70ème anniversaire de la Libération de Vénissieux

« En 44, dans des conditions terribles et dramatiques, comme en 2014, au cœur d’une crise qui broie les gens, les familles, et exclut les jeunes. »

 

 

Peut-on imaginer ce mélange de joie, de soulagement et de douleurs que les Vénissians ont dû ressentir et partager ce 2 septembre 44 ? Ce moment-là a dû les saisir, gravé dans tous les esprits, dans toutes les mémoires, à jamais.

La joie de renouer le fil avec la liberté, la démocratie et la République.

La joie de respirer, la joie d’être enfin délivré de l’occupant.

La joie d’avoir fait tomber un régime de la peur, de la délation, de la soumission, de la collaboration et de la répression, le régime de Vichy, des pétainistes et de l’extrême droite française.

Des douleurs, combien de douleurs aussi, où, parmi de nombreuses familles, il manque ce 2 septembre 44, un être cher, un frère, un père, une mère, un enfant, un ami, un voisin.

Alors oui, ce 2 septembre 44, sur la façade de l’ancien hôtel de ville, aujourd’hui maison Henri Rol-Tanguy, quand le comité de libération de Vénissieux a hissé le drapeau tricolore, l’émotion a dû être intense, forte, collective et si personnelle. Car en cette fin d’été, il y a 70 ans, la ville panse ses plaies et compte ses disparus : les bombardements alliés entre mars et mai 1944 feront 29 morts, 62 blessés. 600 maisons sont à l’état de ruines ou très endommagées. Vénissieux est touchée, par les coups malheureux des forces amies, mais Vénissieux relève la tête, comme elle saura le faire tout au long de son histoire contemporaine.

Notre patrimoine commun, ce qui relie les générations entre elles, réside peut-être là, dans cette formidable capacité de résistance, et ces élans de solidarité qui forgent l’identité vénissiane.

En 44, dans des conditions terribles et dramatiques, comme en 2014, au cœur d’une crise qui broie les gens, les familles, et exclut les jeunes.

Notre ville, nos habitants savent se serrer les coudes, ils savent que les réponses sont collectives, qu’il n’y a pas d’horizon soi-disant indépassable, qu’unis dans la lutte, on peut faire changer les choses. Deux faits historiques viennent le prouver. Vénissieux ne s’est-elle pas libérée d’elle-même par un mouvement populaire d’insurrection, anticipant l’arrivée des armées, ce 2 septembre 44.

Loin de moi l’idée d’ignorer ou de minorer le pilonnage aérien des forces alliées à Lyon, Chambéry, Grenoble et Saint-Etienne, au printemps 44, qui ouvre la brèche d’une prochaine libération, mais un trait de caractère vénissian s’exprime dans cette volonté de prendre son destin en main.

L’autre fait marquant, symbole d’audace et de courage, est lié aux associations de secours qui sauvent d’une mort annoncée, en août 42, 84 enfants et 16 adultes du camp d’internement de Bac Ky, au 52 avenue de la République.

En participant à la déportation des juifs, faisant même preuve de zèle sous les ordres de René Bousquet, l’état français venait de commettre l’irréparable. C’est face à cette France indigne que se sont dressés ces hommes et femmes, ici à Vénissieux.

Le hasard, les aléas, les impondérables, n’ont rien à voir avec le sauvetage de ces 84 enfants. Une goutte d’eau dans un océan de détresse, de haine et de barbarie, certes, mais une goutte d’eau en forme de lueur d’espoir sur la nature humaine. Ce qui a permis à ces enfants de ne pas emprunter cette route sans retour (Drancy, puis Auschwitz), c’est la volonté d’hommes et de femmes de s’ériger contre, de résister, dans le cas présent avec non violence, à la lâcheté du régime de Vichy. Et la liste est longue de tous ceux et toutes celles qui, d’une façon ou d’une autre, ont participé activement, discrètement ou dans l’anonymat, à la libération de notre ville.

Pensons surtout à tous ceux qui ont entretenu le feu de l’espoir, le feu de l’insoumission, le feu de la liberté.

Pensons à ceux qui ont rejoint le maquis d’Azergues, ceux qui, tels ces cinq patriotes, sont tombés sous les balles allemandes, le long du mur Berliet.

Pensons aux salariés qui affrontaient un patronat, bien trop souvent à la solde de Pétain et de l’Allemagne nazie, à l’image de Louis Renault, ou encore de la famille Berliet ici même.

Pensons aux cheminots et syndicats clandestins qui se mettent en grève, dans la plupart des entreprises de la région, contre la mise en place du STO.

Pensons aux ouvriers qui s’opposent dans les usines, à la Sigma, à la Société des Electrodes et Réfractaires de Savoie, aux Aciéries de Longwy, aux ordres de réquisition allemands.

Oui, appartenir à un mouvement social était un choix fort, courageux, alors que Vichy traquait, frappait et arrêtait tout opposant à l’ordre capitaliste. Face aux milices de Pucheu, la force de dire non.

Pensons aux immigrés et étrangers qui forment le groupe « Carmagnole-Liberté », auteur de multiples sabotages d’usines de la commune.

