Journée nationale à la mémoire des victimes de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc

Commémorer, c’est se rappeler, et tenter de prévenir le pire.

Ce 19 mars, le rendez-vous était fixé au nouveau cimetière pour une cérémonie commémorative de la journée nationale à la mémoire des victimes de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, avec les associations d’anciens combattants, FNACA-UFAC-ANACR-ARAC-UMAC. Commémorer, c’est se rappeler, et tenter de prévenir le pire. Il faut une balise, un repère, pour que la mémoire s’active, malgré une phase de transition douloureuse. Vénissieux a d’ailleurs été l’une des premières villes, en 1975, à baptiser une rue « 19 mars 1962 ».

A l’heure où la guerre et son lot d’horreurs et de drames résonnent à nouveau sur le continent européen, nous devons continuer d’œuvrer pour la paix, de rappeler à quel point le bruit des armes a toujours été le cauchemar et la souffrance des peuples et de l’humanité. Commémorer, c’est se rappeler, et tenter de prévenir le pire. Nous marquons cette année les 60 ans des accords d’Evian, qui mettent fin à 132 ans de colonisation, et 7 ans et demi de guerre en Algérie. Ce n’est pas simplement la raison qui l’emporte ce jour-là, c’est la force et l’intelligence du dialogue, quand le climat des deux côtés de la méditerranée prête à la peur, à la haine, à la violence aveugle.

Les accords d’Evian sont presque improbables, dans un contexte de guerre terrible, et dans la défiance réciproque dont font preuve les deux délégations, le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la république algérienne. Chacun se jauge, s’observe, se méfie, nul ne croit en l’autre.

Et pourtant, après un an de négociations plus ou moins officielles, le chemin de la paix va finalement être tracé. La première rencontre a lieu à Evian, le 20 mai 1961. La tension est telle, que le protocole stipule qu’aucune personne ne doit se serrer la main. A la tête des deux délégations, il y a d’un côté Louis Joxe, de l’autre Krim Belkacem.

Il y a surtout sur le terrain, une violence exacerbée. Les armes règnent, on se rend coup pour coup, entre l’armée régulière française et le FLN et l’ALN. L’extrême droite s’introduit dans le conflit, en choisissant la voix de la terreur. La première rencontre se solde par un blocage. De Gaulle veut aller vite, l’Algérie joue la carte de la guerre d’usure.

A la table des négociations, les Français réclament une trêve, l’Algérie l’indépendance et l’unité du territoire.

La pierre d’achoppement, c’est le Sahara, que la France veut garder sous contrôle, pour que ses grandes compagnies privées continuent d’exploiter le pétrole, le gaz, mais aussi les essais nucléaires. L’Algérie veut l’intégrer dans les limites de son territoire.

La deuxième rencontre a lieu à Lugrin, en février 62. Entre les deux rencontres, la nuit terrible de la répression sanglante des manifestants algériens, à Paris, le 17 octobre 61, projette le conflit en métropole.

Elle marque aussi dans l’opinion française, la montée et la nécessité d’arrêter cette guerre terrible, et d’accorder l’indépendance à l’Algérie. A Lugrin, des compromis sont enfin trouvés. La France voulait garder la base militaire de Mers-el-Kebir 100 ans, elle concède un bail de 15 ans. Les principes d’autodétermination et d’indépendance avancent.

La troisième et dernière rencontre a lieu à Evian, en mars. Pendant ce temps-là, l’OAS pratique sa politique de la terre brûlée. Elle multiplie les attentats (plus de 50 en très peu de temps), les exécutions sommaires et enlèvements, pour détruire et ramener l’Algérie aux années 1830, et au début de la colonisation.

