissians qui ont connu la guerre et résisté à la France de  la collaboration.

Comment vivaient-ils ? De quoi avaient-ils peur ? Du voisin auquel on ne prête pas confiance, des milices de Pucheu, ministre de l’intérieur de l’époque, qui traquent les syndicalistes et communistes ? Etait-il raisonnable d’affirmer ses propres convictions quand elles pouvaient vous envoyer en prison ? Fallait-il rejoindre les maquis au risque de sa vie ou se murer dans le silence ? Devait-on craindre son employeur ou être sanctionné quand on revendiquait de meilleures conditions de travail ?  La famille, les proches, les amis sont-ils en sécurité ? A quoi pensent les enfants, trouvent-ils le sommeil dans ces temps oppressants, ont-ils peur de sortir dans la rue ? Comment résister à l’effroi du bruit des bombes ? Où se cacher, s’abriter ? Trouvera-t-on de quoi manger aujourd’hui, demain, après-demain ?

La guerre, c’est la peur et c’est l’heure des choix, des choix permanents, risqués, des choix sans retour possible.

Tout peuple en guerre vit ce quotidien-là et pour notre ville et pour les Vénissians, certes en zone libre, les souffrances, douleurs et  drames ont été nombreux. Vénissieux fut, après Lyon, la ville du Rhône ayant le plus souffert des bombardements anglo-américains.

800 immeubles endommagés  et 140  totalement détruits. Des centaines d’usines sont endommagées, certaines d’entre elles rasées. Quasiment la moitié de Vénissieux est partiellement ou totalement rayée de la carte. Les bombardements alliés entre mars et mai 1944 feront 29 morts, 62 blessés. 600 maisons sont à l’état de ruines ou très endommagées. Notre ville recevra à ce titre la Croix de Guerre en 1945.

Le deuil frappe les familles vénissianes, le vivre ensemble, la vie économique, sociale, sont à reconstruire. Au cœur de ces destructions et de ce désastre, il y a néanmoins un trait d’espoir, une lueur, une volonté de se réapproprier sa propre histoire.

Les Vénissians vont s’auto-libérer, sans attendre l’arrivée des troupes alliées. Bien sûr, sans la progression de ces dernières et le pilonnage aérien à Lyon, Chambéry, Grenoble et Saint-Etienne, au printemps 44, qui annonce une victoire imminente, cette auto-libération n’aurait pas été possible. Il n’empêche, un trait de caractère vénissian, dont nous devons nous souvenir, s’exprime dans cette volonté de prendre son destin en main, de changer le cours des choses, de panser les plaies provoquées par l’ignominie du régime de Vichy.

Il est important de savoir qu’un 2  septembre 1944, sur la façade de l’ancien Hôtel de Ville, aujourd’hui maison Henri Rol-Tanguy, le drapeau tricolore a été hissé par le Comité de Libération de Vénissieux. Cet acte est le sédiment qui remonte jusqu’au temps présent, jusqu’à nous, comme un élément constitutif de l’identité vénissiane.

Faut-il voir dans les solidarités ouvrières et syndicales le ferment des résistances de notre ville pendant la seconde guerre mondiale ? Dans les usines, pour améliorer les conditions de travail et les augmentations de salaires, le combat était mené collectivement, il fallait rester soudé face à l’adversité. Les leçons de l’été 36, elles aussi, ont été retenues. C’est sous la pression des grévistes et d’un vaste mouvement social et populaire que Léon Blum et le Front Populaire généraliseront les congés payés, une mesure jugée illusoire qui ne figurait pas au programme du Rassemblement populaire. Le courage était donc dans les maquis, il était aussi dans les usines. Vivre ensemble, travailler ensemble dans les ateliers, partager ensemble des revendications et réclamer ensemble des meilleures conditions de travail forment une communauté de destin.

C’est dans cette identité collective que la résistance ouvrière de Vénissieux s’est en partie constituée.

 Il fallait être courageux pour braver des industriels à la solde de Vichy et de l’Allemagne. On pense à la famille Berliet, mais le patronat dans son ensemble s’est compromis en préférant faire tourner les affaires plutôt que de dénoncer les politiques de soumission du régime de Vichy. A la SIGMA, à l’ex-usine Maréchal, à la Société des Electrodes, à la SOMUA, oui, il fallait oser s’opposer à la mise en place du STO, aux ordres de réquisition, quand le préfet de région n’attendait qu’une chose : réprimer le mouvement syndical, le mouvement social.

Tout acte de refus s’apparentait à un acte de résistance, ils l’ont pourtant fait sans avoir peur, hommes et femmes réunis, malgré les milices de Pucheu, ministre de l’intérieur de Vichy, malgré la création des Sections Spéciales pour juger à la hâte tous ceux qui résistaient à la France de la collaboration.

Cet ordre réactionnaire et revanchard contre les acquis de la Révolution, de 1848 et du Front Populaire allait se doter des outils de répression et d’une justice expéditive pour traquer les syndicalistes, les communistes, les faire interner, voire même pour certains guillotiner ou fusiller.

