69ème anniversaire de la capitulation sans condition des armées nazies

… » Le 8 mai est une date pour la liberté, une date pour les résistances, une date qui marque la capitulation sans condition de l’Allemagne nazie, le pire régime de l’histoire humaine, une date pour se souvenir que le totalitarisme peut être vaincu. »…

Jeudi 8 mai 2014.

Retrouvez l’intervention de Michèle PICARD à l’occasion du 69 ème anniversaire de la capitulation sans condition des armées nazies.

Le 8 mai est une date pour la liberté, une date pour les résistances, une date qui marque la capitulation sans condition de l’Allemagne nazie, le pire régime de l’histoire humaine, une date pour se souvenir que le totalitarisme peut être vaincu. Une date qui met fin à un cortège d’horreurs et de douleurs sans précédent. Ce 8 mai 45, le jour se lève sur une terre dévastée, et des hommes abasourdis. En six ans, la seconde guerre mondiale fera 55 millions de morts ! Par jour, 25 000 disparus.

La shoah, la solution finale : de 5 à 6 millions de juifs tués, soit les 2/3 de la population juive européenne, dont près de 3 millions dans les camps de l’horreur, dans les camps de l’ignoble, dans les camps d’une honte indélébile. En France : 600 000 morts, civils et militaires, résistants ou anonymes. L’URSS, sur laquelle s’acharnent Hitler et le 3ème Reich : 21 millions de victimes, dont 7 millions et demi de civils. Grande-Bretagne : pas loin de 400 000 morts. Les États-Unis perdent 300 000 soldats, loin de leurs familles et de leur terre, sur le sol du vieux continent et en Extrême-Orient.

Août 45 deux bombes, d’un « nouveau genre », tombent sur Hiroshima et Nagasaki : 300 000 morts, et de très très nombreuses personnes qui décéderont des suites d’un cancer, dans les mois, les années et les décennies qui suivent. Le chapelet de douleur prend le nom de villes suppliciées. Stalingrad, Auschwitz, Treblinka, Varsovie, Vienne, Salo, Berlin, Izieux, Lidice. D’autres, en France, résonnent lourdement, chargées d’ombres et d’une collaboration coupable, inexcusable et ineffaçable : Vichy, Drancy, Pithiviers, Rivesaltes, les trains de la honte, les trains des rafles, les trains de la responsabilité de l’État français, dans la déportation des Juifs vers les camps de la mort. Des Juifs, mais aussi des tsiganes, des opposants communistes, syndicalistes, socialistes, et des résistants de droite comme de gauche. C’était Pétain, Laval, Bousquet, c’était Papon, c’était l’extrême droite d’hier, la même, ne nous trompons pas, que celle d’aujourd’hui. Défendre les intérêts du patronat, briser les forces syndicalistes, chercher des boucs émissaires, rejeter les étrangers, propager la haine et la xénophobie, malgré un changement de façade et une image plus lisse, le fond reste identique.

Des lieux, mais aussi des villages, Oradour-sur-Glane, et des terres, le maquis du Vercors, le plateau des Glières. Je parle à dessein des Glières, au centre de l’actualité depuis que l’historien Claude Barbier a remis en cause l’existence de ce haut lieu de la Résistance, où près d’une centaine d’hommes ont été exécutés ou déportés. Ce 8 mai est l’occasion de rappeler à certains que l’histoire, celle que nous partageons, n’est pas à géométrie variable, qu’on ne peut pas l’instrumentaliser, et ici, la déformer et la tronquer, pour nourrir la confusion entre ceux qui ont choisi la soumission au 3ème Reich, et ceux qui ont choisi de dire non à la France de Pétain. La figure du résistant ne relève pas de la mythologie française. C’est à elle, la résistance, que je veux rendre hommage aujourd’hui, car c’est à elle que nous devons ce 8 mai, date du souvenir, mais aussi date d’espoir. Anonymes ou entrés dans l’histoire, ces hommes, ces femmes, ces jeunes rejoignant le maquis, ont accompli une œuvre qui les dépassait : redonner à la France son vrai visage, celle du pacte républicain contre le pacte de la lâcheté. Aucune hiérarchie n’est à établir entre eux. Il n’y a pas une Résistance officielle et une Résistance officieuse, mais un dénominateur commun, qui relie les hommes au-delà de leur appartenance sociale ou politique, au-delà de leurs couleurs de peau, au-delà des frontières géographiques.

Ne pas accepter l’ordre imposé, ne pas accepter l’ordre dicté, ne pas accepter l’ordre établi de Vichy, voilà le dénominateur commun ! Il y a les justes, qui protègent des Juifs traqués par les milices de Pucheu. Ici à Vénissieux, 108 enfants ont été sauvés le 29 août 1942. Il y a les femmes, dont le rôle fut considérable. Le colonel Rol-Tanguy le confirmait, avec ces mots simples : « Sans elles, la moitié de notre travail eût été impossible ». Les jeunes femmes principalement, des lycéennes et de nombreuses femmes juives ou d’origine étrangère, notamment des pays de l’Europe de l’Est, vont s’engager immédiatement dans la lutte. Elles seront suivies par d’autres dans des « stratégies d’émancipation », comme Berty Albrecht, l’une des fondatrices de Combat, qui était dans les années 30, militante féministe et surintendante d’usine. Elles toutes, qui ont encaissé les lois scélérates de Vichy, de l’abandon du foyer devenu faute pénale, à la qualification de l’avortement comme “crime contre la sûreté de l’État », elles ont dit Non, elles se sont levées, elles se sont rassemblées.

