Audience arrêtés 27.04.23

Audience au tribunal administratif

Je me bats pour le respect des droits constitutionnels qui assurent à chacun une vie digne.

Les crises se succèdent, et les unes s’additionnent aux autres. Leurs effets sont encore plus violents dans les villes populaires. Un tableau déjà noir auquel se rajoute l’hyperinflation, l’envolée des prix de l’énergie et des produits alimentaires.

Une enquête récente du CSA montre que pour les ménages les plus pauvres, aux revenus mensuels nets de 900 euros, les dépenses contraintes représentent 80% du budget. Cela signifie qu’une fois payé le loyer, l’eau, l’électricité, les assurances, il ne leur reste que quelques dizaines d’euros pour se nourrir, s’habiller ou se soigner. Un choix inhumain et impossible !

En France, sur 10 millions de personnes pauvres, 3 millions sont des enfants ! C’est une alerte grave et choquante. Dans la métropole lyonnaise, 75 000 mineurs vivent sous le seuil de pauvreté, dont 12 300 dans notre circonscription. Les associations de solidarité sont inquiètes : en 1 an, le nombre d’enfants sans solution d’hébergement d’urgence a augmenté de 86%. Ils sont déjà 42 000 à vivre dans des abris de fortune ou à la rue !

Voici un extrait du courrier d’une habitante de Vénissieux : «Mme le maire, … Avec mes 2 enfants, nous sommes sans domicile, nous dormons dehors… S’il vous plait, permettez-nous d’être à l’abri de l’insécurité et du froid pour le bien-être de mes enfants. Nous sommes fatigués, nous avons besoin d’aide…». Que suis-je censée lui répondre ?

Dans ma ville, les situations des familles sans domicile fixe se multiplient. Depuis le début de l’année scolaire, une école sur trois est concernée. Une trentaine d’enfants, de 0 à 16 ans, se sont retrouvés à la rue. Dans un premier temps, la solution d’urgence reste la solidarité et l’accueil par des enseignants, des parents d’élèves, des collectifs. La solution ultime  est l’occupation des écoles.

Les maires se retrouvent isolés face à cette détresse sociale… Pourtant l’article 3452-2 du Code de l’Action Sociale et des Familles est précis : « Toute personne en situation de détresse a accès, sans aucune condition de régularité de situation, à tout moment, à un hébergement d’urgence».

« Plus d’enfants à la rue cet hiver ! » promettait, à l’automne, Olivier Klein, ministre du Logement. Un engagement non tenu puisque selon la Fédération des Acteurs de la solidarité, 2 000 enfants ont dormi dehors chaque nuit cet hiver. Ici, le 13 décembre, jour du déclenchement du plan Grand Froid par la Préfecture de Lyon, le collectif « Jamais sans toit » a recensé 270 enfants à la rue.

Quand le droit à l’hébergement et à l’éducation sont bafoués, ou sont les politiques publiques censées protéger ces enfants ? Où est  « l’intérêt supérieur de l’enfant » reconnu par notre Constitution? Où est le droit à la santé, à la sécurité matérielle, au repos et au loisir, le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ? Autant de droits inscrits dans la Convention Internationale des droits de l’Enfant dont l’État est signataire.

La réalité des enfants à la rue est douloureuse. L’UNICEF dénonce des conditions de vie dégradées, des parcours scolaires chaotiques et des répercussions catastrophiques sur leur santé mentale et physique. Plus de 19 % d’entre eux souffrent de troubles mentaux contre 8% des enfants au niveau national.

A Vénissieux, le diagnostic local de santé réalisé en 2019 par l’Observatoire Régional de la Santé Auvergne-Rhône-Alpes, révèle des situations de surpoids et d’obésité importantes pour les enfants en situation de précarité, une dégradation de la santé bucco-dentaire, des troubles psychiques et de développement, notamment de langage, d’acquisitions scolaires et de motricité.