Pensons aux responsables politiques et personnalités de l’époque : l’ancien maire destitué Ennemond-Roman, interné à la prison Saint-Paul, Louis-Dupic, futur maire, transféré dans un camp du Sud algérien, Georges-Roudil, secrétaire de la section communiste, qui sera livré aux Allemands, et déporté au camp de Buchenwald, Charles Jeannin qui connaîtra l’enfer de Dachau.

Sans oublier les frères Amadéo, Francis Paches, et tant d’autres.

Pensons aux femmes aussi, qui ont joué un rôle considérable dans les mouvements de libération, après avoir enduré les pires lois, scélérates et rétrogrades, de Vichy : interdiction d’embauche des femmes mariées ; l’abandon du foyer qui devient une faute pénale !; et l’avortement passible de la peine de mort.

A Vénissieux, dès l’été 44, une femme va incarner ce nouveau souffle et cette victoire sur le pétainisme : Marguerite Carlet, qui siègera au comité local de Libération. Elle en était la seule femme ! Force de caractère pendant les heures noires du pétainisme, elle cachait le drapeau de la CGT à son domicile pour qu’il ne tombe pas dans les mains de la gestapo.

La résistance, ce sont souvent ces gestes-là, qui nous paraissent aujourd’hui anodins, mais qui pouvaient être très lourds de conséquences et de significations à l’époque.

Marguerite Carlet intégrera ensuite le nouveau conseil municipal d’André Sentuc, de Louis Dupic et Marcel Houël.

2014 est une année charnière. Le centenaire de 14-18 et de l’assassinat de Jean Jaurès, les 70 ans du programme du CNR et de la Libération : n’en faisons pas une année des souvenirs, ce serait trop facile, et pas à la hauteur des douleurs éprouvées et des combats menés, mais une année de la mémoire partagée, d’une mémoire active, intégrée à notre présent, qui doit nous permettre d’interroger notre rapport au monde actuel, et nous inciter à défendre les valeurs progressistes face au populisme et à la montée de l’extrême droite, partout en Europe.

Dans cette volonté de nourrir nos réflexions contemporaines à l’épreuve des faits historiques, je voudrais saluer le travail de la Médiathèque en partenariat avec les archives, le Centre d’histoire de la Résistance et de la déportation de Lyon, et le musée de la Résistance et de la déportation de Vénissieux, pour mettre sur pied une exposition intitulée de « Guerre en Guerre ».

Nous allons nous y rendre après cette commémoration de la libération de Vénissieux. Cette exposition est composée de lettres et photos issues des deux guerres 14-18 et 39-40.

Ce sont des témoignages émouvants, terribles aussi, qui décrivent l’horreur des tranchées, l’enfer de soldats exécutés, pour avoir refusé d’aller au front, puis 40 ans plus tard, l’innommable de Drancy, de Dachau, la guerre qui pousse les pions de l’horreur toujours plus loin, jusqu’au nationalisme, jusqu’au nazisme, jusqu’à la Shoah, jusqu’à l’industrialisation de la mort, jusqu’au crime de masse et au génocide.

Réactiver toutes les mémoires, sans édulcorer les heures noires et la responsabilité de l’État Français, dans l’épouvantable entreprise de la déportation ; réactiver toutes les mémoires, sans en dénaturer les causes ni les conséquences, souvent dramatiques ; réactiver toutes les mémoires, sans déni, sans amnésie : cette place centrale de l’histoire, transmise aux jeunes générations, est devenue cruciale, dans un monde en manque de repères et de lisibilité, dans un monde tenté par les replis identitaires, la pire des solutions.

Il suffit de suivre l’actualité internationale, pour mesurer les tensions et la violence à l’œuvre, dans de nombreuses régions du globe, une violence terrible, aveugle et très inquiétante, où des populations civiles sont prises en otage, et payent un très lourd tribut.

A l’image de l’exposition organisée par la Médiathèque, la ville de Vénissieux, avec le Conseil Municipal Enfants, avec l’éducation nationale, avec ses équipements culturels, ses Équipements Polyvalents Jeunes, souhaite donner à ses jeunes vénissians toutes les connaissances et les ouvertures possibles pour entrer dans la vie citoyenne de plain-pied.

  • Être Vénissian un 2 septembre 2014, c’est se déplacer librement dans une ville, pour laquelle nos aînés ont dû se battre.
  • Être Vénissian un 2 septembre 2014, c’est, non pas se souvenir, mais réaliser que la paix reste à toute époque fragile, que le nationalisme, c’est la guerre, que les idées progressistes peuvent être balayées par les populismes, que la démocratie, tout comme la République, a besoin de nous, de notre attention, de notre vigilance.

Voilà les bases que nous voulons donner à notre jeunesse, être lucide face au présent, être critique face à ce que certains veulent nous imposer, être animé des leçons de l’histoire pour décrypter ce qui nous entoure. « Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre », nous avertissait Karl Marx.

Mais peut-être que ce 2 septembre 44 ne rejoint pas autre chose que le souffle évoqué par la poésie de Pier Paolo Pasolini, je le cite : «L’histoire, c’est la passion des fils qui voudraient comprendre les pères. »

Je vous remercie.

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