8 mars, Journée internationale des femmes

Le 8 mars 2011
Retrouvez ci-après l’intervention de Michèle Picard lors de la soirée organisée à l’occasion de la journée internationale des femmes

Le 8 mars 2011

Retrouvez ci-après l’intervention de Michèle Picard lors de la soirée organisée à l’occasion de la journée internationale des femmes,

C’est une journée à laquelle la ville de Vénissieux tient tout particulièrement. Le 8 mars, et ce que cette date représente à travers les siècles, du 19ème, du 20ème, à travers les mouvements des ouvrières de l’ère industrielle, des résistantes, des féministes.

Des femmes, connues, anonymes, se sont battues, se sont unies pour arracher des droits et sortir des schémas patriarcaux de nos sociétés. Jusqu’en 1965 en France, les femmes devaient obtenir l’autorisation de leur mari avant de disposer de bien propres (carnets de chèques, comptes à part), ou de décrocher un emploi. Si j’ai choisi cet exemple, c’est pour rappeler que bien des avancées sont très récentes à l’échelle de l’histoire. Ça nous paraît naturel aujourd’hui, ça ne l’était pas il y a à peine 45 ans !

En matière de droits des femmes, n’oublions jamais d’où nous venons, n’oublions jamais non plus que le combat entre émancipation et régressions est un combat de tous les jours, que les acquis, que l’on s’imagine gravés dans le marbre, sont plus fragiles qu’il n’y paraît. Notre attachement au 8 mars et à la journée internationale des femmes nous donne l’occasion de faire le point, de mesurer autour de nous ce qui se construit et ce qui se délite.

Au-delà de nos frontières, j’ai envie de dire qu’une photo nous regarde, et qu’il nous faut la regarder pour apercevoir la bestialité, la brutalité, toujours là, toujours en action, toujours tapies. Prix 2010 du World Press Photo, le portrait de Bibi Aisha, jeune afghane au nez et oreilles coupés par les talibans pour avoir quitté la maison de son époux, nous transperce, nous agresse, nous glace, comme une gifle adressée à la dignité humaine. Oui, des hommes ont pu faire ça, oui, des régimes tolèrent de tels comportements, oui l’innommable n’est jamais terrassé.

Cette photo, insoutenable, nous renvoie à un autre visage de femme, celui de Sakineh, mère de famille iranienne de 43 ans, qu’une justice moyenâgeuse et patriarcale promettait à la lapidation pour adultère. Sous la pression internationale, les autorités gouvernementales sont quelque peu revenues sur cette peine de mort inacceptable, intolérable, injustifiable. Relâcher notre mobilisation et notre vigilance au sujet de Sakineh n’est pas pour autant d’actualité, ou alors ce serait cautionner l’idée que l’adultère relève du pénal et de l’emprisonnement. Sakineh doit recouvrer la liberté, un point c’est tout.

Si j’ai proposé d’élever cette mère de famille iranienne au rang de citoyenne d’honneur de Vénissieux, c’est parce qu’il y a des situations, des comportements, à la lumière desquels aucune compréhension n’est possible, aucune compromission n’est tolérable. Avancer l’argument que cette justice est le fruit de traditions ancestrales que l’on ne peut appréhender, c’est se renier et faire fausse route.Mutilation, négation du corps, du visage, en un mot négation de l’identité de la femme à travers le port de la burqa, comment ne pas ouvrir les yeux sur de tels atteintes, graves, profondes, faites aux femmes ? Leur place, leur rôle, leur émancipation cristallisent des enjeux de société majeurs.

Les fanatismes religieux n’ont pas l’exclusivité des mesures régressives. Dans le Dakota du sud, il y a quatre semaines à peine, la loi baptisée House Bill 1171 a été adoptée en commission. Ecoutez bien ce qu’elle contient : en étendant la définition de «l’homicide justifié », le texte vise à accorder des circonstances atténuantes au meurtre d’un médecin pratiquant l’IVG dans cet état. Sidérant, ahurissant mais tellement parlant dans un Dakota du sud où plus aucun hôpital n’a procédé à un avortement depuis 1994 !

