Ouverture du festival Essenti’Elles

… »Les droits des femmes dépendent de la volonté politique que l’on veut insuffler, et des moyens humains, financiers, logistiques, que l’on veut leur octroyer. »…

Nous avons hérité de ce combat, nous devons le rendre permanent. A travers les droits des femmes, c’est le degré d’émancipation et de liberté de nos sociétés, que nous mesurons, le sentiment d’appartenir à une très longue histoire, à un cortège de voix féminines et masculines, toutes progressistes.

D’Olympe de Gouges à Malala, des suffragettes à Virginia Woolf, de Marthe Simard, Lucie Aubrac à Simone Veil, de nos aînés à nous, des femmes et des hommes. Il y a là une permanence dans l’histoire, jamais révolue, que nous devons enrichir par une permanence de l’instant, de chaque instant.

Deux exemples récents me viennent à l’esprit, l’un dramatique, l’autre, tellement parlant. Dans la nuit de la Saint-Sylvestre, plusieurs centaines de femmes ont été victimes d’agressions à Cologne, 766 plaintes ont été déposées, dont plus de la moitié pour agressions sexuelles, et trois pour viols.

Les faits sont là, avérés, il s’agit ni de les édulcorer, ni de les passer sous silence, encore moins de les instrumentaliser, mais d’en dénoncer la violence, et l’extrême gravité. De mettre des mots, même s’ils dérangent, surtout s’ils dérangent pourrait-on ajouter, sur l’inacceptable. C’est à la fois la femme, et peut-être plus encore la liberté de la femme, qui ont été visées, cibles d’actes abjects et terrifiants.

Moins dramatique, heureusement, mais révélateur malgré tout, et surprenant de la part d’un milieu créatif, aucune femme ne figurait sur la liste des trente candidats, au Grand Prix du Festival de la BD d’Angoulême 2016. Avant que la polémique n’oblige la direction à rectifier le tir.

Deux exemples aux antipodes, que je ne compare pas, mais que je détache de l’actualité, pour que chacun prenne conscience, que les droits des femmes se défendent au présent, ici et aujourd’hui.

Ne pas avoir en tête cette idée d’une lutte permanente, c’est être aspiré immédiatement, par les forces rétrogrades, et reculer plus vite qu’on ne le croit, dix, vingt, trente ans en arrière. Même en 2016, même en France.

Depuis que nous avons créé le festival Essenti’elles, dont c’est la 4ème édition, nous avons voulu dépasser le strict temps de l’événement, pour nous inscrire dans un temps plus long. Cette démarche rejoint le thème de ce festival : l’éducation des filles et des femmes, comme levier de l’émancipation, et comme moyen de lutter contre les stéréotypes.

Aujourd’hui encore, 100 millions d’enfants n’ont pas accès à l’enseignement primaire, à travers le monde, dont 55% de filles, issues des milieux les plus pauvres. Par propagation, les femmes représentent 64% des adultes dans le monde, qui ne peuvent ni lire ni écrire, en comprenant le sens des mots. L’objectif de la parité des sexes, dans le primaire, ne serait pas rempli ni respecté, dans plus de 85 pays. L’enjeu est bien évidemment majeur, aussi bien pour l’émancipation des femmes, que pour l’acquisition de droits et, enfin, d’un réel statut social.

L’éducation est le creuset du droit des femmes, et en est sa perspective, dans la mesure où une mère, qui a eu accès aux connaissances, favorisera par la suite, la scolarisation de sa fille.

Si souvent, la situation est pire ailleurs, elle ne signifie pas qu’elle est parfaite en France. Des stéréotypes demeurent. Les filles réussissent globalement mieux à l’école, que les garçons (quel que soit leur milieu d’origine), poursuivent des études plus longues, et sont les plus diplômées de l’enseignement supérieur, mais elles s’insèrent globalement moins bien dans l’emploi, que les garçons.

Des différences persistent également, dans les orientations professionnelles. A quel titre, les filières littéraires seraient-elles plus féminines, que les filières scientifiques ? En matière d’éducation physique, des différences sont là encore marquées. Alors que 51% des filles pratiquent le sport en France, seulement 32% le font, en zones d’éducation prioritaire. La pression familiale et des interdits religieux, font obstacle à un accès partagé et démocratique, de certaines disciplines.

Comment s’étonner dès lors, que le contrat social ne fasse que prolonger, les inégalités entre les deux sexes ?

En France, la rémunération annuelle nette d’une femme, est encore inférieure de 25,7 %, à celle d’un homme. Le taux de pauvreté explose chez les femmes (22% contre 9% pour les hommes, et près de 23,7% pour les femmes de 18 à 24 ans !). Les deux tiers des salariés à bas salaires sont des femmes : temps partiels fractionnés, petits boulots, et comme la loi Macron est tout sauf progressiste, on retrouvera cette sur-représentation dans le travail de nuit, et le travail du dimanche.

