Commémoration de l’appel du Général de Gaulle

… »Des hommes et des femmes mus par un idéal, qu’il fallait oser défendre sous les milices de Pucheu… »

Une table, un micro, une voix. La résistance dans sa plus simple expression, dans son plus simple dénuement. Ni armes, ni armées, juste la volonté de dire non, non à la France de Vichy, régime illégitime et illégal, non à la France qui se soumet, non à la France qui trahit sa propre histoire, la France de la République et des droits de l’homme. Il y a dans ce geste du Général de Gaulle, et dans cet appel du 18 juin 40, quelque chose de culotté, d’imprévisible et de spontané.

En pleine débâcle, alors que personne ne vous écoute, que beaucoup se moquent de ce jeune général peu connu, il faut oser appeler à la résistance, y croire en somme, et c’est dans cette force d’y croire, que la résistance grandira peu à peu.

Il faut se rappeler du contexte. Le 16 juin 1940, suite à la démission du Président du Conseil, Paul Reynaud, le général de Gaulle décide de partir le lendemain pour l’Angleterre, afin de poursuivre le combat. Il est accompagné de son aide de camp, le lieutenant Geoffroy de Courcel, et s’installe provisoirement dans un appartement, prêté par un Français, près de Hyde Park, au centre de Londres. C’est là qu’il rédige l’appel du 18 juin. Au milieu d’une immense solitude. Sur les 30 000 soldats français présents sur le sol britannique (les rescapés de Narvik et de Dunkerque), 58 seulement décident de rester outre-manche. D’autres, de simples citoyens, partiront immédiatement de l’île de Sein, avec l’idée de poursuivre le combat depuis la Grande-Bretagne.

Le paquebot Le Massilia permettra, lui, à des membres du gouvernement et 27 parlementaires, de quitter la France, pour continuer la guerre avec les troupes stationnées en Afrique du Nord.

La Résistance ne pèse rien ou si peu, et pourtant, éternelle histoire des petites rivières qui font les grands fleuves, c’est elle qui, cinq ans plus tard, libérera la France avec les alliés. Dans ses mémoires, le général de Gaulle évoque ces circonstances si particulières de l’été 40. J’ouvre les guillemets :

« La première chose à faire était de hisser les couleurs. La radio s’offrait pour cela. Dès l’après-midi du 17 juin, j’exposai mes intentions à M. Winston Churchill. Naufragé de la désolation sur les rivages de l’Angleterre, qu’aurais-je pu faire sans son concours ? Il me le donna tout de suite et mit, pour commencer, la B.B.C. à ma disposition. Nous convînmes que je l’utiliserais lorsque le gouvernement Pétain aurait demandé l’armistice.

Or, dans la soirée même, on apprit qu’il l’avait fait. Le lendemain, à 18 heures, je lus au micro le texte que l’on connaît. »

J’ai l’habitude de dire que le 18 juin est une date, mais surtout, que le 18 juin prend date. Sur le fond et à l’instant t, l’efficacité de l’appel est quasi nulle. Personne ne l’entend, et le général fait l’objet de railleries, surnommé le « Général Micro », par ceux qui livrent la France à la collaboration, et à la solde du régime nazi. Mais il porte en lui un espoir, une lueur, il fait le pari que rien n’est joué, que rien n’est définitif, et que cette guerre sera longue.

André Malraux parle très bien de l’esprit du 18 juin 40, je le cite :

« L’appel apporte une affirmation, presque une révélation, qui légitime ce qu’espèrent, et n’osent espérer, presque tous les Français, même ceux qui sont alors fidèles à Pétain : « La France n’est pas morte.  » L’essentiel est là. Ainsi de Gaulle révèle-t-il ce que beaucoup, à la fois, espèrent et n’osent espérer. Il s’agit moins de former un corps de bataille, que de témoigner, moins de prophétiser la victoire finale, que d’affirmer une réalité présente.  » La France n’est pas morte.  » Une idée toute simple, perceptible pour tous.

Le 18 juin, il s’agit de rendre confiance. Il répète trois fois :  » La France n ‘est pas seule. « . Ce qu’il veut, dès le 18 juin, c’est d’abord délivrer la France de son propre abandon. »

« Délivrer la France de son propre abandon », la phrase est remarquable, dans la mesure où la France sans la République, la France dans les mains de l’extrême droite, c’est une France abandonnée, une France qui rompt avec ce qu’elle est, ce qu’elle incarne : les lumières, 1789, 1848, 1936 et le Front Populaire…

Avec des mots simples, le 18 juin crée une brèche, minuscule certes, mais c’est un possible que ces phrases dessinent. Je cite un extrait de l’Appel de de Gaulle:

« Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non ! Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause, et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire. »

Entre ce 18 juin 40 et le 27 mai 43, naissance officielle du CNR, le chemin sera long. Les résistances de la première heure, sans lesquelles l’appel du général serait resté vain, sont, on peut le dire, héroïques. Elles seront aussi, celles qui seront les plus durement touchées. Le 18 juin ne sonne pas encore l’heure de Jean Moulin, de Lucie Aubrac, c’est prématuré, mais il pose un espoir, qui fleurira un an plus tard.

