Fin de la guerre d’Algérie

Le jeudi 22 mars – Retrouvez l’intervention de Michèle PICARD à l’occasion de la Commémoration du 50ème anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, le 19 mars dernier.

Le jeudi 22 mars

Retrouvez l’intervention de Michèle PICARD à l’occasion de la Commémoration du 50ème anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, le 19 mars dernier.

50 ans, un demi-siècle, les générations passent, le temps, le recul, ferment d’une histoire dépassionnée, éclairent de nouveaux chapitres, mais malgré tout, il nous reste encore un long parcours à accomplir avant de prononcer ce verbe : ré-con-ci-lier.
Lorsque le 18 mars 1962 à Evian, Louis Joxe, pour le gouvernement français, et Krim Belkacem, au nom du gouvernement provisoire de la République Algérienne formée par le FLN, signent les accords d’Evian, le sang a déjà beaucoup coulé. Le 19 mars, le cessez-le-feu sera appliqué, mais il ne fera pas la paix : assassinats et attentats de l’OAS, massacres des Harkis que la France abandonne, la haine mettra un temps fou à s’éteindre.

50 ans après, la guerre physique, la sale guerre, dont le terme officiel ne sera reconnu qu’en 1999 par notre pays, est bel et bien terminée, mais la guerre des mémoires se poursuit sur les deux rives de la Méditerranée. Le parcours dont je parlais, aujourd’hui en 2012, et qui est devant nous, c’est d’esquisser enfin une histoire qui rassemble, pas une histoire à sens unique, mais une histoire à plusieurs voix, formant un tout, sans amnésie, sans complaisance, sans tabou, sans manipulation, sans arrière-pensées. Une histoire partagée, une histoire assumée, où les silences de la France pendant de longues années se brisent, où les exactions commises au temps colonial sortent de l’ombre. Une histoire apaisée, où les surenchères, les provocations et les relectures communautaristes, cessent de jeter de l’huile sur le feu. Je crois que ce travail d’une mémoire collective n’est pas encore révolu. C’est peut-être un symbole, mais il est éloquent : il n’y a, aujourd’hui encore, aucun lieu de commémoration franco-algérien en Algérie, comme il en existe en France et en Allemagne.

Quant au Mémorial du Quai Branly, Nicolas Sarkozy et son gouvernement ont suscité la polémique, en inscrivant sur la colonne centrale, les noms des victimes de la tuerie de la rue d’Isly. Des morts en trop bien sûr, mais cette manifestation avait été organisée par l’OAS, dans le cadre d’un mouvement insurrectionnel armé contre les autorités de la République, pour s’opposer au choix politique de la paix et de l’indépendance de l’Algérie, approuvé très largement par le peuple français. De même, en remettant la légion d’honneur à l’un des acteurs du putsch d’Alger, en novembre dernier, Nicolas Sarkozy a placé le 50ème anniversaire de la fin de la guerre en Algérie, sous le signe de l’agitation mémorielle, ce qui ne contribue pas, bien au contraire, à apaiser les esprits… Il n’y a pas lieu, et il n’y aura jamais lieu de réhabiliter, sous une forme ou sous une autre, l’OAS, créée à Madrid en 1961, et qui, en moins de 18 mois, fera plus de 1500 morts et plus de 5000 blessés, la plupart algériens.
A ceux qui auraient la mémoire courte, cette organisation d’extrême droite comprenait dans ses rangs le beau-frère de Franco, d’anciens SS comme Otto Skorzeny, et planifiait la liquidation systématique et ultra violente des pro-FLN, qu’ils soient maghrébins ou européens. Jean-Jacques Susini, l’un de ses créateurs, condamné à mort et amnistié, deviendra conseiller régional FN en 1998. Je ferme la parenthèse, mais il y a des symboles et des réécritures de l’histoire, qui en disent long sur les courants réactionnaires de notre époque.

Histoire partagée, histoire assumée, mais de quelle histoire parlons-nous, tant la tragédie de cette guerre couvre de profondes douleurs et de coupables erreurs. Douleur du peuple algérien asservi, méprisé par plus d’un siècle de colonisation. Faut-il rappeler, avant l’explosion de violence de la fin des années 50, ce qu’il a enduré sous le concept ignoble de races supérieures et races inférieures, concept que des Ministres soi-disant républicains, continuent d’employer, aujourd’hui en 2012. Sur 7 millions d’hectares de terres cultivables, la colonisation s’empara en un siècle de 2,9 millions d’hectares (lesquels étaient, aussi, les terres de meilleure qualité). Cette colonisation chassa des centaines de milliers de paysans, dépossédés, et devenus une armée errante de ruraux clochardisés.
Colonisés depuis 1830, les Algériens vont vivre sous le régime de l’indigénat : il y avait ainsi deux catégories de citoyens, les citoyens français (de souche métropolitaine), et les indigènes ou sujets français (Africains noirs, les Malgaches, les Algériens, les Antillais, les Mélanésiens). En clair, les « sujets français » soumis au Code de l’indigénat étaient privés de la majeure partie de leur liberté, et de leurs droits politiques. Idem en matière d’éducation, d’accès aux soins, de justice. Ils n’étaient pas des citoyens, tout simplement.

La République n’a pas vu, ou n’a pas voulu voir, que l’émancipation des peuples, et l’autodétermination, constituaient la seule issue possible. Elle s’est trompée lourdement, elle s’est enferrée dans le cycle de la violence, des représailles, de la haine et du bain de sang. En 1957, Germaine Tillion dénonce cette erreur, et lance un cri d’alarme : « Des deux côtés, on nage en plein délire. Le résultat, c’est qu’on extermine méthodiquement tous les gens susceptibles d’adopter un comportement rationnel. C’est à dire les seuls avec qui l’on peut trouver un modus vivendi ». Le bilan de cet aveuglement est terrible côté algérien : entre 300 000 et un million de morts, pour un pays qui ne comptait à l’époque que 10 millions d’habitants.