Il y a aussi et bien sûr, cette pierre angulaire de la résistance en France : le CNR. Il est non seulement l’acte de la résistance, mais il est aussi l’acte de la refondation, il est l’acte par lequel la France redeviendra la France. Jean Moulin, délégué du Général De Gaulle, et ses deux collaborateurs, Pierre Meunier et Robert Chambeiron, ouvrent une réunion qui va marquer l’histoire de notre pays, le 23 mai 1943. Ils sont entourés des huit grands mouvements de résistance, des deux grands syndicats, la CGT et la CFTC, et des représentants de six partis politiques : le PC, la SFIO, les Radicaux, les démocrates-chrétiens, l’Alliance démocratique, la Fédération républicaine. 19 personnes autour d’une table, gauche et droite confondues, 19 personnes activement recherchées par la France de Pétain, par la France des milices, par la France qui, en cédant à l’occupant, s’est reniée, et a bafoué ses principes universels.

Un an plus tard, le programme du CNR sera adopté, dont nous marquons cette année le 70ème anniversaire. Voilà son esprit, qui trouve une étonnante résonance dans le monde d’aujourd’hui, j’ouvre les guillemets : « La France veut que cesse un régime économique dans lequel les grandes sources de la richesse nationale échappent à la Nation, où les activités de la production et de la répartition se dérobaient à son contrôle, où la conduite des entreprises excluait la participation des organisations de travailleurs et de techniciens, dont cependant elle dépendait.

La France veut que ses biens profitent à tous les Français, que chaque homme et chaque femme soit assuré de vivre et de travailler dans des conditions honorables de salaire, d’alimentation, d’enseignement et de loisirs ».

Le CNR n’est donc pas que le bouclier de la résistance, il est un laboratoire d’émancipation de l’individu, le ciment du collectif, le socle d’une société plus juste, plus solidaire. Une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ; un plan complet de sécurité sociale ; la reconstitution d’un syndicalisme indépendant ; le droit au travail et le droit au repos ; la garantie du pouvoir d’achat national et de salaires dignes. Traqués, menacés, au péril et au prix de leur vie, ces hommes ont donné naissance au modèle social français, sous lequel nous vivons encore, malgré le travail de sape des politiques libérales. Voilà pourquoi, ce 8 mai, je tenais à rendre un très vif hommage à la Résistance en France, sous toutes ses formes, de Jean Moulin à Charles de Gaulle, de Raymond et Lucie Aubrac à Germaine Tillion, des tirailleurs sénégalais, algériens, aux combattants de l’outre-rhin, sans oublier Missak Manouchian des FTP MOI. Ils nous ont rendu notre pays, ils nous ont rendu nos valeurs humanistes et universelles, ils nous ont rendu la liberté, la paix et la démocratie, et nous leur devons tous, ici et aujourd’hui, un immense respect.

2014 est une année chargée de mémoire. Je viens d’évoquer le 70ème anniversaire du programme du CNR, sans oublier bien évidemment le centenaire de la guerre de 14-18. Première déflagration de ce siècle, première boucherie humaine, qui portait en elle les germes de 39-40.

2014 est une année charnière, une année propice pour renforcer, partout où il le faut, les notions de transmission, d’éducation, de sensibilisation. Les textes lus par les élus du Conseil Municipal Enfants, ici présents, montrent leur implication, que je tenais à saluer, ils montrent combien l’histoire ne cesse de résonner dans notre quotidien. Les jeunes générations ont besoin de savoir, ont besoin de comprendre le siècle passé, pour mieux appréhender les enjeux du siècle présent. Je le dis sans solennité, mais avec détermination, cette question de la transmission est devenue un véritable enjeu de société. Là, où règnent les confusions, les amalgames, donnons au contraire du sens à l’histoire de notre pays, sans filtrer les périodes fastes des périodes sombres. Là où règnent les individualismes et les replis, retissons le lien social à travers une mémoire partagée, une mémoire commune.

Que penseraient nos aînés, eux qui se sont battus pour obtenir le droit de vote des femmes en 45, de l’état de nos démocraties, rongées par l’abstention, par le populisme et par une montée très préoccupante des discours xénophobes et de l’extrême droite ?

A quel film croiraient-ils assister, si ce n’est leur propre film, celui des années 30 ? Que nous diraient-ils, ces guides qui manquent tant à l’espace public, j’allais dire à la sagesse publique, ces guides qui avaient pour nom Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, et plus près de nous encore, Charles Jeannin ?

Ils nous diraient que 39-40 a été une épreuve sans précédent, mais que de cette douleur est né le sens de leur vie : transmettre encore et toujours l’indicible horreur de la seconde guerre mondiale pour s’en prémunir, pour ne pas répéter les mêmes erreurs. Ils diraient à chacun de nous de relever la tête, de sortir du dépit et du constat, d’agir, en toute urgence, contre les intolérances et le populisme ambiant qui minent nos sociétés. Ils nous diraient qu’il n’est jamais trop tard pour barrer la route à l’extrême droite, mais qu’il faut en avoir, et le cœur et le courage. Ces guides nous ont donné la France libre dans laquelle nous respirons, ils nous ont donné une leçon d’espoir, et une leçon d’humilité.

Je finirai en citant cette phrase de Michel Henry, philosophe, romancier, résistant : « La Résistance, ce fut aussi autre chose –la fourmilière nationale, grouillante de millions de gestes obscurs, humbles, inefficaces parfois, toujours dangereux, hélas ; certains de ces hommes, hissés au dessus d’eux-mêmes, devinrent des héros sans l’avoir recherché- mais tous avaient vocation à l’être ».

Je vous remercie.

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