Audience au Tribunal Administratif de Lyon

« Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée… Chaque nuit, ils sont plus de deux milles, recroquevillés, sous le gel, sans toit, sans pain… Devant tant d’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent ».

Il y a 70 ans, le 1er février 2024 l’abbé Pierre lance un appel de réveil des consciences à la  mobilisation générale pour interpeller les politiques et créer, ce qui restera dans l’histoire, un formidable élan de solidarité populaire. Population, associations, pouvoirs publics se mobilisent « pour qu’aucun homme, aucun gosse ne couche sur l’asphalte ».

70 ans plus tard la précarité s’accélère de façon dramatique

Nos hivers sont devenus plus doux, mais pas le sort des sans-abris. Ils ne sont plus 2 000 aux portes de Paris, dans le froid, mais plus de 330 000 sans domicile fixe, sur tout le territoire. Parmi eux près de 3 000 enfants. Des familles, des enfants, ballotés de solutions précaires en solutions précaires, dormant dans des squats, sous des tentes, dans leur voiture, ou dans les écoles grâce à la mobilisation de parents et d’enseignants. Une situation que ne choque plus, les sans-abris font désormais partie du paysage.

En 2023, 646 personnes, sont mortes dans la rue, 6 avaient moins de 3 mois. 147 ont perdu la vie, depuis le 1er janvier 2024, là aussi, dans l’indifférence quasi générale !

70 ans plus tard, la crise du logement est toujours d’une violence extrême

Plus de 4 millions de personnes sont mal logées en France, et 12 millions sont fragilisées par cette  crise.

A l’automne dernier, chaque soir, plus de 8 300 personnes, dont 2 800 mineurs ont été refusées par le 115.

Une situation qui n’est pas nouvelle. En 2019 la Rapporteure de l’ONU déplorait que l’engorgement du 115 « sape le caractère inconditionnel du droit au logement et créé des hiérarchies au sein des personnes défavorisées ».

Elle rappelait également que « le droit international interdit formellement les expulsions dont l’issue est le sans-abrisme. »

70 ans plus tard plusieurs questions se posent encore :

Comment, dans une France en pleine reconstruction, l’appel de l’Abbé Pierre a remporté un tel succès, avec des effets concrets et immédiats avec notamment, la construction de 12 000 logements à  travers tout le pays ?

Pourquoi, 80 ans après la Libération, la crise du logement est toujours plus virulente, avec la recrudescence des squats, des bidonvilles et du nombre de personnes à la rue ?

Pourquoi la France, 7ème puissance économique mondiale, n’arrive plus à faire face à cette crise exponentielle ?

On dit que l’état de santé d’une société se mesure au sort qu’elle réserve aux plus pauvres de ses membres.

Que doit-on dire alors quand plus de 10 millions de nos concitoyens vivent sous le seuil de pauvreté, 12 millions de personnes souffrent de précarité énergétique et plus de 865 000 ménages ont été victimes de réduction de puissance ou de coupures électriques en 2022 ?

Que doit-on faire quand des millions d’hommes, de femmes et d’enfants n’arrivent plus à manger à leur faim, confrontés à l’hyperinflation des produits de première nécessité et à la flambée des prix de l’énergie alors que le pouvoir d’achat, lui, reste en berne ?

Partout les cris d’alarme s’enchainent, les associations de solidarité sont impuissantes, submergées par l’explosion des demandes d’aides et frappées elles aussi par l’hyperinflation.

A Vénissieux, nous tentons, autant que nous le pouvons, de développer toujours plus les solidarités

Nous sommes déterminés à jouer pleinement notre rôle d’amortisseur social. Pour ne pas impacter encore plus la population, nous avons fait le choix de ne pas augmenter nos  tarifs municipaux cette année, dont la cantine qui représente souvent le seul repas équilibré de la journée pour de nombreux enfants.

Les taux de notre fiscalité locale sont gelés depuis 2016. Nous maintenons, en lien avec la Métropole de Lyon, le dispositif « territoire Zéro non recours », pour aider et accompagner les personnes à accéder à leurs droits.

La Métropole vient également de voter une tarification solidaire de l’eau qui entrera en vigueur en 2025 et permettra, grâce au versement solidaire créé par cette tarification, de s’assurer qu’aucune famille ne voit la facture d’eau dépasser 3 % de ses revenus.

Chaque jour, nos services sociaux de proximité se mobilisent pour aider et accompagner les plus fragiles

C’est notre priorité, notre engagement, dans un contexte où 32 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Face à la crise, les difficultés financières des ménages pour faire face aux dépenses du quotidien s’accentuent : 69 % des aides financières accordées concernent le paiement du loyer, et 31 % le paiement des fluides.

Dans le même temps, les demandes de tarification sociale pour la restauration scolaire ont  augmenté de 20 %, signe d’une précarisation qui s’installe et qui augmente.

Malgré le travail engagé avec nos partenaires sociaux, pour gérer, le plus en amont possible, les impayés de loyer, 160 ménages ont été assignés en justice en 2023, les ¾ pour impayés de loyer. En 2024, 36 expulsions sont d’ores et déjà programmées.

Face à cette crise gravissime, quelles sont les réponses du gouvernement ?

La promesse d’Emmanuel Macron de zéro SDF dans les rues, sera-t-elle tenue un jour ?

Face au manque cruel de places en hébergement d’urgence, certains préfets sont contraints d’instaurer des critères de sélection drastiques. On assiste à une véritable politique de hiérarchisation de la misère.