Nos infirmières scolaires attestent de faits poignants tels que ces 3 fillettes, en insuffisance pondérale, dont la mère tente d’obtenir des remises sur la nourriture sur les fins de marchés. Ou encore, ces enfants, souvent stigmatisés par leurs camarades, qui vont à l’école le ventre vide, les vêtements souillés, inadaptés à la saison ou trop petits.

L’Observatoire des Inégalités montre que la pauvreté infantile est encore plus prégnante dans des familles monoparentales, majoritairement des femmes seules avec enfants. Confrontées aux emplois précaires, aux temps partiels subis, elles sont aussi plus exposées aux accidents de la vie. 36 % d’entre elles se retrouvent sous le seuil de pauvreté, dans l’année qui suit une séparation. Dans le Rhône, elles représentent plus de la moitié des personnes surendettées de 25 à 54 ans. Pour ces mamans solos, c’est au quotidien la peur, les privations et la culpabilité, comme en témoigne cette mère de 2 enfants : « … Etre pauvre,… ça vous fait crever littéralement de l’intérieur…. Je dois constamment mentir à mes enfants. Leur mentir pour leurs cours de gym où ils ne vont plus, leur mentir pour le contenu du frigo, leur mentir pour les vacances où l’on ne partira encore pas. »

La situation est extrêmement grave. Personne ne peut plus le nier.

Pour le Président des Restos du Cœur, il suffirait d’une crise supplémentaire pour mettre en danger la pérennité de l’association. Le Secours Populaire enregistre une augmentation de 48% des demandes d’aides alimentaires. Comment ces familles peuvent-elles s’en sortir, confrontées à l’envolée des prix de l’énergie et des produits alimentaires de première nécessité … ? Pour beaucoup, c’est la débrouille, les privations drastiques pour survivre, et même le vol à l’étalage.

Les derniers chiffres du Ministère de l’Intérieur sont sans équivoque : les vols de produits de première nécessité (alimentaire et d’hygiène) ont augmenté de 14 % en un an. Les grandes surfaces en viennent même à poser des antivols sur la viande ou le poisson !!

Et cette précarité grandissante est une réalité dans notre métropole avec plus de 16% de sa population sous le seuil de pauvreté, 32% à Vénissieux. Face à cette dégradation sociale, les services publics de proximité développent des solidarités pour répondre aux besoins vitaux.

La commune de Vénissieux est largement mobilisée pour protéger et accompagner les habitants :

  • En 2 ans, la ville a dû rajouter près de 1,5 million d’euros de subvention au CCAS pour tenter de répondre aux besoins des habitants. Qu’en sera-t-il pour 2023 ?  Je suis très inquiète face à l’explosion des situations d’urgence.
  • Le coût des repas fabriqués par la cuisine centrale s’est envolé. Nous avons fait le choix de protéger les budgets des familles en limitant l’augmentation des tarifs de cantine à 2% soit 4 points sous l’inflation.
  • Et nous maintenons le repas à un euros pour les familles au quotient familial le plus bas. Si on compare le dernier trimestre 2021 au dernier trimestre 2022, le nombre d’enfants qui en ont bénéficié a augmenté de 133 %.
  • Et dans nos crèches l’an dernier, 53 % des familles ont bénéficié du tarif minimum, soit moins de 1 euro,

Cette année, 11 expulsions sont programmées et 5 effectives, malgré toutes les actions menées, avec nos partenaires, pour gérer, le plus en amont possible, les impayés de loyer. Ce travail aura tout de même permis à 78 % des ménages d’éviter l’expulsion. Mais la crise est trop forte et nos actions restent insuffisantes. Insuffisantes face à la crise du logement, une réalité dramatique pour plus de 4 millions de nos concitoyens mal logés, dont 1 million privés de toit personnel. Les demandes de  logements sociaux sont en constante augmentation, alors que notre pays en manque cruellement. Dans la métropole, 80 000 ménages sont toujours en attente. A Vénissieux, 4 000, et seule 1 demande sur 7 aboutit !

