74 ème anniversaire de l’appel du Général de Gaulle.

…Une voix au milieu de nulle part. Une voix que personne n’entend, dans une France en pleine débâcle. …

Mercredi 18 juin 2014.

Retrouver l’intervention de Michèle Picard à l’occasion du 74 ème anniversaire de l’appel du Général de Gaulle.

Une voix au milieu de nulle part. Une voix que personne n’entend, dans une France en pleine débâcle. Les Pétainistes, ceux qui viennent de trahir la République et commettre l’irréparable, l’appellent le « Général micro ». Les mêmes, à l’été 42, participeront de façon active, à la déportation de milliers de juifs. Je ferme la parenthèse.

C’est par ouï-dire, et quelques filets dans la presse anglaise, que la nouvelle se répand par petits cercles, en France, quelques jours après le 18 juin. Le Petit Marseillais, et Le Progrès de Lyon, en feront également état, dans une indifférence généralisée. L’armée française, réputée la plus puissante du Vieux Continent, avant le début de la seconde guerre mondiale, s’est écroulée en un rien de temps, à la stupeur générale. Les militaires, comme les civils, ont autre chose à faire qu’écouter ce Général De Gaulle, que très peu connaissent. Qui est-il, que veut-il et que peut-il faire, lui qui est de l’autre côté de la Manche ? Nous n’avons aucun enregistrement sonore de cet appel radiophonique, celui que les documentaires utilisent date du 22 juin, un texte relativement proche de celui du 18 juin.

Il faut revenir sur les conditions de ce que l’histoire retiendra, comme le premier symbole d’une Résistance vacillante, mais naissante. De Gaulle arrive à Londres le 17 juin. Le même jour, le Maréchal Pétain, nouveau chef du gouvernement provisoire replié à Bordeaux, prononce lui aussi un discours funeste, dont je livre ici un extrait : « sûr de l’appui des anciens combattants que j’ai eu la fierté de commander, sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur.

En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés, qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat ».

Dans la nuit du 17 au 18 juin, Churchill donne l’autorisation à De Gaulle d’utiliser les studios de la BBC pour son célèbre appel. Non sans quelques grincements de dents parmi les responsables anglais, qui souhaitent ménager Pétain, et s’accorder un peu de temps avant de voir si la signature de l’armistice aura lieu. Il y a donc, dans cette intervention radiophonique du 18 juin, une réponse ferme et une forme de défi à la capitulation annoncée de la France pétainiste. Les mots de De Gaulle s’opposent aux mots de Pétain, deux France se regardent, celle qui s’est soumise politiquement, majoritaire en 40, et celle qui veut rester debout, celle qui déjà prend date pour résister.

Lorsque l’on entend les résistants, il est frappant de constater que c’est le discours de Pétain qui a fait l’effet d’un électrochoc. C’est lui, et non l’appel du 18 juin, qui a fait basculer instinctivement et naturellement, bon nombre de jeunes, d’hommes et de femmes, dans les rangs d’une résistance alors embryonnaire. Le 18 juin agit donc plus comme un phare, un guide à suivre, au milieu du crépuscule. Il faut aussi constater que l’analyse de De Gaulle du conflit, s’avère plus judicieuse que celle de Pétain. Le Général fait le pari que cette guerre ne se limitera pas à un conflit franco-allemand, voire européen, mais qu’elle sera mondiale. Son appel semble dire que l’Allemagne a gagné une bataille, mais pas la guerre.

Considérés à juste titre comme la première étape de la Résistance, les propos de l’appel du 18 juin s’adressent avant tout, aux militaires et aux industriels, aux ingénieurs, pour rallier leurs forces à l’allié britannique. Écoutons ces mots d’espoir : « Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’Empire britannique, qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l’Angleterre, utiliser sans limites l’immense industrie des États-Unis. Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n’empêchent pas qu’il y a, dans l’univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là…Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre, et ne s’éteindra pas. »

Le temps de l’organisation de la Résistance interviendra plus tard.

