Jeudi 23 janvier 2014
Retrouvez l’intervention de Michèle Picard lors du lancement de la résidence littéraire de Laure Morati.
Aujourd’hui en 2014, la culture est en danger. Les politiques d’austérité contractent les budgets nationaux de la culture partout en Europe (j’ouvre une parenthèse, mais à quoi peut bien ressembler l’idée européenne sans la richesse culturelle qui la fonde ?). Elles la fragilisent également comme outil d’aménagement des territoires, puisque le gouvernement demande aux collectivités près de 3 milliards d’euros d’économies, pour les deux années à venir. Festivals en difficultés, associations qui ne parviennent plus à boucler leur budget, les conséquences sur le terrain risquent d’être redoutables, car les communes, régions, départements, font vivre la culture au quotidien. Sur les 10 milliards de dépense publique annuelle consacrée à la culture en France, l’État en verse 3, quand les collectivités, villes en tête, en versent 7 !
Aujourd’hui en 2014, la création est en danger, de par l’industrie qui vise à un formatage de la pensée, de par le numérique qui remet en question la notion de droits d’auteur. Sans oublier que la dématérialisation des œuvres plonge les circuits de distribution classique, (librairies, enseignes culturelles), dans d’énormes difficultés financières, ce qui modifie aussi notre propre rapport au livre, à l’objet, à l’œuvre. Dans ce contexte, la ville de Vénissieux est fière de défendre le monde de la création et de la culture, ouvert au plus grand nombre, ouvert au vivre ensemble et à la curiosité. L’Espace Pandora et la Ville sont donc heureux d’accueillir en résidence, l’auteur Laure Morali, jusqu’en avril 2014. Vous succédez à Mouloud Akkouche, auteur de polar et de pièces radiophoniques, que je tenais à féliciter chaleureusement, et dont l’investissement auprès des Vénissians ne s’est jamais démenti. Les thèmes de vos résidences respectives, « Chaque jour est un voyage » en 2013, « L’autre » en 2014, symbolisent ce passage de relais tourné vers la découverte, vers l’altérité. Partir, revenir, écrire, ou comment faire d’une devise d’écrivain, le parcours d’une vie.
Une naissance à Sainte-Foy-Lès-Lyon, des études au Québec, des poèmes, nouvelles et récits, Montréal comme centre névralgique, des voyages à travers les trois Amériques, Laure Morali n’a jamais aimé les fleuves tranquilles, à l’exception du Rhône et du Saint-Laurent peut-être… Vous avez publié le recueil « La terre cet animal » (2003), et le roman « Traversée de l’Amérique dans les yeux d’un papillon » (2010), chez mémoire d’encrier. Au sein de cette maison d’édition, vous rassemblez des auteurs amérindiens et des auteurs québécois, dans un recueil de correspondances, puis codirigez le livre disque « Les bruits du monde », avant de publier, en août 2013, « Comment va le monde avec toi ». Les Vénissians vont donc découvrir cet appel du grand large, car Laure Morali va être le fil rouge de l’Espace Pandora, en participant au « Printemps des Poètes », à la « Semaine de la Langue Française et de la Francophonie ». Il y a le travail et les projets d’écriture personnels, et puis il y a toutes ces rencontres avec des écoliers, des collégiens, et des personnes de tous âges et horizons, tout ce public auquel vous allez apporter votre expérience et votre sensibilité. Qui sait si vous n’allez pas faire naître, ici ou là, une vocation d’écrivain, ou plus simplement le plaisir de la lecture ? « Que d’autres se flattent des livres qu’ils ont écrits : moi, je suis fier de ceux que j’ai lus », disait Borges.
Entre 500 et 700 personnes sont touchées par la résidence d’un artiste, 200 ont bénéficié d’une intervention approfondie de l’auteur en 2013, et près de 80% des participants aux ateliers habitaient Vénissieux. Formidable promotion, formidable caisse de résonance, formidable initiation, formidable tribune d’une écriture qui va à la rencontre des Vénissians, formidable outil d’émancipation d’une culture du partage, d’une culture populaire, à échelle et à taille humaine. Ce travail d’investissement des uns et des autres est valorisant, et il se concrétise chaque année par la publication d’un recueil intitulé « Un an d’écrits à Vénissieux ». Les résidences, aujourd’hui celle de l’Espace Pandora, mais il y a aussi les résidences du Théâtre de Vénissieux, les résidences musicales de Bizarre, contribuent à faire sortir la création de son univers, à l’exporter, à la démocratiser, à soutenir les auteurs, voilà pourquoi la Ville y est très attachée. En mettant à disposition de l’auteur un appartement de la ville, nous tenions à renforcer ce lien de proximité, cet ancrage Vénissian. Vénissieux croit et défend la culture, elle y consacre 9% de son budget. Car c’est souvent à travers elle que se renforcent le vivre ensemble et la cohésion sociale, car c’est à travers elle que des dynamiques de quartier peuvent se mettre en marche, car c’est à travers elle que les frontières inconscientes tombent, que les mentalités changent. Avec l’Espace Pandora, avec Thierry Renard, son directeur tout juste fait officier des Arts et des Lettres, avec l’accueil, à n’en pas douter, chaleureux des Vénissians, j’espère, chère Laure Morali, que vous trouverez dans cette résidence, toutes les conditions réunies pour mener à bien votre travail personnel, et faire partager aux habitants vos coups de cœur littéraires.
Je vous souhaite la bienvenue, ici à Vénissieux, et je vous remercie.