Le 8 mars, les négociations sont proches de la rupture. Le statut des pieds noirs divise. La France veut leur accorder la nationalité française, et des droits civiques algériens. L’Algérie estime que ce statut remettrait en cause, l’intégrité et la souveraineté du pays. L’ordre public clive un peu plus les discussions : pour le FLN, il relève de la police algérienne, pour la France, de l’armée régulière. Mais la raison, enfin, mais bien tardivement, va finir par l’emporter. Le cessez-le-feu dès le 19 mars, et l’évacuation militaire, sont actés. Les deux référendums accordés aux peuples français, dans un premier temps, et algérien, débouchant sur le choix de la création d’un état indépendant, vont être organisés.

Pour les droits des « Européens », les populations ont trois ans, pour choisir leur nationalité. Quant au Sahara, les entreprises françaises peuvent poursuivre leurs activités pendant six ans.

Est-ce la fin de la guerre ? Non, car les violences, de l’OAS principalement, mais aussi de l’ALN, vont se poursuivre sur le terrain, et l’horreur des massacres des harkis commencer. Mais vaille que vaille, le 18 mars et le 19 mars amorcent un processus de sortie des combats, après plus de 7 ans de guerre qui ne disait pas son nom. Il était important de se battre pour garder cette date du 19 mars, comme marqueur de la fin de la guerre en Algérie.

Il faut une balise, un repère, pour que la mémoire s’active, malgré une phase de transition douloureuse. Vénissieux a d’ailleurs été l’une des premières villes, en 1975, à baptiser une rue « 19 mars 1962 ».

A partir de cette date, après tant de drames et d’horreurs, la France tourne enfin la page de la colonisation, une politique d’asservissement d’un peuple par un autre, de domination d’une culture sur une autre, d’exploitation des ressources du puissant sur l’opprimé.

Le plus terrible dans cette guerre et dans ce rendez-vous raté, avec l’émancipation des peuples et le cours l’histoire, c’est que c’est la République qui le manque, et non un régime illégal ou illégitime. La 5ème République plonge dans le déni, et refuse de voir le mouvement en cours, malgré l’indépendance des protectorats de Tunisie et du Maroc, en 1956. La France s’obstine et reste sourde face à la décolonisation en marche, à l’autodétermination, et face à l’indépendance d’Etats souverains. Le bilan est terrible : côté algérien, entre 300 000 et un million de morts, pour un pays qui ne comptait à l’époque, que 10 millions d’habitants.

La France avait mobilisé deux millions de jeunes, et déployé 400 000 hommes. 30 000 d’entre eux ne reverront plus leur sol natal, dont 13 000 appelés, emportés par une histoire qui les dépassait, et sacrifiés par un Etat français autiste et aveugle. Sept Vénissians y trouveront la mort.

Le sang continue de couler après le 19 mars 1962, et l’application du cessez-le-feu : assassinats et attentats de l’OAS, massacres des Harkis que la France abandonne. 60 000 d’entre eux seront exécutés, décimés, assassinés, sans que l’Etat français n’intervienne. Limiter la guerre d’Algérie de la Toussaint Rouge au début des années 60, c’est refuser de voir ce que la colonisation a fait naître de pire.

Entamée à la fin de la Restauration, et à peine achevée sous Napoléon III, la colonisation est un bain de sang, dès le 19ème siècle. Viols, pillages, récoltes dévastées, mise à sac des villages tenus par la résistance d’Abd-el-Kader, populations enfumées dans des grottes, jusqu’en 1847, la guerre, soutenue par Thiers, est déjà sauvage, féroce. Le massacre de Sétif en 1945 est une abomination inexcusable, une répression brutale et sanglante, qui fera plusieurs milliers de victimes, l’usage systématique de la torture à partir de 1956, une page noire des autorités militaires françaises. A plus d’un titre, Sétif marquera une bascule.

Beaucoup d’algériens comprennent qu’un mouvement pacifiste ne suffira pas, pour obtenir l’indépendance, ils s’inscrivent alors dans la lutte armée, la seule voie à leurs yeux, pour avancer vers une Algérie libre et souveraine, et se débarrasser de la présence française.