Albert Camus aura ces mots pour décrire le carnage en route. Je le cite : « Bientôt l’Algérie ne sera peuplée que de meurtriers et de victimes. Bientôt, les morts seuls seront innocents ». Douleur des appelés français, qui sont enrôlés dans une guerre dont ils ne comprennent ni les tenants, ni les aboutissants. La France avait mobilisé deux millions de jeunes, et déployé 400 000 hommes. 30 000 d’entre eux ne reverront plus leur sol natal. Lucien Armanet, Roger Delorme, Vincent Ferrari, Yves Albert, Joanny Martinet, Roger Rousset, Robert Simonin : 7 Vénissians à la jeunesse sacrifiée, à la vie retirée. Douleurs des pieds noirs, que l’on rapatrie. Douleurs des juifs d’Algérie, déracinés. Douleurs des Harkis, que notre pays abandonne lâchement, en fermant les yeux sur les massacres, dont ils seront victimes après le cessez-le-feu. Certains d’entre eux seront parqués dans des conditions indécentes, dans des camps de transit, hameaux forestiers ou foyers Sonacotra, et même dans d’anciens camps de la seconde guerre mondiale. Les autres, entre mars et juillet 62, estimés au bas mot à 60 000, seront exécutés sans pitié.

Cette histoire partagée doit prendre en compte toutes les dimensions de cette tragédie, sans quoi, elle demeurera toujours incomplète, toujours ouverte aux interprétations et aux rancœurs.
La France doit avancer sur ce chemin-là. Trop d’éléments ont été tus, trop d’ouvrages ont été censurés par le passé, pour ne pas voir que ce refoulé alimente les interprétations, et les manipulations d’aujourd’hui. Que le premier livre notable de Michel Levine, sur le sinistre du 17 octobre à Paris, sorte en 1985, en dit long sur les périodes de rétention et de désinformation. Que les travaux de Jean-Luc Einaudi, La bataille de Paris, le 17 octobre 1961, aient été entravés par le manque d’ouverture des archives de police, en dit long également sur la volonté de maintenir en l’état, les zones d’ombre et de responsabilité de l’Etat français. Déni de réalité à l’époque, déni de vérité aujourd’hui. Les voix des hommes politiques, des sociologues, ethnologues et intellectuels, de Derrida au Manifeste des 121, les autorités n’ont pas voulu les entendre. Quand elles ne voulaient pas tout simplement étouffer celles des militants et de la base du PCF, plus en phase que leur propre direction, sur la question de l’indépendance de l’Algérie. Les saisies à répétition de l’Humanité, pour ses dénonciations de l’usage de la torture, les manifestations pour « la paix en Algérie », les figures d’Henri Alleg, de Maurice Audin, les morts de Charonne, à l’écrasement de ces voix-là, s’en est suivi un silence assourdissant, celui d’une République qui s’est trompée, et qui fera tout par la suite pour ne pas l’admettre.

Faut-il désespérer qu’un jour, enfin, le cloisonnement des mémoires vole en éclats ? Les travaux de l’historien Benjamin Stora montrent que des avancées ont eu lieu. L’ouverture partielle des archives de l’armée française, dans les années 90, et l’arrivée d’une nouvelle génération de chercheurs, ont permis un nouvel éclairage sur cette période. La stèle que nous avons posée, commémorant le 17 octobre 1961, parc Louis Dupic, montre combien la reconnaissance de l’histoire finit un jour ou l’autre par s’imposer. Elle finit, grâce au travail des historiens, plus qu’aux lois mémorielles, par occuper l’espace public, par revenir à l’espace démocratique, et à l’union des peuples. L’inauguration à Paris d’une Place à la mémoire des martyrs de Charonne, par Bertrand Delanoë, s’inscrit dans cette lignée.
Les aveux du Général Aussaresses, sur la généralisation de la torture et les exécutions sommaires à partir de 1957, baptisées à l’époque de « corvée de bois », ont créé un choc salutaire dans l’opinion publique française, levant le voile sur des pratiques que l’on devinait, mais que les corps institutionnels, et notamment l’armée, s’évertuaient à taire.
La mise à disposition des images conservées par l’INA, à la télévision algérienne, la restitution de la carte des mines posées pendant la guerre, aux frontières tunisienne et marocaine, illustrent cette politique de petits pas, pour sortir, difficilement de toutes les tensions mémorielles. Bien sûr, il y aura toujours des nostalgiques de l’ordre ancien, à l’image de la loi du 23 février 2005, et son article 4 sur les « bienfaits d’une colonisation positive », présentée à l’assemblée. Bien sûr, il y aura toujours des apprentis sorciers, pour rallumer les feux, comme cette polémique indécente sur la remise en cause de la date de commémoration du 19 mars, et la proposition du 5 décembre, qui ne correspond à rien. Bien sûr, la lutte pour la réconciliation des peuples français et algériens, passera par la lutte entre les progressistes et les incendiaires, les révisionnistes, réactionnaires et intégristes de toutes sortes. Dans la préface au livre Les Damnés de la terre de Frantz Fanon, Jean-Paul Sartre écrivait ces mots : « La France autrefois, c’était un nom de pays, prenons garde que ce ne soit, en 1961, le nom d’une névrose ».

Etrange écho, 50 ans après, étrange prémonition, que seule la quête d’une mémoire partagée nous fera enfin dépasser.

Je vous remercie.

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