69 ème anniversaire du 8 mai 1945.

… » C’est donc à la Résistance que je veux rendre hommage aujourd’hui, car c’est à elle que nous devons ce 8 mai, date du souvenir, mais aussi date d’espoir. »…

Mardi 13 mai 2014.

Retrouvez l’intervention de Michèle PICARD à l’occasion de l’initiative commémorant le 69 ème anniversaire du 8 mai 1945 (Plaque porte B Usine Marius-Berliet)

Ce 8 mai 45, le jour se lève sur une terre dévastée et des hommes abasourdis. En six ans, la seconde guerre mondiale fera 55 millions de morts ! La Shoah, la solution finale : de 5 à 6 millions de juifs tués, soit les 2/3 de la population juive européenne, dont près de 3 millions dans les camps de l’horreur et de l’ignoble. En France : 600 000 morts, civils et militaires, résistants ou anonymes. L’URSS, sur laquelle s’acharnent Hitler et le 3ème Reich : 21 millions de victimes, dont 7 millions et demi de civils. Grande-Bretagne : pas loin de 400 000 morts. Les États-Unis perdent 300 000 soldats, loin de leurs familles et de leur terre, sur le sol du vieux continent, et en Extrême-Orient.

Le chapelet de douleur prend le nom de villes suppliciées. Stalingrad, Auschwitz, Treblinka, Varsovie, Vienne, Salo, Berlin, Izieux, Lidice, Hiroshima, Nagasaki. D’autres, en France, résonnent lourdement, chargées d’ombres et d’une collaboration coupable, inexcusable et ineffaçable : Vichy, Drancy, Pithiviers, Rivesaltes, les trains des rafles et de la honte, les trains de la responsabilité de l’État français, dans la déportation des juifs vers les camps de la mort. Des Juifs, mais aussi des tsiganes, des opposants communistes, syndicalistes, socialistes, et des résistants de droite comme de gauche. C’était Pétain, Laval, Bousquet, c’était Papon, c’était l’extrême droite d’hier, la même, ne nous trompons pas, que celle d’aujourd’hui. Défendre les intérêts du patronat, briser les forces syndicalistes, chercher des boucs émissaires, rejeter les étrangers, propager la haine et la xénophobie, malgré un changement de façade et une image plus lisse, le fond reste identique. C’est donc à la Résistance que je veux rendre hommage aujourd’hui, car c’est à elle que nous devons ce 8 mai, date du souvenir, mais aussi date d’espoir.

Anonymes ou entrés dans l’histoire, ces hommes, ces femmes, ces jeunes rejoignant le maquis, ont accompli une œuvre qui les dépassait : redonner à la France son vrai visage, celle du pacte républicain contre le pacte de la lâcheté. Il n’y a pas une Résistance officielle et une Résistance officieuse, mais un dénominateur commun qui relie les hommes, au-delà de leur appartenance sociale ou politique, au-delà de leurs couleurs de peau, au-delà des frontières géographiques. Ne pas accepter l’ordre imposé, ne pas accepter l’ordre établi de Vichy ! Il y a les justes, qui protègent des Juifs traqués par les milices de Pucheu.

Ici à Vénissieux, 108 enfants ont été sauvés le 29 août 1942. Il y a les femmes, dont le rôle fut considérable. Le colonel Rol-Tanguy le confirmait, avec ces mots simples : « Sans elles, la moitié de notre travail eût été impossible ». Elles, qui ont encaissé les lois scélérates de Vichy, de l’abandon du foyer devenue faute pénale, à la qualification de l’avortement comme « crime contre la sûreté de l’État », elles ont dit Non et se sont rassemblées. Il y a aussi et bien sûr, cette pierre angulaire de la Résistance en France : le CNR. Il est non seulement l’acte de la résistance, mais il est aussi l’acte de la refondation, il est l’acte par lequel la France redeviendra la France.

