Exposition« Les juifs de France dans la Shoah »

Le 30 avril 2012 – Retrouvez l’intervention de Michèle PICARD, lors du vernissage de l’exposition« Les juifs de France dans la Shoah », Vendredi 13 avril 2012 à la Médiathèque Lucie-Aubrac.

Le 30 avril 2012

Retrouvez l’intervention de Michèle PICARD, lors du vernissage de l’exposition« Les juifs de France dans la Shoah », Vendredi 13 avril 2012 à la Médiathèque Lucie-Aubrac.

Un drame n’a pas eu lieu. Un drame dont notre ville porterait encore la blessure. Un drame n’a pas eu lieu, au cœur même du cauchemar humain. « La nuit de Vénissieux » aurait pu devenir la « nuit de l’innommable », ce ne fut pas le cas. Le hasard, les aléas, les impondérables, n’ont rien à voir avec le sauvetage de 82 enfants, sortis in extremis du camp de Vénissieux, où ils étaient parqués, fin août 42.

Une goutte d’eau dans un océan de détresse, de haine et de barbarie, certes, mais une goutte d’eau en forme de lueur d’espoir sur la nature humaine. Ce qui a permis à ces enfants de ne pas emprunter cette route sans retour (Drancy, puis Auschwitz), c’est la volonté d’hommes et de femmes, de s’ériger contre, de résister, dans le cas présent avec non violence, à la lâcheté du régime de Vichy. L’année 1942 constitue un tournant évident et horrible, dans la mise en place de la Shoah.

70 ans après, la ville de Vénissieux s’est mobilisée, pour que toutes les générations se souviennent du sort réservé aux juifs, en Europe et en France.

Ce tournant dramatique de 1942, c’est la conférence de Wansee qui donne le signal, une conférence, où quinze hauts responsables du Troisième Reich, mettent en place la solution finale. Elle ne dure que 90 minutes, mais elle scelle l’innommable : l’élimination systématique de tous les juifs d’Europe. En France, l’année 42 marque le début de l’irréparable, à savoir la soumission et la participation active du Régime de Vichy, à la déportation des juifs, enfants compris, vers les camps de la mort. Avec Pétain, avec Laval, avec Bousquet, l’administration et la police française collaborent (et en faisant preuve de zèle), à la pire entreprise que la société des hommes ait élaborée : la Shoah. Voilà comment, à l’été 42, des familles ont été entassées dans des camps de transit, voilà comment, à la suite de la rafle du 26 août 1942 en zone sud, des milliers de personnes allaient être livrées aux autorités allemandes, aux chambres à gaz, et aux fours crématoires.

A la fin de cette même année 1942, 42 500 juifs de France allaient être déportés à Auschwitz, dont près de 6 000 enfants. Un tournant vers l’ignoble, mais l’ignoble n’était-il pas déjà écrit dans les lois scélérates que Vichy avait adoptées dès octobre 1940, avec le premier statut des juifs, exclus de la fonction publique, des fonctions commerciales et industrielles. Dans les ordonnances allemandes qu’il allait appliquer : séquestre des biens et entreprises appartenant aux juifs absents ou arrêtés (octobre 40) ; premier convoi déporté depuis le camp de Compiègne (27 mars 42), port obligatoire de l’étoile jaune (29 mai 42, appliqué dès le 7 juin)…

Un tournant, oui, mais un tournant écrit, un tournant prévisible vers une escalade de la haine et de l’abject.82 enfants sont donc passés, ici à Vénissieux, à travers les mailles d’une mort annoncée. Grâce à ces justes, comme on les appelle, grâce à l’action de personnalités religieuses, d’organisations, qui œuvraient dans les camps, comme l’Amitié Chrétienne, la Cimade, l’œuvre au secours des enfants, et l’œuvre du service social des étrangers.

Dans le livre passionnant, précis, documenté, de Valérie Perthuis-Portheret, il est frappant de constater comment l’humanité de chaque acteur, cette question personnelle de notre propre conception, entre le tolérable et l’intolérable, a fini par faire germer le socle d’une résistance. Cela m’a fait penser à cette phrase d’Edgar Morin, à cette bascule de la prise de conscience individuelle, vers une action collective. Je le cite : « La résistance est aussi une forme d’organisation. J’avais 20 ans, la vie devant moi, et n’avais pas envie de mourir. Mes amis me poussaient à franchir le pas. Mais ce n’est qu’en entrant dans une organisation de résistants que j’ai appris à devenir résistant, c’est à son contact que j’ai appris à résister ». Résister, c’est s’organiser et résister, comme il le dit souvent, c’est créer ! Ils ont tous obéi à leur conscience, pas à la peur. Ils ont tous obéi à la force de la vie, pas à la mort. C’est ce que met en valeur Raymond Aubrac, dans son livre Passage de témoin. « Il faut être optimiste, c’est cela l’esprit de résistance. On ne le dit pas assez. Tous les gens qui se sont engagés dans la résistance, ou avec le général de Gaulle, ce sont des optimistes, des personnes qui ne baissent pas les bras, qui sont persuadées que ce qu’elles vont faire va servir à quelque chose. Il faut avoir confiance en soi, être optimiste et croire que ses combats sont utiles ».