Quand Vichy allait commettre l’irréparable à l’été 42, en participant activement à la déportation des juifs étrangers, apatrides, puis français, notre pays ouvrait l’une des pages les plus sombres de son histoire.  Il y a beaucoup d’exemples du pire : la rafle de la Gestapo de la colonie d’Izieu. Les 42 enfants et 5 adultes présents sont arrêtés en avril 44.  Klaus Barbie alerte les services de sécurité en France et des affaires juives de la Gestapo. 42 enfants et 5 adultes seront déportés et  assassinés à Auschwitz-Birkenau.

Mais il y a aussi des contre-exemples historiques et des résistances héroïques. On pense à cette notion de « Montagne-Refuge » au Chambon-sur-Lignon, où les habitants et paysans accueillent et cachent des réfractaires au STO, mais aussi des enfants et personnes juives. On parle de 5 000 Juifs ayant trouvé refuge à un moment ou à un autre dans la région du Chambon-sur-Lignon. Certains historiens ont une estimation d’environ 3 500 réfugiés.

L’histoire du Camp de Bac Ky à Vénissieux s’inscrit dans l’esprit de cette France des justes, de cette France qui n’accepte pas l’intolérable, cette France qui sauve des vies et retrouve ses principes.

Mettre en parallèle ces deux résistances n’est pas incohérent. « C’est l’action collective de sauvetage d’enfants juifs en France, la plus exceptionnelle de la guerre », estime Serge Klarsfeld.

Rappelons l’audace et la réalité des faits : des organisations caritatives religieuses et laïques, des membres des services sociaux d’aides aux migrants, des militants communistes fournissent des faux avis médicaux et fausses déclarations, pour éviter la déportation d’un maximum de détenus juifs, internés sur ordre du préfet de région au camp de Bac Ky. 471 personnes ont pu ainsi quitter les lieux, dont 108 enfants, qui furent emmenés en car, dans la nuit du 28 au 29 août, après que leurs parents eurent signé des délégations de paternité.

« C’est emblématique de ce qu’était notre pays à l’époque », poursuit Serge Klarsfeld, « d’un côté, un Etat associé à la politique d’extermination allemande, de l’autre, de braves gens prêts à tendre la main. Grâce à eux, les trois quarts des juifs en France ont pu être sauvés. » Puis, il conclut de la sorte : « Les livres d’histoire soulignent le tournant de l’été 1942, après les grandes rafles en zone libre.

Mais ils ne précisent pas le lieu où il s’est opéré avec le plus d’intensité : à Vénissieux. Il a fallu que Valérie Portheret mette en lumière cette opération de sauvetage et retrace le parcours de chaque enfant sauvé. » Oui, cette mémoire, l’historienne nous l’a restituée et notre ville lui en est très reconnaissante. L’impact de ce sauvetage a d’ailleurs eu une portée bien plus considérable qu’on ne le croit. Ce fut une action collective isolée, certes, mais elle a freiné la coopération policière de Vichy et ralenti par la suite les autres déportations. C’est ce souvenir, cet ancrage dans le temps présent de notre ville, que nous avons poursuivi en choisissant le nom de Lili Garel pour dénommer l’espace vert situé près de l’école Flora Tristan.

Cette résistante, au cœur de l’action du camp de Bac Ky, on la retrouvera à nouveau à Izieu avec son réseau afin de disperser et d’héberger les enfants dans des familles rurales. Elle ne parviendra pas, malheureusement, à éviter le drame final.

Cette année, nous marquons les 80 ans de la création du Conseil National de la Résistance. Sa concrétisation est l’addition de toutes les résistances sur tout le territoire. Chacun, hommes, femmes, personnalités ou anonymes, a apporté sa pierre à l’édifice. L’ancien maire destitué, Ennemond Roman, sera interné à la prison Saint-Paul, Louis Dupic, futur maire, transféré dans un camp du Sud algérien. Georges Roudil, secrétaire de la section communiste sera livré aux allemands et déporté au camp de Buchenwald, Charles Jeannin connaîtra l’enfer de Dachau. Les frères Amadéo, les frères Lanfranchi, Francis Paches, et tous les autres, anonymes, jeunes ou adultes ont défendu Vénissieux, la liberté et la République. Ceux qui sont tombés, ceux qui sont restés vivants, tous détiennent une part du CNR. Et cet héritage-là, il est désormais entre nos mains.

C’est la France libre et c’est la France d’une république sociale novatrice, ambitieuse, la France des avancées progressistes et de la sécurité sociale, du pacte collectif et de la justice sociale, une France de la solidarité, toutes ces France pour lesquelles ils se sont battus, nous devons en faire renaître l’espoir et l’idéal qu’elles incarnent.

Ne commettons pas l’erreur de croire que les résistances se conjuguent désormais au passé, elles se conjuguent au présent, comme nous le rappelait si souvent Lucie Aubrac.

Je ne finirai pas cette commémoration sans évoquer Jacqueline Sanlaville, qui aimait tant sa ville, et qui nous a quitté cet été. Militante communiste, syndicaliste, citoyenne engagée, fidèle à toutes les commémorations, elle aimait rappeler qu’elle n’aurait pas été la femme qu’elle fut sans Marguerite Carlet, membre du comité de Libération de la ville en 1944 et première adjointe. Une boucle du temps, comme le signe et le symbole de la transmission vénissiane. 

Je vous remercie.  

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