Appel du Général de Gaulle

Le 28 juin 2011 – Retrouvez l’intervention de Michèle Picard à l’occasion du 71ème anniversaire de l’appel du Général de Gaulle, le 18 juin 2011

Le 28 juin 2011

Retrouvez l’intervention de Michèle Picard à l’occasion du 71ème anniversaire de l’appel du Général de Gaulle, le 18 juin 2011

Il y a 71 ans, une voix d’outre-manche perçait les ondes, sans que le territoire français n’y prête vraiment attention. C’est une date, le 18 juin 40, et c’est un homme, un certain de Gaulle, qui prend date. Il faut replacer cet appel dans son contexte. Le 14 juillet 1939, plus de 30 000 soldats venus de tout l’empire colonial paradent sur les Champs-E lysées. Joseph Kessel, écrivain et journaliste, écrit à l’issue du défilé : « Il n’y aura pas de guerre. Je vous garantis qu’une matinée comme celle-ci fera réfléchir Hitler ».

L’armée française est considérée comme la meilleure au monde, la plus expérimentée, la mieux équipée. A peine un an plus tard, la guerre éclair est passée par là et le front des Ardennes, que l’on croyait imprenable, cède en quatre jours. La France passe de l’insouciance à l’humiliation complète, et le coup de tonnerre de cet effondrement total couvre, pour l’instant, la catastrophe qui se trame à Bordeaux. L’armée, appuyée par les forces capitalistes et industrielles, confie le pouvoir au Maréchal Pétain, autant dire à la soumission, à la capitulation et bientôt à l’irréparable.

La voix du 18 juin 40, elle vient de là, elle vient du chaos et de la débâcle, d’une nation k-o debout. Elle ne trace pas une voie mais elle porte en elle un espoir. Ils ne sont pas beaucoup à écouter ces mots de De Gaulle, des mots qui appartiennent à l’histoire de France :

« Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non ! Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire… Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ! ».

Sur les 30 000 soldats français présents sur le sol britannique, rescapés de Narvik et de Dunkerque, 58 décident de rester autour du général. Le chaos est tel que, sur le fond, personne n’écoute personne. Lorsque Pétain renverse Paul Reynaud et demande l’armistice, certains hauts fonctionnaires apprennent la nouvelle dans la plus parfaite indifférence. Ce témoignage de Georgette Guillot, pourtant secrétaire au Ministère de l’Intérieur et présente à Bordeaux, donne une idée du climat qui règne. Je la cite : « Nous étions si préoccupés de notre subsistance que nous ne percevions pas la portée de l’événement. A Bordeaux, ils auraient pu tout aussi bien proclamer Henri V roi de France, ça n’aurait pas déclenché d’objection ! ».

Mais, à y regarder de plus près, la France libre est déjà là. Elle est dans la réaction physique de Germaine Tillion : « Quand j’ai entendu la voix de Pétain, j’ai vomi ». Elle est aussi sur cette île, que les manuels d’histoire ont oubliée, c’est l’île de Sein, au large de la pointe du Raz. L’histoire de ces hommes, sur un caillou d’un demi-kilomètre carré livré aux conditions climatiques les plus sévères, mérite d’être racontée.

Marins-pêcheurs pour la plupart, silencieux et peu bavards, ils étaient déjà venus à la rescousse de la marine royale de Louis XIV, lequel leur accorda en échange une exemption fiscale, et ces mots que je ne peux passer sous silence : «vouloir imposer l’île de Sein, déjà accablée de tous les impôts de la nature, ce serait vouloir imposer la mer, les tempêtes et les rochers». Sur cette île donc, la guerre arrive par bateau d’où débarquent des centaines de gens, des civils, et même des chasseurs alpins, des montagnards à Ouessant ! Pourtant, dès le 18 juin 40, le maire de la commune et ses habitants décident de rassembler tout ce qui flotte pour éviter que le matériel ne tombe dans les mains allemandes.

C’est un premier pas de désobéissance civique, il sera suivi par un élan citoyen remarquable. Si l’appel du 18 juin est passé inaperçu, celui du 22 juin, à 11h00, fera l’objet d’une mobilisation étonnante sur le quai des Français Libres. Des dizaines d’habitants se sont massés sous la façade de l’Hôtel de l’Océan. L’île ne possède que 4 postes de radio, l’un est posé sur le rebord d’une fenêtre pour que chacun entende la seconde intervention de De Gaulle dans un silence religieux.

La communauté se rassemble, discute et alors que la préfecture de Quimper, sous les ordres allemands, ordonne un recensement des militaires et jeunes de l’île de Sein, le maire, le recteur et les patrons pêcheurs décident de ne pas obtempérer. Quatre heures plus tard, des navires sont affrétés, et près de 128 hommes (sachant que l’hiver, l’île ne comptait qu’à peine 150 habitants) décident d’embarquer et de rejoindre de Gaulle à Londres. Pourquoi une telle ferveur ? Les témoins encore présents parlent tous des liens forts qui en faisaient une communauté solidaire et des vertus d’une éducation solide.

