68ème anniversaire du 8 mai 1945

Ici, à la porte B Usine Marius Berliet, cette leçon-là, cette leçon de l’histoire, personne ne doit l’oublier, car tout le monde doit en avoir conscience : la bête immonde n’est jamais terrassée, elle peut renaître, et redresser, à nouveau, les hommes contre les hommes. Ici, il y a presque 70 ans, les combattants des Groupes Francs tombaient devant ces murs.

Retrouvez l’intervention de Michèle PICARD à l’occasion du 68ème anniversaire du 8 mai 1945, mardi 14 mai 2013.

Chaos, cauchemar, haine, barbarie sans commune mesure, sans précédent.

La seconde guerre mondiale dépasse tout entendement, elle est une fracture au cœur du 20ème siècle, elle est une blessure au cœur de la société des hommes.

Sur tous les continents, des drames, des cendres, et la haine, la haine comme moteur des pires actes, la haine comme moteur de l’impensable : industrialiser la mort, penser, programmer, et mettre en œuvre un génocide.

Le 3ème Reich, dans son œuvre destructrice, a accompli l’irréparable. A Auschwitz, à Dachau, Treblinka, et ailleurs, des hommes, des femmes, des enfants, des innocents, sont gazés et brûlés dans les fours crématoires : par dizaines, par milliers, par millions. La shoah, la solution finale, c’est près de 5 à 6 millions de juifs exterminés, soit les 2/3 de la population juive européenne.

Cette réalité-là continue, 68 ans après, de nous rattraper, de nous interroger. On a beau savoir, chacun de nous reste pétrifié, aujourd’hui encore, devant les images de Nuit et Brouillard, devant ces amas de corps osseux, devant ces visages cadavériques, face à ces êtres humains qu’Hitler, Heydrich et les autres, appelaient des sous-hommes.

On a beau savoir, chacun de nous reste pétrifié en lisant les témoignages, plus que ça encore, de Primo Levi, de Jorge Semprun, de ceux qui sont sortis vivants des camps, en se demandant pourquoi ils respirent, et comment faire pour revivre.

Il leur a fallu tout réapprendre, il leur a fallu croire à nouveau à l’homme, il leur a fallu puiser au fond d’eux-mêmes, et au fond des mots, pour parler de ça : la vie dans les camps, les cendres dans le ciel, et cette odeur, physique et sensorielle, de la mort qui reste imprégnée à tout jamais.

Il y a les camps de l’horreur, et il y a la rage. 39-40, c’est 25 000 morts par jour. Le bilan humain de cette tragédie, si jamais l’on peut parler de bilan, est estimé à environ 55, voire 60 millions de morts, soit la population de la France actuelle, décimée en un peu plus de 5 ans. Environ 45 millions de civils sont morts dans les combats et les bombardements, et le nombre de victimes civiles est supérieur à celui des victimes militaires.

Il y avait en Europe 7 millions de juifs avant le conflit, il n’en restera plus qu’un million après la guerre.

La Pologne perd 15% de sa population.

21 millions de victimes en URSS, sur laquelle Hitler et le IIIème reich s’acharnent avec une violence inouïe.

En France, 600 000 morts, Grande-Bretagne : 400 000, les Etats-Unis 300 000, etc.

Tortures, déportations, expérimentations médicales sur des êtres vivants, armes de destruction massive (les deux bombes d’Hiroshima et Nagasaki feront 300 000 morts, des milliers de victimes de cancer les années qui suivent), la nuit ne semble jamais prendre fin.

Me reviennent en mémoire ces mots de Primo Lévi, une phrase simple et lucide, qui résume la violence du IIIème Reich, et du terreau de l’extrême droite: « On a inventé au cours des siècles des morts plus cruelles, mais aucune n’a jamais été aussi lourde de mépris, et de haine ».

Opposants politiques, communistes, socialistes, syndicalistes, tziganes, homosexuels, asociaux, handicapés, juifs bien sûr, Hitler a orchestré une montée de la haine sans précédent.