Jean Moulin, délégué du Général De Gaulle, et ses deux collaborateurs, Pierre Meunier et Robert Chambeiron, ouvrent une réunion qui va marquer l’histoire de notre pays, le 23 mai 1943. Ils sont entourés des huit grands mouvements de résistance, des deux grands syndicats, la CGT et la CFTC, et des représentants de six partis politiques : le PC, la SFIO, les Radicaux, les démocrates-chrétiens, l’Alliance démocratique, la Fédération républicaine. 19 personnes autour d’une table, gauche et droite confondues, 19 personnes activement recherchées par la France de Pétain, par la France des milices, par la France qui, en cédant à l’occupant, s’est reniée et a bafoué ses principes universels. Un an plus tard, le programme du CNR sera adopté, dont nous marquons cette année le 70ème anniversaire. Voilà son esprit, qui trouve une étonnante résonance dans le monde d’aujourd’hui, j’ouvre les guillemets : « La France veut que cesse un régime économique, dans lequel les grandes sources de la richesse nationale échappent à la Nation, où les activités de la production et de la répartition se dérobaient à son contrôle, où la conduite des entreprises excluait la participation des organisations de travailleurs et de techniciens, dont cependant elle dépendait. La France veut que ses biens profitent à tous les Français, que chaque homme et chaque femme soient assurés de vivre et de travailler dans des conditions honorables. »

Une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours ; un plan complet de sécurité sociale ; la reconstitution d’un syndicalisme indépendant ; le droit au travail et le droit au repos ; la garantie du pouvoir d’achat national et de salaires dignes : voilà le legs historique du CNR ! Ces hommes ont donné naissance au modèle social français, sous lequel nous vivons encore, malgré le travail de sape des politiques libérales. Voilà pourquoi, ce 8 mai, je tenais à rendre un très vif hommage à la Résistance en France, sous toutes ses formes, de Jean Moulin à Charles de Gaulle, de Raymond et Lucie Aubrac à Germaine Tillion, sans oublier le groupe Manouchian des FTP MOI, les tirailleurs sénégalais, algériens, les combattants de l’outre-rhin. Nous leur devons tous un immense respect. Ici, à la porte B Usine Marius Berliet, cette leçon-là, personne ne peut l’oublier car tout le monde doit en avoir conscience : la bête immonde n’est jamais terrassée, elle peut renaître, et redresser à nouveau les hommes contre les hommes.

Ici, il y a presque 70 ans, les combattants des Groupes Francs tombaient devant ces murs. Ils s’appelaient Pierre Gayelen, Félix Gojoly, Louis Moulin, Jean Navarro, Louis Troccaz. Ils ne sont pas morts pour rien, ils sont morts pour notre liberté, ils sont morts pour nous guider. 2014 est une année charnière, centenaire de la guerre 14-18, une année propice pour renforcer les notions de transmission, d’éducation, de sensibilisation. Là où règnent les individualismes et les replis, retissons le lien social à travers une mémoire partagée. Que penseraient nos aînés, eux qui se sont battus pour obtenir le droit de vote des femmes en 45, de l’état de nos démocraties, rongées par l’abstention, par le populisme, et par une montée très préoccupante des discours xénophobes et de l’extrême droite ? Ces discours gagnent du terrain, dans les urnes, mais aussi dans le monde du travail. Qui peut croire que le Front National défend les salariés ? Non, il défend l’argent du capital, et j’entends encore Marine Le Pen parler en ces termes, lors du grand mouvement social contre la réforme des retraites en 2010 : « Ensemble, gouvernement et syndicats jettent la France dans le chaos. Voilà deux semaines que la France s’installe dans le chaos, entre grèves, manifestations et blocus. La tolérance zéro doit s’appliquer à tous les émeutiers. »

Ne recommençons pas les mêmes erreurs, voilà ce que nous diraient Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, Charles Jeannin, ces guides de la France libre dans laquelle nous respirons. Du combat actuel entre les forces progressistes et les forces réactionnaires, dépendra l’avenir de notre pays. L’histoire nous a montré combien ce rendez-vous peut être crucial.

Je vous remercie.

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