Usine Marius-Berliet – Commémoration Plaques Portes B

Ils s’appelaient Pierre Gayelen, Félix Gojoly, Louis Moulin, Jean Navarro, Louis Troccaz. Ils ne sont pas morts pour rien, ils sont morts pour notre liberté, ils sont morts pour nous guider. Ici, à la porte B Usine Marius Berliet, cette leçon-là, celle de la résistance, personne ne peut l’oublier, car tout le monde doit en avoir conscience : la bête immonde n’est jamais terrassée, elle peut renaître et redresser à nouveau les hommes contre les hommes.

Ici, il y a plus de 70 ans, les combattants des Groupes Francs tombaient devant ces murs, fusillés par les troupes allemandes qui y stationnaient.

Vénissieux a payé un lourd tribut à la seconde guerre mondiale : les bombardements alliés de mai 44 vont provoquer la mort de 28 personnes au Charréard, rue Paul Bert et dans le vieux village. Son activité industrielle et la prise de position de la famille Berliet et d’autres capitaines d’industrie pour collaborer avec l’Allemagne, en font une cible privilégiée. L’usine Sigma est visée, la cité Berliet est réduite à un champ de ruines. Vénissieux est, après Lyon, la ville du Rhône ayant le plus souffert des bombardements anglo-américains. Immeubles endommagés : 800. Immeubles totalement détruits : 140. Grandes usines endommagées : 10, plus 2 totalement rasées. Petites usines endommagées : 15. Petites usines complètement détruites : 8.

Quasiment la moitié de Vénissieux est partiellement ou totalement rayée de la carte. Aux bombes ennemies se sont ajoutées les bombes amies.

Vénissieux est un exemple parmi tant d’autres, de la folie meurtrière générée par le 3ème Reich d’Adolf Hitler. L’extrême droite allemande, le nationalisme exacerbé, l’antisémitisme latent, puis virulent des années 30, vont entraîner le vieux continent et le monde entier dans la pire page de l’histoire de notre civilisation.

Cette année 2015 est particulière : elle marque la commémoration de la libération des camps, et la capitulation sans conditions des armées nazies. Lorsque les soldats de l’armée rouge débarquent dans le camp d’Auschwitz, le 27 janvier 1945, il y a 70 ans, ils découvrent un lieu quasi désert. Il y a des baraquements vides, entre eux des hommes marchent comme des fantômes, les souffrances et les humiliations endurées ont éteint leur regard. 9 000 survivants errent ainsi, hagards, dans un état d’épuisement total. Les corps décharnés, les os apparents sous une peau translucide, ils peinent à croire que les nazis ont quitté les lieux.

Les confidences d’un militaire soviétique témoignent de la monstruosité découverte : « Ce que nous avons vu dépasse tout ce que nous avions connu jusque-là. Imaginez une peau tendue sur des os et les yeux, surtout les yeux. C’était effrayant. Sur les visages, il y avait des larmes, des sourires, mais nous ne voyions en fait qu’une grimace ».

Dans Auschwitz, ce camp d’extermination effroyable, plus d’un million de personnes, dont 90% de juifs, vont y trouver la mort en quelques années, mais aussi les tziganes, les Polonais, les politiques, les communistes, les témoins de Jéhovah, les homosexuels, les criminels allemands.

De faim, de froid, de maladie, ils vont mourir par sélection, tri, dans les chambres à gaz et les fours crématoires. L’Holocauste, c’est 6 millions de victimes, dont près de 3 millions dans les chambres à gaz. A Treblinka : 800 000 morts. Belzec : 435 000. Sobibor : plus de 150 000… En planifiant l’impensable, en mettant en place une véritable industrie de la mort, en déshumanisant l’individu, réduit à l’esclavage, à la mort, à une statistique, l’Allemagne nazie a tué le genre humain, et cassé en deux un siècle, qui ne sera jamais plus le même. Ce que nie le 3ème Reich, c’est l’homme, touché dans sa chair, c’est l’individu, touché dans sa dignité.

Il ne s’agit pas d’un crime de guerre, mais d’un crime contre l’humanité, d’un crime contre la civilisation, d’un crime qui dépasse l’entendement.

