Journée de la Résistance.

… »Ce jour-là, il y a donc 71 ans, Jean Moulin, délégué du Général De Gaulle, et ses deux collaborateurs, Pierre Meunier et Robert Chambeiron, ouvraient une réunion qui va marquer l’histoire de notre pays. »…

Mardi 27 mai 2014.

Retrouver l’intervention de Michèle Picard à l’occasion de la Journée de la Résistance.

Cette journée nationale de la Résistance 2014 est singulière à plus d’un titre. A Vénissieux, nous la commémorons depuis des années, mais elle n’est instaurée au niveau national, tous les 27 mai, que depuis aujourd’hui même. C’est le sénat qui est à l’origine du texte de loi adopté par l’assemblée nationale, le 9 juillet 2013. Les préoccupations de la représentation nationale rejoignent les nôtres.

Je cite un extrait du texte de loi : « ce jour dédié a pour vocation la transmission et l’appropriation par chaque génération des valeurs de la Résistance, qui structurent notre société depuis plus d’un demi-siècle. Elles reposent sur la reconnaissance des droits de l’homme et des acquis de 1789, sur le refus de la capitulation et du désespoir, et plus encore, sur l’adhésion à la République dans une France libre et solidaire.»

Au cours de cette journée nationale, dans les collèges et lycées, les enseignants consacreront une partie de leurs cours à la Résistance et à la déportation. Là encore, l’initiative est bienvenue, dans le sens où je crois que les notions de transmission sont devenues un véritable enjeu de société. Je rappelle ces chiffres, moins surprenants que préoccupants : 67 % des 15/17 ans déclaraient, en 2012, ne pas avoir entendu parler de la rafle du Vel d’Hiv, et plus de 4 français sur 10. C’est à l’épreuve de cette méconnaissance que nous devons interroger nos politiques du savoir, d’éducation, et de mémoire partagée. Cette journée nationale intervient un 27 mai. Ce n’est pas un hasard bien sûr, car ce 27 mai renvoie directement à un autre, le 27 mai 1943.

Ce jour-là, il y a donc 71 ans, Jean Moulin, délégué du Général De Gaulle, et ses deux collaborateurs, Pierre Meunier et Robert Chambeiron, ouvraient une réunion qui va marquer l’histoire de notre pays. Le Conseil National de la Résistance était né. Ils sont entourés des huit grands mouvements de Résistance, des deux grands syndicats, la CGT et de la CFTC, et des représentants de six partis politiques : le PC, la SFIO, les Radicaux, les démocrates-chrétiens, l’Alliance démocratique, la Fédération républicaine. Cette réunion se tient dans la clandestinité et dans un petit appartement parisien, au 48 rue Dufour dans le 6ème arrondissement. 19 personnes autour d’une table, gauche et droite confondues, 19 personnes activement recherchées par la France de Pétain, par la France des milices, par la France qui, en cédant à l’occupant, s’est reniée et a bafoué ses principes universels : 1789, 1848, 1936. Le 27 mai 43 répond déjà à un affront, celui du 16 juin 40, le jour de tous les abandons, le jour de la formation du gouvernement de Pétain. Au cœur de l’histoire de France, le CNR incarne au plus haut point l’image de la Résistance. Il agit comme la dernière lueur d’espoir dans un monde crépusculaire : l’ignominie du 3ème Reich, les camps de la mort, la lâcheté de Vichy.

J’aime rappeler cette phrase de Primo Levi qui en dit long : « On a inventé au cours des siècles des morts plus cruelles, mais aucune n’a jamais été aussi lourde de mépris et de haine ». C’est dans ce contexte que le combat de ces hommes et de ces femmes est passé au-dessus des peurs, au-dessus du risque, au-dessus des destins individuels. Ils luttent pour une histoire plus grande que leur propre parcours : remettre la France sur le chemin du progrès, de la liberté, de la République et des droits de l’homme. Bras armé contre l’occupant et la collaboration de Pétain, le CNR est aussi le laboratoire du modèle social français. J’ai envie de dire : le CNR, c’est eux, mais le CNR, c’est aussi nous, nous qui avons eu la chance de vivre sous leur legs : sécurité sociale, système des retraites par répartition, droit de vote aux femmes, droit des salariés et des représentations syndicales.

« Que serions-nous devenus sans la Résistance ? Nous aurions eu une carrière. Grâce à la Résistance, nous avons eu une vie », rappelle Edgar Morin. La Résistance, comme initiation, comme électrochoc, comme école de la vie et de la fratrie, c’est aussi cela que nous enseigne le CNR. On ne naît pas résistant, on le devient, au terme parfois de virages surprenants.

Issu d’une famille de la bourgeoisie bordelaise, Daniel Cordier, secrétaire de Jean Moulin, était maurassien et militant à l’Action Française, avant de rejoindre la Résistance. La rupture, c’est le discours de capitulation de Pétain qui la cristallise : « j’ai pleuré comme je n’avais jamais pleuré », concède-t-il, faisant écho aux vomissements réels, physiques de Germaine Tillion. Comme si le corps lui-même imposait le temps de l’engagement, sans hésitation, sans état d’âme. Ils seront 17, tous très jeunes, à rejoindre, du jour au lendemain, Londres et De Gaulle, lequel les recevra d’une phrase mémorable : « je ne vous féliciterai pas, vous n’avez fait là que votre devoir ».