Face au tollé général, la loi a été ajournée, mais ne fait-elle pas écho, à travers le temps, à Pétain et Vichy, à 1942, année où l’avortement devient un crime contre l’Etat… Ne fait-elle pas écho aujourd’hui encore à la proposition de Marine Le Pen, rétrograde et pétainiste dans l’âme, de dérembourser l’IVG ? Oui, pour les femmes, le combat est perpétuel, continu, au présent comme au passé.

En Italie, quelle image de la femme, et de l’Etat également, donne Silvio Berlusconi, dont les frasques provoquent la nausée. Ici même à Lyon, la société Sensual Clean Service, en banalisant l’image de la femme-objet, la femme soubrette que l’on paye pour faire le ménage en bas résilles, entretient l’image de la femme vénale, de la femme facile. Derrière l’alibi du jeu, du fantasme, il y a une réalité plus crue que j’ai dénoncée vivement : l’exploitation de la misère féminine, de la marchandisation de l’humain, du corps des femmes. En rire, c’est là encore une forme de compromission et de cynisme inacceptable à mes yeux.

Une mission parlementaire sur la prostitution a été créée le 16 juin dernier à l’Assemblée. Le débat est lancé : faut-il légaliser la prostitution, ce qui reviendrait aussi à légitimer la consommation de sexe, à en faire un marché ? Faut-il pénaliser le client ? Au sein même des associations féministes, les avis divergent. Je tiens à rappeler un principe clair : la prostitution n’est pas un métier, c’est de la survie financière, de la survie économique, de la survie au quotidien. Survie qui continue après la prostitution, quand on s’en échappe comme on sort d’un cauchemar. 94% des prostituées rêvent de quitter ce milieu !

Ne trichons donc pas avec les termes de « marché du sexe », « d’industrie du sexe », mais portons le fer là où ça fait mal : la prostitution est avant tout l’usurière de la misère, de la pauvreté. Il s’agit bien d’une exploitation et d’une humiliation de la personne asservie, contraires aux droits de l’homme, avec l’argent comme monnaie d’échange et moyen de pression.

J’ai tenu à prendre des exemples particuliers, bien précis, d’atteintes plus ou moins directes à l’émancipation des femmes.

La scène internationale doit nous interpeller, nous faire réagir : combien d’Aung San Suu Kyi l’année 2010 nous a-t-elle réservé au regard du mouvement de recul généralisé et de l’émergence de discours rétrogrades, populistes. Le viol comme armes de guerre, les mariages forcés, excisions, humiliations en tout genre continuent leurs rondes macabres, et des 8 mars, il n’en faudrait pas un par an mais 365 pour mettre fin à des pratiques inadmissibles. Il serait temps aussi que notre pays, et l’Etat en premier lieu, sorte des symboles et effets d’annonces, stériles et de façades.

Au sujet des violences faites aux femmes, deux lois ont été votées au parlement en 2010. Le gouvernement Fillon décrète la cause nationale, mais dans le même temps, assèche les subventions aux associations qui sont en lien direct avec ces femmes traumatisées, isolées et meurtries. Double langage, double hypocrisie, double sémantique qui ne trompera personne : l’Etat délègue, ou plutôt se décharge d’un droit régalien sur le dos des collectivités.

Entre 2006 et 2009, les subventions de l’Etat pour les associations d’aide aux victimes de violences conjugales ont baissé de 18,8%. Moins 38% pour les associations et permanences locales d’accueil, d’écoute et d’accompagnement des femmes victimes de violences. Ces orientations ont déjà des effets sur le terrain : on travaille avec des bouts de ficelle, sans aucune perspective en matière de carence des logements d’urgence, sans moyens pour agir au plus près des douleurs, des désarrois, sans volonté de changer la situation en profondeur.

