40 ans de la Marche de l’égalité et contre le racisme

Il y a une réelle aspiration à construire quelque chose en commun.

Que demandaient-ils ? Qui allaient-ils retrouver au bout de leur marche pacifique, de Marseille à Paris ? La République ! Tout autant dans son idéal, son esprit, que dans sa pratique concrète et sa justice sociale. La  République  pour  tous, la République des droits et des devoirs, celle qui doit être « une et indivisible » dans tous les territoires, dans tous les quartiers. Ces enfants d’immigrés de la deuxième génération demandent à être reconnus et respectés, ils demandent à exister en  tant que tels, à entrer en citoyenneté pour refuser la relégation sociale, les ghettos et  une  République  à  deux  vitesses.

Ce changement de génération reflète un changement de monde. Les premiers immigrés des années 50, symbole d’une main d’œuvre à bon marché que l’empire colonial vient exploiter, débarquent en France alors que rien n’est fait pour les accueillir. Ils vivent dans des bidonvilles, travaillent dans les usines ou à la mine. Les villes populaires gèrent, bien souvent seules, ce passage à l’ère industrielle. A Vénissieux, on passe en quelques années de 20 000 habitants à 75 000, il faut faire face, agir dans l’urgence. La crise de 73 va frapper durement et  casser le plein-emploi. Le chômage structurel s’installe en France.

Les jeunes qui forment « La marche pour l’égalité et contre le racisme », la deuxième génération, y sont directement confrontés. Il y a bien sûr une revendication claire et légitime : halte au racisme, halte à la xénophobie, halte au rejet, dans un contexte de montée de l’extrême droite et du Front National.

Il faut se replacer au début des années 80, quand dans les banlieues régnait un climat de violence et d’impunité qui allait provoquer la mort de dizaines de jeunes. Halte au racisme, halte à la bêtise humaine bien sûr, mais la marche pour l’égalité, prolongement des émeutes de  1981, porte un immense message d’espoir, un message positif, pacifique : ce mouvement se bat, il se bat pour appartenir à la France, pour vivre ensemble en France, pour être Français à part entière, avec les mêmes droits, avec les mêmes devoirs. Il y a une réelle aspiration à construire quelque chose en commun.

Dans le débat public surgissent ainsi de nouvelles aspirations et des questions occultées jusqu’alors : la question de l’égalité, la question de l’appartenance à  une nation commune, la question des quartiers populaires viennent interpeller la société française dans son ensemble, qui découvre, ce jour-là plus qu’un autre, sa diversité.

Au cœur de cette marche pour l’égalité, les jeunes femmes qui y participent sortent du carcan familial, découvrent d’autres mondes, avec le syndicalisme dans le monde du travail, le  politique dans les revendications et les droits  civiques et le sens de l’engagement.

A Vénissieux, cette marche a une résonance particulière. C’est ici, aux Minguettes, qu’elle prend forme sous l’impulsion de Toumi Djaidja et de quelques jeunes qui créent l’association SOS Avenir Minguettes. Aidés à Vénissieux par le père Christian Delorme, Marcel Notargiacomo et la Cimade, ils tiennent à une démarche pacifique, inspirée de la marche pour l’emploi et la liberté de Martin Luther King. Partis de Marseille le 15 octobre, des milliers de marcheurs viennent grossir les rangs au fil des kilomètres, et arrivent à Paris le 3 décembre. Ils sont alors plus de 100 000.

Quarante ans après, quel est l’apport de cette irruption pacifique au cœur de la  République ? Pour les jeunes de cette époque, il y a le sens de l’engagement, la traduction politique d’un élan collectif. Ils ont réussi à transformer une colère sociale en revendications. Les lignes ont bougé après la Marche de l’égalité de 1983. En dénonçant les discriminations de l’époque envers les populations immigrées, elle a levé un tabou et a contribué à en éclairer d’autres. La Marche a été un détonateur des luttes que la République doit mener, aujourd’hui encore, contre toutes les formes d’exclusions, de genres, de handicaps, etc.

Elle a aussi marqué un tournant dans les politiques publiques. Les politiques de la ville ont été déployées, l’émergence d’une  France multiculturelle s’est inscrite dans l’identité collective. Au tournant des années 80, la ville a immédiatement réagi et cette succession d’événements a été en quelque sorte salutaire. La politique jeunesse de Vénissieux, les chantiers jeunes, les EPJ sont les héritiers de cette marche, ils traduisent la  volonté de la ville d’intégrer plus encore la jeunesse, de l’impliquer dans des projets structurants. En matière d’urbanisme, avec la rénovation urbaine, le cadre de vie a  changé, le confort des logements s’est  amélioré, les quartiers ont été désenclavés, etc.

Est-ce  suffisant  ? Non, des problèmes structurels demeurent : le chômage, la  précarité des familles, l’économie souterraine qui se développe, les trafics de drogues, d’armes, qui pourrissent la vie des quartiers. Pour les sociologues qui ont travaillé sur les mouvements sociaux et colères dans les banlieues, la grande différence entre aujourd’hui et la marche de 1983, c’est l’absence de traduction politique.

La seconde, malgré la construction d’équipements  publics,  c’est  l’affaissement de l’éducation populaire dans les quartiers populaires, présente dans les années 80, remplacée de nos jours par ce que les sociologues appellent des prestataires de services.

L’encadrement n’est pas le même, l’entrée en citoyenneté qui passait par  les activités culturelles, sportives, par des expériences collectives, s’est disloquée. C’est la raison pour laquelle notre Ville continue au contraire de renforcer l’éducation populaire, de croire en elle pour lutter contre les discriminations, offrir à tous, même aux familles les plus modestes, les possibles du pacte  républicain. C’est peut-être ce ciment-là qu’il nous faut recréer. Si aujourd’hui en effet, une marche était à inventer, elle serait la marche de tous et des droits pour tous, de l’accès à l’éducation à la santé, du logement à la culture, le droit à une vie digne, quelle que soit la génération.

Pour le 40ème anniversaire, notre ville propose un programme avec l’association mémoire des Minguettes Vénissieux, association qui a vu le jour en 2022. Son ambition est de perpétuer la mémoire du quartier des Minguettes à travers une variété d’activités sociales, culturelles, sportives et de loisirs.

Ce n’est pas qu’une époque que l’on retrouve, c’est une date et un mouvement qui sont entrés dans l’histoire de notre pays, une  main  tendue  au  vivre ensemble et à une société de la mixité sociale et culturelle.

La marche a bâti une double mémoire, historique et géographique : celle de l’immigration en France et celle du plateau des Minguettes, celle de la traversée d’une France à la jonction du  rural et de l’urbain, de l’agriculture et de l’industrie.

Pour  le  40e  anniversaire  de  la  marche pour l’égalité, Vénissieux et l’association proposent  deux temps forts : une  exposition à la Médiathèque Lucie-Aubrac du 21  octobre au 4  novembre, La marche  en  images,  qui  signe les retrouvailles du  photographe Farid L’Haoua avec la  Ville de Vénissieux. Surnommé le photographe de la marche, il en fut également un des porte-parole et  un des 32 marcheurs permanents. Une  soirée au cinéma Gérard-Philipe, avec une performance dansée de la Compagnie Second souffle, puis la projection du documentaire « Allons enfants » de Jeanne Menjoulet, aura lieu le 27 octobre.

Je tiens  également à remercier nos équipements et nos services pour ces quarante ans d’une marche pacifique et progressiste qui a fait avancer les droits civils en France.

Je vous remercie.  

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