Le rejet de l’autre tout d’abord, puis la recherche du bouc émissaire, le racisme et l’antisémitisme, l’intolérance, et enfin, l’élimination physique de ce qui est différent : l’escalade et les mécanismes des nationalismes sont toujours les mêmes, en temps de crise aujourd’hui, ou en temps de crise en 1929.

Que la France de Pétain ait participé à cette entreprise de destruction ne doit pas cesser, là encore, de nous interroger.

Il faut se souvenir, coûte que coûte, et sans tricher avec le passé, des actes ignobles, et des lois scélérates, d’une droite nationale et versaillaise qui tenait, en 1940, sa suprême revanche.

Revanche sur le siècle des Lumières, revanche sur 1848, revanche sur la France de la séparation de l’église et de l’Etat, revanche sur les forces syndicales, et politiques, de l’émancipation sociale, revanche sur le monde du travail, et le Front Populaire.

Vel d’Hiv, rafles d’août 42, la France de Laval et de Papon, commet l’irréparable. Elle collabore, mais pire encore, elle collabore avec zèle. Sur les 76 000 juifs de France déportés, dont 14 000 enfants, peu reverront leur sol natal. Mais à cette collaboration honteuse, s’ajoute l’esprit de Vichy, avec son cortège de textes liberticides, et réactionnaires.

Les citoyens que nous sommes, ne peuvent pas oublier le pétainisme, le monde du travail non plus. Les lois scélérates pleuvent : contre les femmes, avec l’avortement jugé comme « crime contre la sûreté de l’Etat » ; contre le monde ouvrier, avec le STO, la Charte du Travail avec des syndicats uniques, l’interdiction du droit de grève. Sans oublier la création des Groupes d’Action pour la Justice Sociale, chargés de traquer les réfractaires contre de l’argent, et d’enlever la main-d’œuvre, jusqu’en pleine rue.

Et que dire des milices de Pucheu, qui traquaient, sans vergogne, les opposants communistes et syndicalistes. A l’heure où la résignation gagne du terrain, à l’heure où, par dépit, beaucoup cèdent aujourd’hui aux sirènes du populisme, et de l’extrême droite, partout en Europe, souvenons-nous que l’ennemi, selon Vichy, ce n’est pas seulement l’étranger, c’est le progrès social, c’est l’émancipation des femmes, comme des classes ouvrières, c’est aussi l’instituteur.

Tout au long de son histoire, en 2013 comme en 39, l’extrême droite n’a jamais cherché à attaquer le capitalisme, et à sortir d’un modèle d’exploitation économique, mais, au contraire, à le conserver, à le renforcer, et à le préserver.

Ici, à la porte B Usine Marius Berliet, cette leçon-là, cette leçon de l’histoire, personne ne doit l’oublier, car tout le monde doit en avoir conscience : la bête immonde n’est jamais terrassée, elle peut renaître, et redresser, à nouveau, les hommes contre les hommes. Ici, il y a presque 70 ans, les combattants des Groupes Francs tombaient devant ces murs.

Ils s’appelaient Pierre Gayelen, Félix Gojoly, Louis Moulin, Jean Navarro, Louis Troccaz. Il y a quelques mois à peine, Vénissieux perdait une part de sa mémoire collective, en la personne de Charles Jeannin.

D’autres grands résistants nous ont quittés récemment, Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, François Jacob, les rangs s’éclaircissent, et il ne reste plus, à ce jour, que 22 compagnons de la Libération.

Ces hommes, qui ont su dire non au prix de leur vie bien souvent, ces hommes de valeurs, de République, et de progrès social, nous ont offert ce qu’il y a de plus beau : la liberté dans une France réhabilitée, et fidèle à ses principes universels de respect et de tolérance.

Ils ne donnaient pas de leçon, mais, sans relâche, ils témoignaient avec force, pour que le cauchemar qu’ils ont vécu fasse leçon, pour que le pire ne se répète pas.

C’est à nous, désormais, de porter leurs paroles, d’être les garants de la transmission, et les gardiens de la tolérance, et de la liberté, envers les jeunes générations.

Avec humilité mais détermination, nous qui restons, soyons dignes de leurs combats, et de leurs sacrifices !

Je vous remercie.

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