Il n’y a aucune explication rationnelle, ni justification possible à ces discriminations, mais pourtant, elles perdurent et se perpétuent, malgré le fait de les dénoncer, malgré les campagnes de communication, malgré les lois. C’est là où notre combat doit rester permanent, pour dénoncer l’état de fait, ou quand des droits que l’on croyait acquis, reculent. Je pense à l’IVG, mise à mal par la fermeture de centres d’orthogénie, et la casse des services publics de santé, clairement ciblée par l’extrême droite.

Marion Maréchal-Le Pen, lors des régionales en PACA, ne s’est-elle pas engagée à supprimer les subventions au Planning Familial, pour en finir avec l’accès à l’avortement. Quand une femme politique, jeune de surcroît, choisit le pétainisme contre l’émancipation, ça en dit long sur les combats qui nous attendent, alors même que nous marquons cette année le 60ème anniversaire de l’association. Il faut donc se battre, inlassablement, se battre contre ce fléau de société, que sont les violences faites aux femmes. Se battre contre des stéréotypes d’un autre âge : 4 personnes sur 10 considèrent que « l’attitude provocante en public » qu’aurait eue une femme, déresponsabilise en partie le violeur. 36% des Françaises trouveraient des circonstances atténuantes au violeur, si une adolescente a adopté une attitude séductrice. Terrible constat, en forme de culpabilisation de la victime.

Changer les mentalités, c’est faire le choix du temps long, du temps qui sème, un enjeu dont notre ville s’est saisie, pour sensibiliser les Vénissians, et les jeunes plus particulièrement.

L’approche que nous avons privilégiée, pour la défense et la sensibilisation aux droits des femmes, est transversale. La remise du prix la Preuve Form’elle qui va suivre, pour une démocratisation de la pratique sportive au féminin, en est un exemple.

Le conseil municipal enfants, dont la promotion actuelle a choisi de porter le nom de Malala, nos 6 EPJ, le BIJ, nos équipements culturels, nos ateliers d’arts plastiques, les centres sociaux, le collectif femmes de Vénissieux, le CABV, la Maison de Quartier Darnaise, les associations, se mobilisent et effectuent un travail de proximité remarquable, que je tenais à saluer. Contre les discriminations, pour sensibiliser les jeunes sur les rapports filles-garçons, contre ce fléau terrible des violences faites aux femmes, il n’y pas un droit des femmes, mais des droits des femmes, et de très nombreux a priori à faire tomber.

En la matière, notre champ d’action ne doit pas être sectorisé, mais le plus large possible, pour renforcer la place de la femme, dans tout qui touche notre quotidien, de l’espace public à l’espace privé. C’est un travail de longue haleine, où il faut conquérir de nouveaux droits, et rester vigilants sur ceux acquis, et je voudrais associer à cette entreprise, l’ensemble de nos partenaires : l’Education Nationale, les associations, le collectif femmes, ainsi que nos services, qui s’investissent sans compter.

Vous le savez, le festival Essenti’elles est ouvert à l’expression artistique, qui émeut, qui interroge, qui ouvre, à sa façon, un espace de réflexion sur les droits des femmes. Ce canal de la culture, en complémentarité avec le canal du savoir, offre un moyen de sensibiliser les habitants à des thématiques, desquelles ils auraient pu se sentir éloignés.

Je remercie tous les intervenants de cette 4ème édition, ainsi que les artistes musiciennes et chanteuses, qui nous honorent de leur présence. Vous faites rayonner ce festival, et vous contribuez aussi, à renforcer la présence des femmes, dans le champ du spectacle vivant, où elles sont, là encore, sous-représentées. Sachez qu’en France, en 2013, seuls 29% des spectacles présentés sur une saison, ont été créées par des femmes. Il y a des barrières à faire tomber, là où on ne s’y attend pas forcément…

Un mot pour conclure. Les droits des femmes dépendent de la volonté politique que l’on veut insuffler, et des moyens humains, financiers, logistiques, que l’on veut leur octroyer.

Les paroles, les beaux et grands discours d’un jour, il en faut, mais ils ne remplaceront pas les actions de terrain, que Vénissieux mène au quotidien. Pour les associations, pour les collectivités locales, les politiques d’austérité qui nous sont imposées par Bruxelles et le gouvernement, sont un coup de poignard dans le dos, n’ayons pas peur des mots. Non seulement elles étranglent les finances locales, mais elles nourrissent ces populismes, qui font passer les sciences humaines, la culture et les droits des femmes, pour des enjeux secondaires, sans intérêt, à l’aune de la crise actuelle.

Ces discours sont très dangereux, car, comme le signalait Simone de Beauvoir, « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse, pour que les droits des femmes soient remis en question». Nous y sommes, malheureusement. Tout au long de ces trois journées qui nous attendent, je vous souhaite un excellent Festival Essenti’elles.

Je garde le mot de la fin pour Malala : « Un enfant, un professeur, un livre, un crayon peuvent changer le monde ».

Je vous remercie.

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