Ces 128 hommes, en juin 40, forment un quart des effectifs de la France libre des premiers jours, ce qui fit dire à De Gaulle, dans une célèbre boutade, que l’île de Sein… « était un quart de la France ».

De la nausée réelle de Germaine Tillion au ralliement impressionnant d’une petite île bretonne, c’est bien la résistance qui est en route. Cette pierre du refus jetée dans le jardin du IIIème Reich et dans la cour de Vichy fera des émules. Août 41 : les communistes développent rapidement un mouvement de résistance armée, les Francs-tireurs et partisans français (FTPF), dirigé par Charles Tillon.

D’obédience communiste, le plus important maquis de France, celui du Limousin, prend forme. 1941 toujours, des représentants du Parti communiste et du Parti socialiste d’Italie, réfugiés en France, signent l’« appel de Toulouse », puis le « pacte de Lyon », le 3 mars 1943, qui scellent l’unité d’action dans la Résistance. Dans le Nord-Pas-de-Calais, des dirigeants de la SFIO créent un comité d’action socialiste (CAS), mouvement de résistance qui augmentera après le procès de Blum et Daladier, parodie du procès de Riom. Les juifs, les chrétiens, les immigrés et les FTP-MOI d’Epstein et Manouchian, tout le monde refuse l’impensable soumission de la France de Pétain, tout le monde refuse l’inéluctable et le défaitisme.

Ne pas se soumettre, ne pas plier, ne pas renoncer à la vie libre, à la vie de sa propre conscience, il y a de sacrées leçons à tirer de ces heures les plus sombres de l’histoire de France. Quand le régime de Vichy, dès juillet 40, rend l’école laïque et républicaine responsable de la défaite, « l’instituteur, voilà l’ennemi, responsable de la démolition extérieure et de la putréfaction intérieure », tels sont les termes de la presse pétainiste, d’autres ont œuvré pour que nous vivions, aujourd’hui, dans une France républicaine et libre.

Il ne s’agit pas de juger le présent à la seule aune du passé, mais il faut se souvenir d’où l’on vient, il faut se souvenir de ce que ces hommes et femmes, de De Gaulle à Lucie Aubrac, des anonymes aux passeurs qui ont aidé Jean Moulin à franchir la ligne de démarcation à Saint-Aignan-sur-Cher, ont construit, ont bâti. Car non seulement ils ont défendu une France meurtrie, mais ils l’ont revitalisée, l’ont imaginée, l’ont fait renaître dès l’après-guerre. Ce sont ces bases, celles du Conseil National de la Résistance (CNR), qui ont sorti notre pays par le haut et par la modernité.

A l’heure où certains tentent de réhabiliter Renault par exemple, à l’heure où les forces réactionnaires souhaitent réécrire l’histoire, il est de notre devoir de rester les vigies et les garants d’un esprit républicain agressé et, dans le cas cité, sali. A quoi auraient servi leurs combats si nous ne sommes pas capables aujourd’hui d’en défendre la mémoire, mais aussi les acquis ? 21 février 1946 : la loi des quarante heures hebdomadaires, adoptée par le Front Populaire en 36, est rétablie. 28 mars 1946, vote de la loi sur la nationalisation de l’électricité et du gaz. 24 avril 1946, nationalisation des grandes compagnies d’assurances. 25 avril, extension du nombre et des attributions des comités d’entreprises. 26 avril 1946, généralisation de la Sécurité sociale incluant la Retraite des vieux travailleurs. Souvenons-nous d’où vient cette idée lumineuse qu’on appelle la Sécurité sociale, dont on célèbre cette année le 65ème anniversaire de sa création. Elle vient d’un rêve, écrit noir sur blanc dans le programme du Conseil National de la Résistance (CNR) de mars 1944 : « Nous, combattants de l’ombre, exigeons la mise en place d’un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion par les intéressés et l’Etat. ».

Et ce rêve, c’est Ambroise Croizat qui le rendra effectif à partir de l’ordonnance d’octobre 1945, en créant en l’espace de deux ans, 138 caisses de sécurité sociale. Sans oublier, comme avancée progressiste supplémentaire, le droit de vote accordé aux femmes.

C’est donc une société où l’intérêt collectif prime sur les intérêts particuliers qui sort de terre et d’un épouvantable chaos, une société où l’homme figure au centre des préoccupations et des actions politiques. Comme héritage, ce n’est pas rien, c’est même d’une incroyable modernité.

Et cet héritage que nous avons entre les mains, il a commencé lorsque plus personne n’y croyait, par le refus de la défaite et de l’humiliation, par le refus de la soumission et l’espoir d’une reconstruction, par le chemin le plus escarpé et dangereux, qu’il fallait prendre malgré les risques. Il a commencé un certain 18 juin 1940.

Je vous remercie.

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