Août 41 : les communistes développent rapidement un mouvement de résistance armée, les Francs-tireurs et partisans français (FTPF), dirigé par Charles Tillon. D’obédience communiste, le plus important maquis de France, celui du Limousin, prend forme.

1941 toujours, des représentants du Parti communiste et du Parti socialiste d’Italie, réfugiés en France, signent l’« appel de Toulouse », puis le « pacte de Lyon », le 3 mars 1943, qui scellent l’unité d’action dans la Résistance.

Dans le Nord-Pas-de-Calais, des dirigeants de la SFIO créent un comité d’action socialiste (CAS), autant de structures qui augmenteront, après le procès de Blum et Daladier, parodie du procès de Riom. Les juifs, les chrétiens, les immigrés, et les FTP-MOI d’Epstein et Manouchian, tout le monde refuse l’impensable soumission de la France de Pétain, tout le monde refuse l’inéluctable et le défaitisme.

L’été 42, où Vichy et l’administration française mettent en place la déportation des juifs de France, et commettent l’irréparable, agira comme un électrochoc. L’été 42 est un tournant, un tournant prévisible, vers une escalade de la haine et de l’abject. Mais politiquement, ces rafles marqueront une rupture nette, entre l’opinion publique et Vichy, la population, les églises également, prenant conscience que les milliers de déportés n’étaient pas transportés en Allemagne pour y travailler, mais bien pour y être exterminés.

Le second tournant aura lieu en 1943. L’instauration du Service du Travail Obligatoire, fait basculer des milliers de jeunes dans la clandestinité, et une partie d’entre eux, dans la résistance.

L’autre date essentielle, lointain écho du 18 juin 40, concerne le 27 mai 43. Ce jour-là, Jean Moulin, délégué du Général De Gaulle, et ses deux collaborateurs, Pierre Meunier et Robert Chambeiron, ouvrent une réunion, qui va marquer l’histoire de notre pays.

Ils sont entourés des huit grands mouvements de résistance, des deux grands syndicats, la CGT et la CFTC, et des représentants de six partis politiques : le PC, la SFIO, les Radicaux, les démocrates-chrétiens, l’Alliance démocratique, la Fédération républicaine. Le Conseil National de la Résistance n’aurait pu être qu’un fer de lance de la lutte armée pour la Libération, ce qui en soi n’était déjà pas si mal, mais il sera bien plus, il sera un véritable laboratoire politique, et un levier pour des réformes progressistes incroyables.

Non seulement il pose les jalons de la bataille pour l’indépendance nationale, mais en plus, il anticipe les problèmes sociaux, qui se poseront après la guerre.

La modernité sociale du programme, on la doit justement à Pierre Villon, rédacteur du projet, et député communiste aux deux Assemblées nationales constituantes, puis à l’Assemblée nationale dès 1946.

J’en rappelle quelques mesures phares :

  •  La création de la sécurité sociale et du système de retraites par répartition en France,
  •  L’extension du nombre et des attributions des comités d’entreprises, le vote de la loi sur la nationalisation de l’électricité et du gaz.
  •  Et, plus ou moins indirectement, le droit de vote des femmes.

Du 18 juin à la libération du territoire, voilà ce qu’a permis la Résistance avec un grand R. Des hommes et des femmes mus par un idéal, qu’il fallait oser défendre sous les milices de Pucheu, souvent au prix de la vie, de la torture, ou de la déportation, dans les camps de l’innommable.

« C’est dans l’inespéré que réside l’espoir », dit Edgar Morin, grande figure de la résistance, philosophe, essayiste et sociologue. Que recherchent aujourd’hui nos sociétés et nos résistances ? Justement cela, un imaginaire, l’envie de croire et d’inventer des possibles, de bousculer les dominations du matérialisme, et de l’argent fou !

Il y a dans le 18 juin une part de rêve, un inaccessible que les hommes doivent aller chercher, doivent atteindre. Le 18 juin, c’est une résistance qui dit non, mais pas seulement, c’est aussi une résistance qui veut construire et bâtir un avenir. En cela, cet appel trace une voie plus contemporaine qu’on ne le croit.

Je vous remercie.

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