Raymond Aubrac qui vient de nous quitter, et à qui je veux rendre hommage : un homme au parcours exceptionnel qui toute sa vie a lutté pour transmettre l’esprit de résistance aux jeunes générations. Avec sa femme Lucie, ils avaient fait de leurs vies un combat contre l’oubli, contre le renoncement, contre l’inacceptable.

Dans le camp de Vénissieux, des hommes, des femmes, des enfants ont aussi vécu l’inacceptable.Comment ne pas penser aussi au courage de ces parents, à la force dont ils ont dû faire preuve, pour signer les délégations de paternité. Sauver son fils ou sa fille, tout en se sachant condamné à ne plus jamais les revoir, c’est une épreuve d’une cruauté, et d’un déchirement insupportables, inimaginables. Ils s’y sont résignés, le cœur en ruines, car eux aussi, ont su que ce sacrifice allait servir à quelque chose. Oui, résister, c’est créer. Aujourd’hui, 70 ans après, il y a plus d’une leçon à tirer de ces années noires, terribles et tragiques. Le massacre d’enfants juifs à Toulouse, est venu nous rappeler que la bête immonde n’est jamais terrassée.

Les discours populistes, les amalgames, les discours de haine de l’extrême droite, partout en Europe, doivent nous inciter à la plus grande vigilance. Le décréter ne suffit pas, il faut, en somme, se donner les moyens de cette vigilance. C’est bien évidemment la mémoire partagée, et sa transmission, qui nous fera avancer. Sortir de la guerre mémorielle, sortir des zones d’ombre du passé, la France a encore du chemin à parcourir, pour être en paix avec sa propre histoire.

N’oublions pas qu’il a fallu attendre juillet 1995, pour qu’un chef de l’Etat, Monsieur Jacques Chirac, reconnaisse publiquement le rôle et la contribution de la France, dans la déportation et l’extermination des juifs. Sa démarche a été salutaire à plus d’un titre, ne creusant pas le sillon de la repentance, mais bien celui de la clairvoyance. Je le cite : « Reconnaître les fautes du passé, et les fautes commises par l’Etat. Ne rien occulter des heures sombres de notre Histoire, c’est tout simplement défendre une idée de l’Homme, de sa liberté et de sa dignité. C’est lutter contre les forces obscures, sans cesse à l’œuvre. »

La Ville de Vénissieux est plus que jamais attachée à ce devoir de mémoire. L’exposition « Les juifs de France dans la Shoah », conçue et réalisée par le Mémorial de la Shoah, qui se tient à la Médiathèque Lucie Aubrac jusqu’au 26 avril, en est un exemple. Il y a bien sûr notre attachement aux commémorations, auxquelles sera invité le prochain conseil municipal enfants, il y a toutes les actions de sensibilisation, menées avec l’éducation dans les groupes scolaires, il y a cette impérieuse nécessité de transmettre aux jeunes générations, l’histoire partagée de notre ville, de notre pays, de notre République. Non pas comme un fardeau, non pas comme une forme de culpabilité, mais comme un héritage qui construit la citoyenneté, comme une force qui construit l’avenir.

La résistance est un trait de caractère de Vénissieux, c’est un élément constitutif de l’identité Vénissiane. Les luttes dans le monde du travail, pour arracher des acquis sociaux, ont forgé un état d’esprit que l’on a retrouvé en 44 : notre ville ne s’est-elle pas libérée toute seule, avant même l’arrivée des troupes de libération ! Résistance au pluriel, que les noms de nos rues et équipements égrènent, des Frères Amadéo à Max Barel, et ici même, dans cette médiathèque « Lucie Aubrac ». Nous marquerons donc cette année, le 26 août prochain, le 70ème anniversaire de ces terribles rafles, qui ont endeuillé la communauté juive, et taché l’histoire de notre pays. Même si le régime de Vichy n’a jamais été la République, même si le Vichy de Pétain et Laval était tout autant illégitime qu’illégal.

Enfin, et les Vénissians le savent, en écho à la création d’un conseil municipal enfant, la création d’une Maison de la Mémoire, après le don muséal qui nous a été attribué, par le musée de la résistance et de la déportation, est à l’étude.

Dans un siècle où les repères se troublent, où l’information circule, se télescope, sans véhiculer de sens profond, il est urgent d’ancrer, d’arrimer les connaissances, les savoirs et l’histoire, au cœur de notre présent. Le livre de Valérie Perthuis-Portheret, que je conseille de lire, illustre cet exercice de mémoire partagée, éclairée et assumée.

Donner du sens, c’est donner une direction, un horizon, et notre siècle, aujourd’hui, en a grand besoin.

Je vous remercie.

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