70ème anniversaire de la création du Conseil National de la Résistance

19 personnes autour d’une table, gauche et droite confondues, 19 personnes activement recherchées par la France de Pétain, par la France des milices, par la France qui, en cédant à l’occupant, s’est reniée et a bafoué ses principes universels : 1789, 1848, 1936. Le 27 mai 43 répond déjà à un affront, celui du 16 juin 40, le jour de tous les abandons, le jour de la formation du gouvernement de Pétain. Mais le CNR va plus loin encore : il est l’acte de la résistance, il est l’acte de la refondation, il est l’acte par lequel la France redeviendra la France.

Vendredi 24 mai 2013

Retrouvez l’intervention de Michèle PICARD, lors du 70ème anniversaire de la création du Conseil National de la Résistance, le jeudi 23 mai 2013

Je tiens en premier lieu à remercier l’Anacr, et son co-président Roger Gaget, le groupement régional d’actions cinématographiques, notre Cinéma Gérard Philipe et Gilles Perret, auteur du documentaire qui va vous être projeté, Les jours heureux, pour l’organisation de cette soirée. Gilles Perret d’ailleurs nous fait le plaisir de revenir ici à Gérard Philipe après nous avoir présentés ses deux films précédents, « Walter, retour en Résistance », et de « Mémoires d’Ouvriers », que les Vénissians n’ont pas oubliés.

« Que serions-nous devenus sans la Résistance ? Nous aurions eu une carrière. Grâce à la Résistance, nous avons eu une vie », fait remarquer Edgar Morin. J’ai envie d’ajouter : « Que serait devenue la France sans le CNR ? Elle aurait eu une société. Mais grâce au CNR, elle a eu un modèle social ». Ce soir, c’est la création et l’œuvre du CNR, dont nous fêtons cette année le 70ème anniversaire, qui attire notre attention. Depuis le mouvement des indignés et le livre de Stéphane Hessel, le Conseil National de la Résistance a resurgi, au cœur de notre mémoire collective et dans les débats publics.

Il a resurgi, non pas sous la pire des formes, celle de la mythologie et de la glorification, mais bien parce que l’esprit du CNR apporte des réponses concrètes à la crise de société que nous traversons aujourd’hui en 2013 ! Il ne s’agit pas, je le dis assez souvent, de se réfugier dans un passé idéalisé, de décalquer le monde de 2013 sur celui de 1943, il s’agit de voir comment les grands principes du CNR, comment la primauté du sens de l’intérêt général, demeurent d’une extrême modernité.

Comment, en somme, les lois et les mesures prises à l’époque, ont irrigué nourri et forgé ce que l’on appelle le modèle social français, et dont l’ensemble des générations qui se sont succédées, depuis l’après-guerre, a profité.

Mais revenons brièvement en arrière. 27 mai 1943. Il y a donc 70 ans, Jean Moulin, délégué du Général De Gaulle, et ses deux collaborateurs, Pierre Meunier et Robert Chambeiron, ouvrent une réunion qui va marquer l’histoire de notre pays.

Ils sont entourés des huit grands mouvements de résistance, des deux grands syndicats, la CGT et de la CFTC, et des représentants de six partis politiques : le PC, la SFIO, les Radicaux, les démocrates-chrétiens, l’Alliance démocratique, la Fédération républicaine. Cette réunion se tient dans la clandestinité et dans un petit appartement parisien, au 48 rue Dufour dans le 6ème arrondissement.

19 personnes autour d’une table, gauche et droite confondues, 19 personnes activement recherchées par la France de Pétain, par la France des milices, par la France qui, en cédant à l’occupant, s’est reniée et a bafoué ses principes universels : 1789, 1848, 1936. Le 27 mai 43 répond déjà à un affront, celui du 16 juin 40, le jour de tous les abandons, le jour de la formation du gouvernement de Pétain. Mais le CNR va plus loin encore : il est l’acte de la résistance, il est l’acte de la refondation, il est l’acte par lequel la France redeviendra la France.

Le programme du CNR trouve d’ailleurs une étonnante résonance dans le monde en crise de 2013. Voilà son esprit : « La France veut que cesse un régime économique, dans lequel les grandes sources de la richesse nationale échappent à la Nation, où les activités de la production et de la répartition se dérobaient à son contrôle, où la conduite des entreprises excluait la participation des organisations de travailleurs et de techniciens, dont cependant elle dépendait.

La France veut que ses biens profitent à tous les Français, que chaque homme et chaque femme soit assuré de vivre et de travailler dans des conditions honorables de salaire, d’alimentation, d’enseignement et de loisirs ». On pourrait, sans changer un seul mot, adresser ce discours au capitalisme financier, tant il reste pertinent, tant il traverse le temps et les époques, pour répondre aux crises que le capitalisme a généré tout au long de son histoire.

