Marche pour l’égalité et contre le racisme.

… »Cet événement fait partie de l’histoire vénissiane et de l’histoire nationale, il doit trouver un écho, porteur d’espoir et d’attentes légitimes, dans le monde d’aujourd’hui. »…

Lundi 26 octobre 2013.

Retrouvez l’intervention de Michèle Picard, lors de la projection-débat à l’occasion des 30 ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, le vendredi 25 octobre.

Une marche pacifique a fait irruption dans l’histoire, dans la République, au cœur des longues luttes pour les droits civiques de notre pays. Elle a fait irruption comme elle a fait date, ici à Vénissieux bien sûr, où Toumi Djaïdja avec d’autres jeunes, lancent cette idée de marche pour l’égalité.

Le 15 octobre 1983, à Marseille, le cortège compte quelques dizaines de personnes. Deux mois plus tard, au terme du parcours, ils seront 100 000 à défiler à Paris.

Quand la première génération d’immigrés maghrébins n’avait pas d’autres possibilités que de baisser la tête, au travail comme dans l’espace public, la seconde, celle des enfants d’immigrés, apprend à la lever. Ce changement de génération reflète un changement de monde et d’aspirations.

Les premiers immigrés des années 50, symbole d’une main d’œuvre à bon marché que l’empire colonial vient exploiter, débarquent en France alors que rien n’est fait pour les accueillir. Ils vivent dans des bidonvilles, travaillent dans les usines ou à la mine, on leur demande de trimer sans se plaindre, ils apprennent à se taire. Les villes populaires gèrent, bien souvent seules, ce passage à l’ère industrielle. A Vénissieux, on passe en quelques années de 20 000 habitants à 75 000, il faut faire face, agir dans l’urgence. Au cœur de cette première génération d’immigrés, il y a aussi, je le crois, le sentiment que l’immigration est une parenthèse, pour cumuler un modeste pécule, pour pouvoir revenir au pays. Mais entre-temps, la crise de 73 va frapper durement et casser le plein-emploi. Le chômage structurel s’installe en France. Les jeunes qui forment « La marche pour l’égalité et contre le racisme », la deuxième génération, y sont directement confrontés. Malgré un contexte difficile, ils ont levé la tête.

Il y a bien sûr une revendication claire et légitime : halte au racisme, halte à la xénophobie, halte au rejet. Il faut se replacer au début des années 80, quand dans les banlieues régnait un climat de violence et d’impunité, qui allait provoquer la mort de dizaines de jeunes. Halte au racisme, halte à la bêtise humaine bien sûr, mais la marche pour l’égalité, prolongement des émeutes de 1981, porte un immense message d’espoir, un message positif, pacifique : ce mouvement se bat, il se bat pour appartenir à la France, pour vivre ensemble en France, pour être Français à part entière, avec les mêmes droits, avec les mêmes devoirs. Il y a une réelle aspiration à construire quelque chose en commun. L’apport est multiple, et des questions qui étaient volontairement ignorées, vont enfin occuper l’espace public : la question de l’égalité, la question de l’appartenance à une nation commune, la question des quartiers populaires viennent interpeller la société française dans son ensemble qui découvre, ce jour-là plus qu’un autre, sa diversité.

A travers cette reconnaissance et ces aspirations légitimes, le pacte républicain lui-même est interrogé : pourquoi les règles de solidarité s’arrêteraient-elles au pied des quartiers populaires ?

Pourquoi les conditions d’apprentissage ne seraient-elles pas renforcées dans les quartiers qui en ont le plus besoin ?

Pour quelles raisons les taux de chômage, plus forts qu’ailleurs, y seraient-ils tolérés ?

En quoi les logements insalubres et les conditions de vie dégradées, seraient l’exclusivité des quartiers populaires ?

De quel droit les transports en commun et la culture en seraient-ils absents ?

De Marseille à Paris, ces enjeux de société ont accompagné un cortège qui a réveillé les consciences citoyennes et civiques. L’égalité pour tous, l’égalité partout. Avec le recul, la question centrale qui a été posée il y a 30 ans, et qui reste d’actualité, est la suivante : existe-t-il un pacte républicain auquel croire sans la présence de l’Etat, auprès de chaque citoyen, dans tous les quartiers, dans tous les territoires d’une France unie et indivisible ? La réponse est non.

L’Etat n’était plus là, on lui demandait d’y revenir, en reconnaissant les droits de chacun. La marche pour l’égalité a fait bouger des lignes, des politiques de la ville ont été déployées, l’émergence d’une France multiculturelle s’est inscrite dans l’identité collective. Au tournant des années 80, la ville a immédiatement réagi, et cette succession d’événements a été en quelque sorte salutaire. La politique jeunesse de Vénissieux, les chantiers jeunes, les EPJ sont les héritiers de cette marche, ils traduisent la volonté de la ville d’intégrer plus encore la jeunesse, de l’impliquer dans des projets structurants.

En matière d’urbanisme, tout a été également repensé. Des barres ont été démolies, le plateau a été désenclavé, de nouvelles constructions, à taille humaine, sont sorties de terre. Qui, il y a trente ans, aurait fait le pari d’une renaissance des Minguettes ? Peu de monde, mais la ville, elle, y a toujours cru. Néanmoins, 30 ans après, des problèmes structurels demeurent pour les jeunes générations, que nul ne peut ignorer.

Dans certains quartiers populaires, le chômage des 15-25 ans aujourd’hui dépasse les 40%. Un constat terrible en forme d’échec, comme si certains verrous de la société française, malgré la marche, étaient restés en place. Des discriminations géographiques, spatiales, perdurent, les crises des années 90 et 2 000 en témoignent. Ces discriminations de territoire frappent un ensemble de population : les jeunes comme les personnes âgées, les travailleurs pauvres comme les familles monoparentales, et les femmes. Les quartiers populaires continuent de subir les crises économiques de façon dramatique et virulente, et la montée des populismes et de l’extrême droite, clive notre société. Elle la clive en stigmatisant l’immigré, le chômeur, les jeunes, elle la clive en cherchant des boucs émissaires à la crise, dans une dérive très dangereuse et inacceptable.

De l’éducation à la formation, de l’emploi au droit de vivre dans des quartiers ouverts et désenclavés, de l’accès à la santé comme à la culture, ou à la reconnaissance citoyenne et civique, le pacte républicain se doit d’agir pour intégrer toujours plus, pour accorder les mêmes chances, les mêmes droits et les mêmes devoirs à chacun d’entre nous. Il y a là encore, nous le savons, beaucoup de lignes à faire bouger. Dans son combat contre toutes les formes de discrimination et contre la xénophobie, dans ses actions pour la citoyenneté et une mémoire partagée, la Ville de Vénissieux tient à remercier tous ceux qui se sont impliqués, les associations Le Hareng Rouge, Vigilance Vénissiane et la Compagnie Second Souffle, mais aussi le personnel de nos équipements culturels, dans ce 30ème anniversaire de la marche pour l’égalité.

Sans oublier les hommes et les femmes qui, à l’époque, ont donné naissance et contribué à l’avancée des droits civiques en France. Cet événement fait partie de l’histoire vénissiane et de l’histoire nationale, il doit trouver un écho, porteur d’espoir et d’attentes légitimes, dans le monde d’aujourd’hui.

Je vous remercie.

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