Depuis plus de 20 ans, le modèle français du logement social est attaqué et les contradictions sont de  plus en plus criantes :

La loi DALO, donne obligation de relogement pour les familles et les personnes sans-logis, très  mal-logées ou menacées d’expulsions sans relogement, dans un délai de 3 à 6 mois. Pourtant, 93 000 personnes reconnues DALO ne sont toujours pas logées. L’offre de logement social est en chute libre aussi bien en matière d’attributions que de nouvelles productions.

Plus de la moitié des communes ne respectent pas la loi SRU. Pourtant, au lieu de renforcer cette obligation de construction de 25 % de logement social, le Premier ministre décide d’affaiblir la loi en intégrant, dans ce quota, une part de logements intermédiaires pour les classes moyennes. Cette loi était pourtant l’une des solutions pour résorber l’explosion des demandes. Et, on le sait, si l’on n’oblige pas certaines communes à construire des logements sociaux, ils ne se construiront jamais !

La loi SRU interdit aux villes disposant de plus de 40 % de logement social d’en construire d’avantage. Une mesure qui implique, selon les services de l’État, la chute de production sociale de 21 %.

Notre ville est directement concernée par cette interdiction. Alors quelle réponse dois-je donner aux 4 000 ménages demandeurs d’un logement social sur la ville ?

Doit-on demander aussi aux 20 millions de ménages éligibles au logement social en France de faire une croix sur ce bien commun vecteur de dignité, d’égalité et d’émancipation ?

Les plans 1 et 2 du Logement d’Abord censés lutter contre le sans-abrisme sont totalement contraires aux politiques publiques menées par l’État, notamment aux expulsions locatives aggravées par la loi « Anti-squat ».

En 2022, 17 500 expulsions ont eu lieu avec le concours de la force publique, un nouveau record historique.

En 2023, les remontées de terrain montrent un durcissement de cette politique, avec des expulsions plus systématiques, même sans propositions de relogement ou d’hébergement pour les ménages vulnérables ou prioritaires DALO. On marche sur la tête.

Et pourtant, le logement est une question de dignité humaine.

Les voix qui s’élèvent des territoires, des élus, des locataires, des associations de solidarité ne peuvent rester lettre morte.

Le logement est un droit fondamental. Un bien de première nécessité indispensable pour étudier, travailler, prendre soin de sa santé, se projeter dans l’avenir.

C’est un refuge où l’on doit vivre en paix et dans la dignité. Un lieu où les enfants doivent trouver sécurité et stabilité, où nos aînés doivent conserver les repères nécessaires au bien-vieillir.

Trouvons des réponses humaines et solidaires

Il est urgent d’augmenter l’offre de logements sociaux, des logements décents, accessibles et dignes, pour se reposer, se nourrir, se soigner, élever ses enfants… Face à l’urgence sociale, ne rajoutons pas de la misère à la misère !

C’est l’objectif des arrêtés que je prends chaque année, pour interdire les expulsions locatives sans solution de relogement, les saisies mobilières et les coupures d’énergies.

Ce combat, c’est celui d’une élue de la République déterminée à faire respecter nos droits constitutionnels

Je ne me résoudrai jamais à voir mes concitoyens plongés dans la spirale de l’exclusion, privés de  toute dignité dans une zone de non-droits constitutionnels. Il est de mon devoir de protéger les habitants les plus vulnérables.

De par mes pouvoirs de police, il est aussi de ma responsabilité d’assurer le bon ordre, la  tranquillité, la salubrité publique et la sécurité des habitants contre les accidents dus aux moyens de substitution d’énergies notamment.

Chaque année, je comparais devant vous pour exposer les situations dramatiques que vivent des  milliers de nos concitoyens. Je défends, par un mémoire juridique et des argumentaires économiques et sociaux, mes arrêtés face à l’évolution gravissime de la précarité dans notre pays.

Ces arguments vous les connaissez, nous les connaissons tous : l’angoisse de familles qui n’arrivent plus à nourrir leurs enfants, celle de tous ces gens, étudiants, retraités, salariés, familles monoparentales qui ne se chauffent plus, ne se soignent plus, n’ont plus de perspectives d’avenir.

La détresse de milliers de ménages à bout de souffle, dont le quotidien devient insoutenable.

Et le drame, quand on ne voit jamais le bout du tunnel, comme en 2013, quand une septuagénaire vénissiane s’est donné la mort, le jour de son expulsion. Et ce jour-là, c’est le Maire que l’on a appelé en premier.

Je refuse que la précarité ne soit qu’une banalité

Vivre dans la dignité est un droit ! Se nourrir, se loger, se soigner sont des droits fondamentaux inscrits dans notre Constitution. Face à la gravité de la situation, c’est à l’État de réagir pour que ces droits deviennent une réalité pour tous.

L’objectif de mes arrêtés est de faire jurisprudence pour que la loi évolue, pour protéger les plus  vulnérables d’entre nous, pour que chaque citoyen puisse vivre et non survivre. En cette date anniversaire qui marque les 70 ans de l’appel de l’abbé Pierre, continuons de nous insurger. Soyons à  la  hauteur du défi humanitaire et solidaire qui se pose à notre société, ici et aujourd’hui : défendre le  droit à un logement, à une vie digne pour tous !

Je finirai par ces mots du fondateur d’Emmaüs : « Gouverner, c’est d’abord loger son peuple !» Je  rajouterai, pour ma part, que gouverner, c’est respecter notre Constitution et appliquer les droits fondamentaux qui y sont inscrits : le droit, pour chaque individu, d’accéder à un emploi, à un logement, à  la santé et à l’éducation.

Je vous remercie.

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