Journée des femmes élues

Le sens de l’engagement est au cœur de tout.

Ce matin, je suis intervenue en ouverture de la journée des femmes élues en Auvergne Rhône-Alpes. Une rencontre autour de l’engagement et de la place des femmes dans notre démocratie représentative.

Je remercie les organisateurs de m’avoir invitée à cette journée des femmes élues Auvergne-Rhône-Alpes. Comme vous le savez peut-être, je suis le maire de Vénissieux depuis 2009, 3ème ville de la Métropole, 6ème de la Région, pour une population de 67 000 habitants. Populaire, jeune, industriel et doté d’un tissu économique attractif et dynamique, notre territoire possède de nombreux atouts, malgré un chômage trop élevé, et de nombreuses familles sous le seuil de pauvreté ou en situation de précarité, comme dans bon nombre de villes populaires. Je brosse un portrait très rapide de Vénissieux, car le statut de l’élu local est le reflet d’une sociologie et d’une géographie particulières, d’une typologie et des problématiques de sa ville. Et des convictions politiques qui nous animent, bien évidemment.

Pour paraphraser une citation de Simone de Beauvoir, je dirais qu’on ne naît pas maire, mais qu’on le devient.

En quoi le fait d’être femme et élue change-t-il notre engagement ? Le premier mot qui me vient à l’esprit, c’est « légitimité ». Aujourd’hui encore, elle ne nous est pas accordée naturellement, ni par la souveraineté acquise dans les urnes, ni par la place occupée dans un poste à responsabilité, ou dans un conseil d’administration d’un grand groupe privé. Il nous faut faire nos preuves, prouver nos compétences, quand un homme en politique ou ailleurs, ne souffre lui d’aucun procès en légitimité.

Ces réflexes misogynes, cette empreinte patriarcale du pouvoir existent toujours, aujourd’hui en 2022.

Comme si les femmes n’avaient pas la faculté de prendre les bonnes décisions, comme si elles étaient incapables de faire preuve de fermeté, le cas échéant, ou d’analyses plus fines que les hommes, dans d’autres situations. Si un homme est ferme, il fait preuve de courage, si c’est une femme, on la qualifie d’arrogante, ou d’hystérique.

La femme élue, c’est donc la femme à qui on demande plus, qui part de plus loin que les hommes, qui doit démontrer ses aptitudes à chaque instant. Souvenons-nous des attaques honteuses et antisémites qu’a dû subir Simone Veil, à l’Assemblée Nationale.

Des propos désobligeants au sujet d’une tenue vestimentaire d’une députée, quasiment sous chaque mandature, ou diffamatoires dans nos institutions, qu’elles soient nationales ou territoriales.

Cette réalité, il faut la changer : à nous, femmes élues, de rester nous-mêmes dans un premier temps, à la société de sortir des paradigmes patriarcaux, car si les choses bougent, elles se mettent en mouvement bien trop lentement.

Dans nos représentations mentales, souvent de manière inconsciente, on n’attend pas la même chose d’un garçon ou d’une fille.

C’est cet imaginaire collectif, fruit d’une éducation trop longtemps centrée sur la place de l’homme, qui crée des archétypes reproductibles, de l’école à bien d’autres domaines.

Des valeurs inégalitaires continuent ainsi de se propager dans toutes les strates de notre société, et à tous les âges : sport, filières universitaires, culture, santé, inégalités salariales dans le monde professionnel, pensions de retraite, etc.

Personne ne sera étonné que ces schémas touchent le milieu politique. Il nous reste donc beaucoup de réflexes et de barrières psychologiques à lever, en chacun de nous dans un premier temps, avant d’entrer en résonance dans le cœur de nos vies collectives.

Il faut relire l’histoire, pour comprendre que la place des femmes dans notre démocratie représentative, est assez récente à l’échelle du temps.

Et en retard par rapport à de nombreux pays. Le droit de vote des femmes en France ne date que du 21 avril 1944. 33 femmes entrent à l’assemblée la première fois, en octobre 45.

Au début du 20ème siècle, voire à la sortie de la première guerre mondiale, des pays nordiques, l’Angleterre, la Pologne, la Hongrie, la Russie, l’Allemagne et bien d’autres, avaient déjà franchi le pas.

A la sortie de la Seconde Guerre Mondiale, on ne compte que 6 femmes sur 1 061, parmi les compagnons de la libération, malgré un engagement précoce dans la Résistance. « L’impôt du sang n’a pas suffi à fonder l’égalité », comme le souligne l’historienne Hélène Eck.

Et aujourd’hui, qu’en est-il ? Malgré les lois sur la parité, la sous-représentation des femmes en politique reste criante, et injustifiable. A peine 20% des maires sont des femmes, dont le quart dans des villes de plus de 100 000 habitants. Elles ne représentent que 38% des députés, et 33% des sénateurs. Aucune femme n’a été élue à l’Elysée, seules deux sont parvenues au 2ème tour.

Une seule est devenue Premier Ministre. Pas de présidence de l’Assemblée, à l’exception d’un court intérim, pas de présidence au Sénat, du Conseil Constitutionnel, du Conseil Economique, social et environnemental, de la Cour des Comptes.

D’autres pays connaissent la même situation, les mêmes freins, mais l’empreinte patriarcale est très marquée en France. Il y a là une contradiction majeure, entre un système inégalitaire reposant a contrario sur le mythe fondateur des Droits de l’Homme, et de l’égalité.

Le sens de l’engagement est au cœur de tout. Il est propre à chacun, et il serait faux de croire que les jeunes sont indifférents au monde qui les entoure.

Ils se mobilisent pour les grandes causes de solidarité, de justice sociale, du climat, peut-être moins dans les partis politiques traditionnels que sur les réseaux sociaux, ou dans une nouvelle forme de citoyenneté.

Pour parler de ma propre expérience, je ne me suis jamais dit, je vais devenir maire. Mais tout au long de mon parcours, par contre, je me suis engagée pour les autres.

Pendant ma scolarité, j’ai toujours été déléguée de classe, à 14-15 ans je militais pour le Mouvement de la Paix, j’ai participé à des campagnes de collecte de jouets pour le Secours Populaire. Dans ma famille, lors des repas, nous parlions de l’histoire, de politique, des conditions sociales de notre société.

J’ai beaucoup lu également, des auteurs qui allaient par ailleurs s’engager dans leur œuvre comme dans leur vie, Sartre, Malraux, René Char. Je me suis rendue compte très vite, que je voulais agir pour faire bouger les choses.

Mon adhésion à un parti est donc l’addition logique de tous ces éléments.

Aujourd’hui en tant que maire, je développe des politiques de citoyenneté fortes, auprès des enfants et des jeunes, avec la création du Conseil Municipal Enfants notamment. L’engagement passe par l’apprentissage des règles démocratiques, de l’expression dans un collectif.

Pour les jeunes femmes, j’ai envie de leur dire : « osez, car rien ne sera fait pour que vous réussissiez, rien ne vous sera facilité, pour que vous parveniez à réaliser vos projets et vos souhaits ». La mixité est devant nous, le but à atteindre, mais le chemin pour y mener est encore long.

Je vous remercie.

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