Francisque Pachès, engagé dans les Brigades Internationales

Le 4 juillet 2011 – Retrouvez l’intervention de Michèle Picard lors de la mise à l’honneur de Francisque PACHES,engagé dans les Brigades Internationales, vendredi 1er juillet 2011.

Le 4 juillet 2011

Retrouvez l’intervention de Michèle Picard lors de la mise à l’honneur de Francisque Pachès, engagé dans les Brigades Internationales, vendredi 1er juillet 2011.

Si loin que l’on aille, c’est toujours sur soi que l’on retombe. Tout voyageur sait cela. Au bout de toutes les terres parcourues, c’est en fait un même pays que Francisque Pachès a habité : le pays de la générosité, jusqu’à s’effacer derrière la douleur des autres, et le pays de la liberté, au gré des Républiques à défendre. Les idéaux, après lesquels on court, sont sans frontières, voilà pourquoi la vie de Francisque est une vie de départs et de retours, certains choisis, d’autres subis, une vie en mouvement.

Dire que la première des terres de Francisque est espagnole, ce serait aller un peu vite en besogne, mais ce ne serait pas non plus mentir. N’oublions pas Bourges, dans le Cher, et un 25 novembre 1917, lieu et date de sa naissance, d’un père ébéniste et d’une mère femme au foyer.

Peu de temps après, la famille vient s’installer à Lyon sur les pentes de la Croix Rousse, « la colline qui travaille ». A l’âge de 20 ans, on ne résiste pas à ses propres convictions, heureusement d’ailleurs, on les prend sous son bras et on s’engage. C’est l’heure pour Francisque de la terre d’Espagne, que sa mère devenue veuve avait retrouvée. Une terre d’Espagne qui est une terre de compagnonnage, une terre de fratrie Républicaine : les Brigades Internationales dans lesquelles Francisque s’engage volontairement.

Francisque Pachès

Les années de sa jeunesse sont des années de formation : formation à la peur, à la violence des combats, formation à la résistance et à la loyauté, formation à la dureté de la vie, quand l’histoire avec un grand H vous envoie sans prévenir sur un champ de bataille. François Ruiz, Albert Canova, les Frères Amadéo, Emile Cracco, Aimé Turrel, André Castelhano, Joseph Balaguer, et bien sûr Francisque Pachès, voilà les brigadistes de Vénissieux, partis aux côtés des Républicains, pour lutter contres les nationalistes de Franco, soutenus par les forces de l’Axe et le Reich Hitlérien. Dans les combats du Jarama, de Guadalajara, de Brunete, de Belchite, de Teruel, du front d’Aragon et de l’Èbre, il s’est joué là bien plus qu’une guerre civile, il s’est joué là, le cours du 20ème siècle, et la tragédie qui allait emporter l’Europe et le Monde, aux confins de la barbarie.

Engagé au bataillon « André Marty », en qualité de commissaire politique, Francisque connaît l’âpreté des combats, et le miracle de la vie qui ne tient qu’à un fil ou à un acte. Celui, par exemple, qui fait que Francisque interdit de tirer sur un homme dont la tête émerge à peine du fleuve, et que l’on distingue mal sous le feu des balles et des batailles qui font rage. Cet homme, c’est le lieutenant François Ruiz, de l’état-major de la 14ème brigade, qui est devenu par la suite le gardien de la Maison du Peuple de Vénissieux.

Dans ce combat pour la liberté, Francisque devient en quelque sorte celui qu’il est déjà : fidèle aux amis des Brigades dans lesquelles il se fond avec modestie, humilité et courage. C’est cette même loyauté aux hommes qu’il a côtoyés, qui lui fera dire Non aux injonctions de Rol Tanguy de changer de brigade, à la fin de la guerre d’Espagne. Bien des années après, lors d’une commémoration de la libération de Vénissieux, il lui avouera être resté auprès des siens, et avoir transgressé les ordres.

Francisque était un homme droit, gentil et chaleureux, un homme qui n’aimait pas la lumière par trop étincelante, des reconnaissances et des vanités. Peut-être faut-il voir là, dans cet art de vivre la discrétion, son refus à la proposition de Charles Hernu, de recevoir la légion d’honneur. Les honneurs particuliers, c’est pour les autres, son honneur à lui, aura toujours été de défendre les autres, de les défendre collectivement, sans strass ni paillettes. Comme tout homme de caractère, « il valait mieux être son ami que son ennemi », comme l’a si bien dit Guy Fischer.

Il a certainement dû être plus sensible à la reconnaissance partagée de la qualité d’anciens combattants, accordée en 1996 par Jacques Chirac, aux survivants français des Brigades internationales, à la demande des députés communistes. Parmi eux figurent trois fils de brigadistes : José Fort, Jean-Claude Lefort, et François Asensi, ici présent, que je remercie d’être venu nous rejoindre à Vénissieux.