Sous la férule coloniale, un autre désastre est en cours, sourd, silencieux, celui de la désagrégation progressive de la société, de la culture, de la tradition agraire de l’Algérie. Ethnologue dans les Aurès dans les années 30, Germaine Tillion interpelle, dès 54, les pouvoirs publics, face aux conditions de vie des Algériens.

L’exode rural, la raréfaction des parcelles, la destruction des liens sociaux, font plonger des familles paysannes dans la misère. A Paris, personne ne l’écoute, personne ne l’entend. Des saisies sont opérées au journal L’humanité, la censure et la raison d’Etat étouffent toute contestation.

Au sujet de la disparition de Maurice Audin, jeune mathématicien communiste enlevé par les parachutistes français, une note des services secrets américains, montre à quel point la connivence entre l’Etat et certains activistes de l’armée françaises, constituait une sorte de société secrète.

Là encore, dans la dénonciation des exactions en tous genres et de l’usage de la torture contre des civils, le livre intitulé La question de Henri Alleg, arrêté le lendemain de Maurice Audin, sera immédiatement censuré, et les exemplaires mis en vente saisis dans l’urgence. Déni et omerta sont devenus la règle.

J’ai pris ces quelques exemples, mais j’aurais pu citer Jacques Derrida, le Manifeste des 121, Jean-Paul Sartre, Pierre Vidal-Naquet, et de très nombreux militants de base, dont certains paieront au prix de leur vie, leur engagement pour une Algérie indépendante, au métro Charonne, victime d’une répression policière aveugle.

Aujourd’hui, nous le savons, au-delà des blessures épouvantables que la colonisation et la guerre ont provoquées, il nous faut aller vers une mémoire commune, des deux côtés de la Méditerranée. Le rassemblement au lieu des ressentiments, la vérité historique au lieu du déni historique, la transparence au lieu de la repentance.

L’immédiat après-guerre, a été marqué par trop de non-dits en France, par la tentation et l’instauration d’une histoire unique ou unanimiste, en Algérie. Plusieurs générations ont été ainsi privées d’une parole commune, chacune s’est repliée sur ses propres douleurs.

De cette guerre d’Algérie morcelée, est née une guerre mémorielle, que chacun regarde et interprètre, depuis son vécu et ses traumatismes. C’est la porte ouverte à une instrumentalisation de l’histoire, que certains ne se gênent pas d’exploiter, à des fins partisanes. Pour autant, il nous faut rester optimiste, et nous avons des raisons d’y croire. Parce que la politique des petits pas est en marche, depuis une trentaine d’années.

1999, reconnaissance officielle du terme de guerre d’Algérie, par l’assemblée nationale.

Grâce à des historiens, mais aussi des élus locaux, la nuit terrible du 17 octobre 61, fait désormais partie de l’histoire de notre pays.

Peu à peu, la France reconnaît l’injustice et la brutalité de la colonisation, la lâcheté envers les harkis. Un projet de loi de reconnaissance et de réparation à destination des Harkis vient d’être adopté par le parlement le 15 février dernier. La prochaine ouverture des archives sur « les enquêtes judiciaires » de la guerre d’Algérie (1954-1962), avec quinze ans d’avance, a été validée.

L’historien Benjamin Stora, a remis le 20 janvier au président français, Emmanuel Macron, un rapport sur la réconciliation mémorielle, oui, les choses avancent, lentement certes, mais c’est ce chemin et cette voie tracée, qui nous incombent.

Un mot en forme d’hommage pour conclure. Le président d’honneur de la FNACA et président de la section vénissiane pendant 35 ans, jusqu’en novembre 2016, André Bruyas, homme de paix, nous a quittés fin décembre.

Les mauvaises nouvelles s’enchaînent puisque nous venons d’apprendre la disparition d’André Réa, vice-président de la FNACA. C’est en leur mémoire que je dédie cette cérémonie du 19 mars.

Je vous remercie.

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