Qui étaient ces hommes de la France Libre ? Parlons d’une femme déjà, Élisabeth de Miribel, c’est elle qui tapera sur une machine à écrire, l’appel du 18 juin. Ils n’étaient pas nombreux à Londres ce jour-là, même si très vite, certains se rallient aux anglais, pour continuer le combat sur le sol français. Mais cet appel a semé les graines de la Résistance, même si elles ne lèveront que quelques jours plus tard. C’est Stéphane Hessel qui, après deux jours dans un camp de prisonniers, s’évade, « avec la ferme intention de rejoindre l’Angleterre. » C’est François Jacob, médecin des Forces françaises libres, lequel, à l’image d’autres civils, monte sur un navire à Saint-Jean-de-Luz, dès le 21 juin, sans en connaître la destination, Afrique du Nord ou Angleterre, cap sur une France debout. C’est cette histoire dans l’histoire, qui mérite d’être éclairée, celle des marins de Sein, petite île au large de la Bretagne.

Dès le 18 juin 40, le maire de la commune, et ses habitants, décident de rassembler tout ce qui flotte, pour éviter que le matériel ne tombe dans les mains allemandes. Si l’appel du 18 juin est passé inaperçu, celui du 22 juin, à 11h00, fera l’objet d’une mobilisation étonnante, sur le quai des Français Libres. Des dizaines d’habitants se sont massés sous la façade de l’Hôtel de l’Océan. L’île ne possède que 4 postes de radio, l’un est posé sur le rebord d’une fenêtre, pour que chacun entende la seconde intervention de De Gaulle, dans un silence religieux. La communauté se rassemble, discute, et alors que la préfecture de Quimper, sous les ordres allemands, ordonne un recensement des militaires et jeunes de l’île de Sein, le maire, le recteur et les patrons pêcheurs, décident de ne pas obtempérer. Quatre heures plus tard, des navires sont affrétés, et près de 128 hommes (l’hiver, l’île ne comptait à peine que 150 habitants), décident d’embarquer, et de rejoindre De Gaulle à Londres. Pourquoi une telle ferveur ? Les témoins encore présents parlent tous des liens forts, qui en faisaient une communauté solidaire, et des vertus d’une éducation solide.

Ces 128 hommes, en juin 40, forment un quart des effectifs de la France libre des premiers jours, ce qui fit dire à De Gaulle, dans une célèbre boutade, que l’île de Sein… « était un quart de la France ». Forcer le destin plutôt que subir l’outrage, voilà ce que ces hommes et femmes, isolés, souvent jeunes, pas encore organisés, mais tout sauf résignés, nous ont appris au prix d’un immense sacrifice : leur vie de famille, et bien souvent leur vie tout court. L’appel du 18 juin est un acte politique fort, un acte d’indignation et de réveil civique, citoyen, en forme d’ultime espoir.

Bien sûr, la résistance en France, ce n’est pas uniquement le visage de De Gaulle, c’est un pluriel de noms et d’actions. Jean Moulin, Germaine Tillion, les FTP MOI de Manouchian, les justes, Guy Môquet, Lucie et Raymond Aubrac, les maquisards, les résistants d’origine étrangère, les anonymes, ce sont eux, dans des conditions extrêmes et de souffrances sans précédent, et bien souvent au-delà des clivages politiques, qui ont prolongé l’effet du 18 juin, jusqu’à la libération de 44. Il n’y pas de hiérarchie à établir, chaque acte, chaque prise de risque, chaque forme de résistance a reconstruit notre pays, et l’a remis dans le lit de son histoire, loin du précipice et du dévoiement que constituent, de tout temps, l’extrême droite et les mouvances réactionnaires, rétrogrades et xénophobes. Que nous disent ces guides et ces éclaireurs sur notre siècle. Ils nous apprennent à ne pas nous résigner, ils nous apprennent à ne pas accepter la pensée dominante, ils nous apprennent qu’il n’y a pas d’horizon indépassable. En temps de guerre comme en temps de crise économique. Au-delà de cette commémoration, c’est peut-être cet esprit-là que les jeunes générations doivent retenir, et que notre génération se doit de perpétuer. Oui, le 18 juin est plus qu’une date, c’est un état d’esprit.

Je vous remercie.

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