Sakineh Mohammadi Ashtiani citoyenne d’honneur de Vénissieux

Retrouvez le reportage-vidéo de cette soirée ainsi que l’intervention de Michèle Picard en cliquant sur l’image

Mère de famille de 43 ans, Sakineh Mohammadi Ashtiani est emprisonnée depuis 2006 à Tabriz en Iran. Elle a été condamnée à mort par lapidation pour adultère et complicité de meurtre. Partout dans le monde, elle est devenue le symbole de toutes ces femmes victimes de l’oppression, de la ségrégation et des discriminations.

Le 5 novembre et pour la première fois en France, Michèle Picard et le conseil municipal ont élevé Sakineh, lors d’une cérémonie officielle, au titre de citoyenne d’honneur de la ville de Vénissieux, réaffirmant ainsi son attachement à l’abolition de la peine de mort et au respect du droits des femmes.

L’indifférence vaudrait complicité. Le silence vaudrait passivité et lâcheté.

Pour des hommes et des femmes libres comme nous le sommes, aucun comportement de la sorte n’est tolérable face à l’horreur promise à Sakineh. Il y a des frontières, des lignes, des signes au-delà desquels toute tentative de justification devient un non-sens, un reniement de soi-même. Il y a des frontières, des lignes, des signes, au-delà desquels le sentiment de révolte et de dégoût est la seule réponse possible. En condamnant à mort par lapidation pour adultère Sakineh, mère de famille de 43 ans, la justice iranienne a franchi un pas supplémentaire vers l’ignominie, la barbarie, l’intolérance et l’intolérable d’un libre arbitre patriarcal et obscurantiste.

Aujourd’hui, et je le dis solennellement, la ville de Vénissieux est fière d’élever au titre de citoyenne d’honneur Sakineh Mohammadi Ashtiani. Fière et très inquiète au sujet des dernières nouvelles qui nous parviennent d’Iran, pour elle bien sûr, et pour son proche entourage.

Des informations concordantes annonçaient sa condamnation imminente à l’aube de ce mercredi 3 novembre. Peut-on dire, elle n’a pas eu lieu ou faut-il employer un autre temps, ce conditionnel morbide, elle n’aurait pas eu lieu. Du moins pour l’instant, du moins pour un jour, une semaine, un mois, personne n’en sait rien. Un sursis supplémentaire qui traduit combien le sort de Sakineh tient à un fil ténu, fragile, combien cette femme est devenue à son insu un moyen de pression, une « monnaie d’échange » entre la mobilisation internationale et le régime des mollahs. Cette femme a rejoint son cachot vivante, cette femme a rejoint sa geôle pour adultère, n’oublions jamais ce motif d’inculpation.

Inquiétude aussi et enfin pour le fils et l’avocat de Sakineh, arrêtés depuis la mi-octobre et dont nous sommes sans nouvelles depuis. Une femme vit un martyre, une famille vit un calvaire alors, oui, notre indifférence vaudrait complicité. Nous le savons, mais nous le savons mieux en France depuis Robert Badinter, la peine de mort est une « peine irréparable », comme le dénonçait Albert Camus.

Répondre au crime par le crime n’est pas une réponse à la hauteur d’un Etat de droit et de la justice de la société des hommes. Parce que, comme le disait l’ancien garde des Sceaux un certain 17 septembre 1981, « la peine de mort est l’anti-justice, parce qu’elle est la passion et la peur triomphant de la raison et de l’humanité ». Fort d’un postulat qui marque les esprits, il continuait en insistant sur le fait que toute justice appliquant la peine capitale repose sur un leurre, celui de coupables « totalement responsables » et de « juges absolument infaillibles ».

En faisant de Sakineh une citoyenne d’honneur, Vénissieux exprime dans un premier temps son opposition à la peine de mort. Opposition philosophique, opposition morale, opposition de principe qui s’adresse à tous les pays ayant encore recours, en 2010, à de telles pratiques. Ils sont au nombre de 58, sur tous les continents, des Etats-Unis à la Chine, du Japon à l’Arabie Saoudite… Pendaison, injection létale, exécution sommaire, décapitation, électrocution et bien sûr la lapidation, forme, il est vrai, particulièrement brutale et sauvage. Il n’y a pourtant pas de hiérarchie à établir entre ces condamnations, laquelle induirait une curieuse et suspecte opposition entre mort douce et mort violente. Toutes sont à placer sur le même registre : les peines de mort ne sont pas des peines, ce sont des crimes !