Insuffisantes au regard des politiques nationales du logement inefficaces, voire encore plus régressives :

  • Depuis 2017, près de 15 milliards d’euros ont été ponctionnés sur les aides au logement, dont plus de 4 milliards l’an dernier, sur les APL.
  • Avec la proposition de loi Kasbarian, les rapporteurs spéciaux de l’ONU craignent que l’Etat français ne respecte pas ses engagements internationaux. Criminalisation des plus précaires, accélération des procédures d’expulsion locative sans alternative de relogement, pouvoir limité des juges. Des mesures contraires aux obligations du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels qui garantit « le droit à toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris…. un logement suffisant ».  

Le véritable enjeu est de s’attaquer à la pauvreté plutôt qu’aux pauvres.  Empiler les textes et durcir les sanctions est contre-productif.

Stigmatiser les locataires, baisser les aides au logement, supprimer les aides à la construction, ponctionner les ressources des offices HLM ne sont pas des solutions pour sortir de la crise sociale et économique.

Et encore moins la multiplication des expulsions locatives, que le ministre du logement considère lui-même  « être toujours un échec ».

Au contraire, il est urgent de relancer une politique du Logement d’abord ambitieuse pour ces milliers de personnes à la rue.  Il faut augmenter l’offre de logements sociaux, des logements décents, accessibles et dignes, pour se reposer, se nourrir, se soigner, élever ses enfants …

Il est également impératif d’accélérer les rénovations pour lutter efficacement contre la précarité énergétique. D’après le médiateur de l’énergie, malgré le bouclier tarifaire et l’attribution de chèques énergie, 863 000 interventions pour réduction d’énergie pour impayés ont été réalisées en 2022, le niveau le plus élevé depuis 2015. 

Face à l’urgence sociale, il faut agir et vite !

Je reste persuadée qu’il est de mon devoir de maire de protéger mes concitoyens plongés dans une détresse sociale inextricable. Mais jusqu’à quand pourrons-nous jouer ce rôle d’amortisseur social ? Le pic n’est pas atteint, nous le savons, et les mois à venir seront encore plus difficiles.

De par mes pouvoirs de police, il est aussi de ma responsabilité d’assurer le bon ordre, la tranquillité, la salubrité publique et la sécurité des habitants contre les accidents dus aux moyens de substitution d’énergies notamment.

Je ne mène pas un combat juridique sans issue. Mes arrêtés n’ont rien d’un coup d’épée dans l’eau. Chaque année, je les défends avec des arguments juridiques, sociaux et économiques. Chaque année, nous constatons l’évolution gravissime de la précarité dans notre pays, sur le territoire métropolitain et communal. Je ne me résoudrai jamais à laisser des familles plonger dans la spirale de l’exclusion, privées de toute dignité dans une zone de non-droits constitutionnels.

Ces arrêtés sont une solution humaine et solidaire. Il est de notre devoir d’aider les ménages les plus en difficultés au lieu de leur maintenir la tête sous l’eau !

Je me bats pour le respect des droits constitutionnels qui assurent à chacun une vie digne.

Je lutte pour sortir tous ces enfants de la rue et leur donner des perspectives d’avenir.

Mes arrêtés traduisent dans les actes la résolution adoptée par le Conseil des Droits de l’Homme le 19 juin 2020, qui réaffirme que : « Les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme(1) mettent des obligations et des engagements à la charge des Etats parties, et NOTAMMENT DES POUVOIRS PUBLICS A TOUS LES NIVEAUX, en ce qui concerne l’accès à un logement convenable ».

Pour la Défenseure des Droits, « La pauvreté et l’indignité ne se soulagent pas, elles se combattent par le droit, en faisant respecter le droit ». C’est pourquoi mon objectif est constant : faire jurisprudence, pour que la loi évolue, pour que chaque citoyen puisse vivre et non pas survivre. Les droits fondamentaux inscrits dans notre Constitution ne sont pas des mots vains. Qu’ils redeviennent enfin une réalité pour tous est un combat pour la dignité humaine et la justice sociale !

  • (1)Déclaration universelle des droits de l’Homme, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
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