Parcours géographique et du déplacement, figure de l’exil (pour bon nombre de résistants, l’exil en leur propre pays), parcours mental jalonné de rencontres et de prises de risque. Rite du passage, rite de l’apprentissage, la Résistance constitue une famille, un cheminement contre la résignation et la soumission, oui, une école de la vie ! Ce que résume parfaitement Edgar Morin : « J’avais 20 ans, la vie devant moi, et n’avais pas envie de mourir. Mes amis me poussaient à franchir le pas. Mais ce n’est qu’en entrant dans une organisation de résistants que j’ai appris à devenir résistant, c’est à son contact que j’ai appris à résister ».

Entrer en résistance, c’était aussi perdre son identité au sens propre, comme le faisait remarquer intelligemment Raymond Aubrac. Le patronyme, puis le surnom, puis le nom de réseau, la duplicité de la personne se fond dans un objectif collectif. Dépêché à Lyon, Daniel Cordier, avant que ne soit créé le comité de coordination Zone Sud, rencontre un homme qu’il ne connaît pas, sous le nom de Rex. Il s’agit ni plus ni moins… de Jean Moulin ! L’héroïsme de ces hommes ne fait pas l’ombre d’un doute. Nous leur devons de vivre en liberté, de vivre en démocratie, de vivre en République.

A l’épreuve de leurs sacrifices, les tentatives, ici ou là, de démythification de la Résistance française, n’en sont que plus veules et vulgaires. Car cette résistance n’est pas uniforme, elle forme un ensemble disparate d’engagements, d’actions, de rébellion, de sexe, de nationalité. Jusqu’à la fin des années 70, les résistantes ne représentaient en moyenne que 2 à 3% des noms cités, dans les ouvrages consacrés à la Libération. « L’impôt du sang n’a pas suffi à fonder l’égalité », souligne l’historienne Hélène Eck. Résistance de l’ombre et résistance en plein jour.

Les femmes s’engagent dans des mouvements comme Combat, rejoignent le groupe Carmagnole de la FTP-MOI, et participent de plus en plus aux missions des hommes : sabotages, fabrication d’explosifs, attentats, luttes armées. Elles portent des noms : Germaine Ribière, Suzanne Buisson, Danièle Casanova, Lucie Aubrac, Dina Krischer, Germaine Tillion : elles sont de toute confession, elles sont communistes, socialistes, syndicalistes. Ce qui les relie échappe à toute orthodoxie : lutter contre l’ordre des choses, contre l’antisémitisme, le racisme, l’intolérance pour retrouver une dignité humaine, et les droits fondamentaux qui l’accompagnent. Lutter contre les lois scélérates de Pétain, lutter contre l’occupant, lutter pour forcer les portes d’une société patriarcale. Car résister, c’est aussi prendre les choses en main, ne pas se contenter d’une vie déjà écrite, c’est changer les règles communes, c’est s’émanciper et émanciper les autres. Les femmes ont apporté leur pierre à l’édifice. Tout comme les résistants d’origine étrangère des FTP MOI de Manouchian, du groupe Carmagnole-Liberté à Lyon, de la 35ème Brigade à Toulouse, de la section juive de la MOI, de la branche Liberté à Grenoble, des tirailleurs sénégalais, des espagnols, maghrébins, polonais, et j’en oublie, unis pour une France libre, unis contre Vichy. A l’image des femmes, leur rôle et leur apport mériteraient d’être plus éclairés au cœur de notre récit national.

Enfin, il y a les anonymes, les justes (et nous connaissons ici à Vénissieux leur contribution au sauvetage de 108 enfants juifs du camp d’internement à l’été 42). Je conseille à chacun de prendre un peu de son temps, pour aller explorer le site d’Arte consacré aux combattants de l’ombre. On y découvre par thématique (Vivre avec les armes, Nos familles, Sur nos vélos, Liquider les traîtres, la Patrie et nous, Survivre dans les camps, etc) les témoignages de résistants grecs, croates, allemands, hollandais, anglais, français, italiens, belges, lituaniens, et bien d ‘autres encore. La résistance s’y exprime à l’échelle de l’homme : simplicité de la parole (douleur aussi), complexité de l’engagement. Ce sont des athéniens qui vont décrocher le drapeau nazi, qui flotte au-dessus de l’acropole, et ne savent pas comment s’en débarrasser. C’est une mère de famille hollandaise qui donne son accord à un résistant, pour que ses deux filles intègrent le réseau clandestin. C’est la Résistance avec un grand R, sans chantage à l’émotion mais avec affect, sans mythologie mais avec humanité.

Dimanche dernier, les Européens ont voté, renforçant encore un peu plus les partis populistes. En France, le Front National est arrivé en tête du scrutin. C’est ni le lieu ni l’objet de la commémoration d’entrer dans une analyse électorale de ce désastre démocratique, mais c’est par contre le moment de comprendre la nature même du verbe Résister. Il se conjugue toujours au présent, la société qui nous entoure en témoigne : montée des injustices sociales, montée des intolérances, montée des rejets, banalisation des propos xénophobes et homophobes.

Résister au présent, ici et maintenant, résister partout où il le faut, pour que l’Histoire ne se répète pas. Les grandes figures de la Résistance nous le répétaient constamment : restez vigilants, car la bête immonde n’est jamais terrassée. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les faits leur donnent raison, et que les résistances d’aujourd’hui sont désormais entre nos mains !

Je vous remercie.

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