Effets en amont et en aval : pour la première fois, la Ville de Vénissieux a accordé, à la demande du Planning familial, une subvention pour que l’association boucle son budget. Filactions nous a également fait part de difficultés financières. Hypocrisie d’Etat, voilà le terme qui s’applique. Expliquez-moi comment le droit des femmes peut sortir renforcé de la mise à sac des services publics érigés en dogme par Nicolas Sarkozy ? Expliquez-moi comment l’IVG se voit consolider par la privatisation de la santé publique ? 11 centres d’orthogénie ont fermé en 2010 en France. Expliquez-moi comment la pauvreté féminine, en très forte hausse ces dernières années, ne vient pas ronger implicitement les droits les plus universels chèrement acquis ?

C’est l’urgence sociale, l’urgence financière qui dominent, et c’est le capitalisme, froid, cynique, spéculateur, qui en profite : les deux tiers des salariés à bas salaires sont des femmes ; par ailleurs, elles sont nettement plus souvent que les hommes employées à temps partiel, un tiers d’entre elles (32,9 %) contre seulement 7,7 % des hommes. Asphyxie sociale + asphyxie des familles monoparentales (dans 85% des cas, ce sont des femmes seules avec enfants) = érosion progressive des droits, les uns après les autres. Le recours à une « prostitution alimentaire » pour faire face aux difficultés financières en est l’illustration. Ce cortège de reculs au présent va se conjuguer également au futur : la dernière réforme des retraites va pénaliser durement les femmes en premier lieu.

Aux disparités salariales vont se greffer les discriminations de carrière : en clair, le gouvernement va faire payer aux mères de famille, par des pensions incomplètes et très faibles, les périodes d’interruption de travail (maternité, éducation des enfants…). Un comble, un véritable scandale ! Les temps de crise sont à ce titre révélateurs : ils favorisent les régressions et remettent en circulation les idées rétrogrades. D’après une étude de l’INSEE, publiée fin février, un français sur quatre pense que les hommes devraient être prioritaires pour trouver un emploi en temps de crise.Les droits des femmes sont menacés tout autant par le contexte actuel que par notre indifférence. Il suffit d’un claquement de doigts pour perdre quelques centimètres, ces mêmes centimètres qu’il faudra des années à regagner. C’est sur ce déséquilibre entre lentes avancées et régressions accélérées que nous devons agir. Je sais que cette attention de tous les instants existe à Vénissieux. Je sais que le travail au quotidien du Collectif Femmes est extrêmement précieux, que c’est un travail long, dans l’ombre parfois, mais qui porte ses fruits dès aujourd’hui tout en s’inscrivant dans une logique plus lointaine.

Je sais que l’étroite collaboration avec Filactions sur ce fléau des violences conjugales, en augmentation en France comme à Vénissieux, que les actions de sensibilisation et de prévention sur les relations amoureuses, menées dans les collèges et lycées de Vénissieux, réveillent les consciences et ouvrent des perspectives. Toutes les actions et démarches entreprises dans les EPJ, à travers les différents ateliers, le slam, les créations théâtrales, sont autant de pierres posées sur le chemin de l’émancipation des femmes.

J’inclus dans ce dispositif les travaux que nous avons initiés dans la Commission de Lutte contre la Grande Pauvreté relatifs aux familles monoparentales vénissianes. Nous serions tous ici en droit d’attendre une politique nationale à la hauteur de l’enjeu, autrement plus ambitieuse. Ça n’est pas le cas et je n’attends rien d’un gouvernement qui évalue les sciences humaines comme les droits de l’homme à l’aune du profit et des rentabilités.

Nous le savons tous ici : les droits des femmes ne sont et ne seront jamais mieux défendus que par nous-mêmes, hommes et femmes unis dans ce combat commun du progrès social. Ce n’est pas le combat du fort contre le faible, ni celui du passé contre le présent. C’est le combat contre les comportements, contre les idées reçues, d’où la difficulté d’en modifier les règles, le cours et la nature. C’est celui de la dignité de l’individu et de la société confondus. Combat du 8 mars, mais aussi et surtout des jours qui suivent.

Je vous remercie.

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