Quand Jean-Marie Le Pen évoque ce « détail » de l’histoire, il salit, à l’image de tous les négationnistes, notre mémoire commune, partagée. Imaginez la résonance de tels propos parmi les survivants des camps, qui ont perdu leurs familles, un proche, un ami, oui, ce qui est sali, c’est notre mémoire commune, notre mémoire du passé, mais aussi notre mémoire du présent.

Peut-être faut-il voir dans ces discours abjects du déni, une façon de minimiser le rôle de la France pétainiste pendant la collaboration ?

Cette France de Vichy n’est pas légitime, ni légale, elle n’est pas élue démocratiquement, mais elle est revancharde, et va profiter de la collaboration pour s’en prendre aux forces progressistes : les communistes et syndicalistes dans un premier temps, puis les socialistes, les progressistes, les résistants, estimant même que le principal ennemi, c’est l’enseignant, coupable d’émanciper les enfants et la jeunesse. Les germes du pire sont déjà présents, l’abject va suivre : la déportation des juifs à l’été 42, et la collaboration active de l’Etat français dans cette entreprise d’extermination.

Oui, cette tache est indélébile, elle l’est d’autant plus que la France de Pétain, de Bousquet, la France des milices de Pucheux et de l’extrême droite, va faire preuve de zèle dans cette entreprise ignoble. Dans le cadre des rafles, tous les services de l’administration ont été impliqués, la police en premier lieu bien sûr, mais aussi, et on le sait moins, les services financiers, censés trouver des budgets extraordinaires, afin de parquer et de transporter les personnes arrêtées. La politique de quotas est décidée à Berlin, elle sera appliquée à Paris, avant de s’étendre à la zone libre. Pour la France le quota est fixé dans un premier temps à 40 000 juifs.

Pour la zone libre, l’idée des rafles est émise par Bousquet lui-même, auprès des autorités allemandes et de Heydrich, l’un des planificateurs de la Shoah !

Et c’est le même Bousquet qui rédigera les circulaires d’autorisation des arrestations, dès août 42. La nature de ces rafles change radicalement, dans la mesure où l’occupant n’y est pas présent, et c’est donc l’Etat Français qui livre de lui-même ses propres citoyens. La France de Pétain vient de signer l’un des pires chapitres de notre histoire nationale.  

Mais ce 8 mai est aussi jour de victoire pour tous ceux qui ne se sont jamais soumis à la violence du 3ème Reich, à la lâcheté de la France pétainiste.

De Gaulle, Jean Moulin, Manouchian, Lucie et Raymond Aubrac, les FTP MOI, les anonymes, femmes, jeunes et maquisards. C’est à ces gens, entrés dans l’histoire, tombés sous les balles ou victimes de délation, souffrant sous la torture, c’est à cette France libre, cette France du refus, à cette France debout, cette France du CNR, que nous devons penser aujourd’hui. Ils sont notre liberté, ils doivent nourrir notre vigilance. Je voudrais insister avec vous, sur cette notion de combat, pour ne pas céder à la résignation, pour rester debout.

La guerre physique de 39-40, et son cortège d’horreurs, ont été d’une brutalité et d’une barbarie sans nom. La guerre économique, qui sévit depuis des décennies dans notre pays, est moins radicale bien sûr, il n’empêche qu’elle fait, elle aussi, des ravages et des victimes parmi nous, parmi nos proches, au cœur de notre société.

Le combat que les salariés mènent contre cette guerre économique, constitue une résistance à part entière. Elle n’en est pas moins louable qu’une autre, elle intervient dans des époques différentes, mais elle rejoint les principes de nos aînés, du CNR, des générations de femmes, pour l’obtention du droit de vote : résister à l’ordre établi, résister à la loi du plus fort, résister à l’injustice, résister, d’une certaine façon, à nos propres peurs, au sentiment de solitude.

Vénissieux ne s’est pas construite en un jour, mais en additionnant la force de ses résistances, face à des épreuves qu’elle a su surmonter.

En ce jour de commémoration, c’est le message d’espoir et d’histoire que je voulais vous adresser, au nom des habitants et au nom d’une majorité, qui sera aux côtés des salariés de Renault Trucks dans cette bataille pour l’emploi et les savoir-faire.

« Résister, c’est créer », comme le disait Stéphane Hessel. Cette phrase n’a pas pris une ride.

Je vous remercie.

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