Terre d’Espagne, puis Terre d’Allemagne. 1936-1939. C’est la même Histoire qui est en cours, les mêmes discours de haine, de rejet et d’intolérance, proférés par le pire régime de notre histoire : le 3ème Reich. Une Espagne, à feu et à sang, puis maintenant, la France et le Vieux Continent. Cette France, sûre d’elle, sûre de son armée, qui tombe comme un fruit mûr dans le chaos épouvantable du Régime de Vichy.

Incorporé en novembre 39, à la compagnie divisionnaire antichars, cité à l’ordre du régiment, pour avoir exécuté, avec un courage héroïque toutes les missions confiées, sous le bombardement violent du 15 juin 40 à Juvisy, Francisque sera fait prisonnier en région parisienne. Il sera ensuite transféré en Allemagne et en Pologne, dans différents stalags. Dans les conditions terribles de détention et de déportation, dans un environnement hostile, c’est toujours le même principe qui l’anime, qui le fait tenir debout : l’égalité des individus, dans le dénuement comme dans les périodes plus souriantes.

Ecoutez ces mots et cette lettre de Francisque, alors prisonnier de guerre, à Antoine Lambert, son beau-frère, qui vient de lui envoyer un colis de vivres. Je le cite : « En ancien combattant et prisonnier, je pourrais fort bien me passer de toutes ces bonnes choses, aussi je vous prierais de ne pas m’envoyer des aliments qui pourraient vous manquer à vous tous, et je ne voudrais pas que mes petites nièces en souffrent ! ». Cinq années terribles, dont il mettra un terme en s’évadant en avril 45, lors de son transfert vers Berlin.

Vénissieux enfin, et la paix surtout, Vénissieux, terre d’asile et terre civile. C’est là que Francisque commence une vie professionnelle chez Berliet, où il rencontre son âme sœur, Simone, avec laquelle il se marie, et avec laquelle il aurait fêté leurs 61 ans de mariage le 5 août prochain.

Ils s’installent ensuite à la Cité d’urgence, puis avenue du Stade, et enfin boulevard Ambroise Croizat. Ce dernier logement était un havre de paix, surnommé La Suisse, c’est-à-dire un territoire neutre, où la tendresse et la complicité régnaient sur les soucis du quotidien. Trois enfants sont nés, Jean-Marc, Sylvie et Elisabeth. Pour eux, Vénissieux n’a bientôt plus de secret, la Maison du Peuple était devenue leur deuxième maison, la famille de Luther Sanchez, une extension de la camaraderie vénissiane.

Mais l’engagement et le combat permanent contre les inégalités et les injustices sociales, ça ne vous lâche pas comme ça, qu’on ait 20 ans en Espagne ou 40 à Vénissieux. Chez Berliet, tout d’abord, où ses activités de secrétaire général des sections Berliet CGT lui valent un brutal licenciement.

Sa vie professionnelle se poursuivra chez Vallourec, puis Valexy, avec l’ami de toujours Luther. Peut-être parce qu’il a été l’ami d’Ambroise Croizat, ce ministre du travail auquel on doit tant (la sécurité sociale dont on fête cette année les 65 ans), peut-être parce que la vie n’a de sens qu’à travers l’engagement.

L’implication politique de Francisque n’étonnera personne. Le PCF bien sûr, puis l’équipe municipale de Vénissieux, dont il deviendra l’un des conseillers de 1959 à 1971 avec, comme chefs de file Louis Dupic, puis Marcel Houël. Il participa notamment à la création du jumelage Vénissieux-Oschatz, mais aussi, avec son ami Luther, à l’association Les amis de la musique, fanfare et majorettes, histoire de mettre des notes, des couleurs et du vivre-ensemble dans nos rues. En organisant le Festival international de la musique à Vénissieux, au stade Laurent Gerin, il redonnait aux musiciens venus d’Italie, d’Espagne, du Portugal et d’Allemagne, un petit air de brigades internationales. C’était une véritable rencontre des cultures et des folklores.

Je sais par nature que Francisque n’aurait pas demandé, ni voulu, une cérémonie d’hommage comme celle que nous lui rendons aujourd’hui. Par réserve, par modestie, par humilité.

Féru de lectures sur l’histoire et la politique, lecteur passionné de biographies, autodidacte qui ne parlait pas moins de trois langues différentes. C’était un grand-père attentionné et tendre pour ses 7 petits-enfants auxquels, là encore, il a et aurait tout donné.

Francisque aura fait preuve d’une générosité et d’une humanité qui ne se sont jamais démenties, malgré les soubresauts de la grande Histoire, dramatique pour cette génération.

Malgré aussi toutes les embûches que l’on met dans les pattes de ceux qui défendent les plus démunis, de ceux qui placent le pacte républicain au-dessus de tout, au-dessus même du fragile destin de l’individu.

Il avait, je crois, une phrase de référence qu’il aimait citer, et c’est par elle que je voudrais clore cet hommage. « Il y a deux sortes de noblesses : celle du cœur et celle du travail ».

Oui Francisque, si loin que l’on aille, c’est toujours sur soi que l’on retombe.

Je vous remercie.

HommagePACHES01072011

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