Le CNR n’est donc pas qu’un laboratoire d’émancipation de l’individu, c’est aussi le ciment du collectif, le socle d’une société plus juste, plus solidaire. Une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ; un plan complet de sécurité sociale ; la reconstitution d’un syndicalisme indépendant ; le droit au travail et le droit au repos ; la garantie du pouvoir d’achat national et de salaires dignes. Et puis il y a ce qui découle et résulte du CNR. 21 février 1946 : la loi des quarante heures hebdomadaires, adoptée par le Front Populaire en 36, est rétablie. 28 mars 1946, vote de la loi sur la nationalisation de l’électricité et du gaz. 25 avril, extension du nombre et des attributions des comités d’entreprises.

26 avril 1946, généralisation de la Sécurité sociale incluant la Retraite des vieux travailleurs. Souvenons-nous d’où vient cette idée lumineuse qu’on appelle la Sécurité sociale. Elle vient d’un rêve, écrit noir sur blanc dans le programme du CNR de mars 1944 : « Nous, combattants de l’ombre, exigeons la mise en place d’un plan complet de sécurité sociale visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion par les intéressés et l’État. ».

En deux volets, l’un consacré aux mesures urgentes à prendre dès la Libération, l’autre dédié à la rénovation sociale, le programme est adopté. La modernité sociale du programme, on la doit justement à Pierre Villon, rédacteur du projet et député communiste aux deux Assemblées nationales constituantes, puis à l’Assemblée nationale dès 1946. C’est Ambroise Croizat, ministre communiste, qui le rendra effectif, en étant le fondateur de la sécurité sociale et du système de retraites en France, à partir des ordonnances d’octobre 1945. Enfin, n’oublions pas dans cet ensemble de mesures progressistes, le droit de vote accordé aux femmes.

C’est donc cette société, où l’intérêt collectif prime sur les intérêts particuliers, qui a fait avancer la France dans la seconde moitié du siècle. Une société où l’homme figure au centre des préoccupations et des actions politiques. Comme héritage, ce n’est pas rien, et chacun ici présent en a profité, au sens noble du terme, chacun ici en est le fruit, chacun ici a eu accès à la santé pour tous, à l’école gratuite, a ouvert des droits à le retraite, chaque femme ici présente a le droit de voter, de s’exprimer.

Le CNR a construit ce sur quoi nous avons vécu, et ce que nos nouvelles résistances doivent désormais reconstruire. Le modèle social français, basé sur le principe de solidarité et de répartition collective, est clairement visé par les politiques libérales. On s’en rend compte, dans les premiers cercles de proximité de notre quotidien : inégalité devant l’accès aux soins, inégalité face au logement, démantèlement de la sécurité sociale, du système des retraites, dérégulation du marché du travail, etc.

On s’en rend compte dans la montée des populismes, de l’extrême droite, dans la montée des replis nationalistes et des rejets de l’autre. Deux questions se posent à nous : sommes-nous à la hauteur de leur incroyable force d’engagement, en temps de guerre, au prix bien souvent de leur vie, alors qu’aujourd’hui même, en temps de paix, on détruit sous nos yeux ce qu’ils ont construit ?

Enfin, mesurons-nous bien, au cœur de nos sociétés individualistes, le sens même du mot engagement, du mot résistance ? Il y a beaucoup de leçon à recevoir du Conseil national de la Résistance.

A l’héroïsme, je préférerais les mots courage, sacrifice, don de soi. La vision du CNR, comme le verbe résister, se conjugue toujours au présent. Le CNR est un point d’histoire, qui résonne bien au-delà de sa date de création. C’est un programme visionnaire, une victoire qui a réconcilié la France avec elle-même, mais c’est aussi une attitude : savoir rester debout, oui, savoir rester debout pour imaginer l’avenir.

A l’heure où Raymond Aubrac et Stéphane Hessel viennent de nous quitter, à l’heure où le pouvoir financier et économique veut contraindre les peuples à la résignation et à la fatalité, nous sommes nous aussi, dans un contexte moins dramatique que nos aînés, face à un défi : réinventer le politique, en transmettant une mémoire partagée, et en créant un nouveau projet de société.

Je vous remercie, et je remercie tout particulièrement Gilles Perret, qui œuvre lui aussi pour la transmission, non du passé, mais d’une mémoire collective, et je salue la présence de Odile Chadebech, résistante.

Je vous souhaite une excellente projection.

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