De même, la mobilisation pour Sakineh ne doit pas faire oublier les 23 Iraniens et Iraniennes qui attendent leur exécution, les 3 000 hommes et femmes qui vivent leurs derniers jours dans les couloirs de la mort aux Etats-Unis, les milliers de Chinois, exécutés d’une balle dans la nuque, balle dont on envoie la facture aux familles du défunt ! On peut également s’interroger sur les silences de la communauté internationale lorsque Teresa Lewis, américaine de 41 ans souffrant de déficience mentale, a été exécutée par injection létale le 23 septembre dernier. Depuis le rétablissement de la peine de mort en 1976 aux Etats-Unis, c’est la 12ème femme, rien que ça, à trouver la mort ainsi.

Sur un tel sujet, il n’y a pas « deux poids, deux mesures », pas dans mon esprit en tout cas, mais bien la nécessité de militer inlassablement pour l’abolition de ces crimes, quels que soient les Etats, quels que soient les régimes, quelles que soient les latitudes. N’y a-t-il pas moyen d’appliquer, dans un premier temps, le moratoire recommandé et adopté par les Nations-Unies en 2007, déclarant la peine de mort contraire à l’esprit de la déclaration universelle des droits de l’homme. Oui, nous sommes en 2010 et, aussi curieux que cela puisse paraître, le combat contre la peine de mort est un combat du présent, un combat de notre siècle. Ce siècle est aussi le siècle du combat pour les droits des femmes. Il n’est pas nouveau en soi car chaque avancée a été arrachée à l’histoire, à une histoire trop souvent écrite par et pour les hommes. Il n’est pas nouveau en soi, chaque femme le sait, mais il est plus que jamais d’actualité.

Sakineh est le symbole d’une époque où les régressions prennent le pas sur les émancipations. La question est simple : qu’a-t-elle fait pour être condamnée à la lapidation ? Rien, absolument rien, car personne ne peut croire que ses aveux cathodiques pour complicité de meurtre, obtenus sous la pression du pouvoir et des dignitaires religieux, aient une quelconque crédibilité. Elle n’a rien fait, sauf d’être sous le joug d’une justice patriarcale, une justice d’illuminés religieux, qui considèrent que l’adultère relève de la faute pénale.

Il flotte au-dessus de cette peine un parfum d’inquisition, de totalitarisme, d’obscurantisme. Comment ne pas être choqué, interpellé, comment ne pas être révolté devant une telle humiliation, devant de telles régressions humaines ?

Comment imaginer qu’une femme, aujourd’hui en 2010, ne puisse pas disposer de son corps et de ses sentiments librement ?

Comment accepter que les relents patriarcaux d’une justice qui n’en est pas une, d’une justice fantoche, puissent nier à ce point la femme dans sa chair, dans son identité, dans sa représentation ? Négation du droit des femmes, négation de sa vie, négation de sa liberté, négation de son indépendance, négation au bout du compte de son existence : jusqu’où supporter l’insupportable, jusqu’où se taire, jusqu’où les femmes doivent-elles courber l’échine ? Qu’on ne me dise pas que cette peine appartient à une culture ancestrale, à des coutumes et traditions qui ne sont pas les nôtres et que l’on ne peut pas comprendre vu d’ici, non, cette peine est un crime, cette peine est barbare, cette peine est impardonnable, intolérable, inacceptable.

La mobilisation pour Sakineh, malgré le contexte géopolitique et les moyens de pression exercés sur l’Iran dont tout le monde a conscience, reste et demeure juste, légitime. Elle le restera et demeurera tant que cette femme ne sera pas libérée. Concéder un millimètre à cette justice, c’est balayer du revers de la main les droits les plus élémentaires, les droits les plus universels, les droits des libertés individuelles, les droits de l’homme, tout simplement.

C’est laisser s’échapper de la boîte de Pandore les théories les plus nihilistes et extrémistes. Sur ce terrain-là, comme dans le monde du travail, dans la sphère privée, là où les indicateurs marquent partout des reculs significatifs, nous ne devons pas lâcher. L’Iran n’est pas la succursale du « mal » selon la rhétorique nauséabonde de Bush, elle n’a pas l’exclusivité des atteintes au droit des femmes. Ici même à Vénissieux, souvenons-nous, que l’imam Bouziane, en 2004, pronait la lapidation et la maltraitance des femmes.

Ici même, en France, remarquons combien les différents curseurs glissent également du mauvais côté : violences conjugales, harcèlement dans le monde du travail, pauvreté qui se féminise, discrimination en tout genre, exploitation mercantile de la femme-objet, distorsion de sa représentation et de son image dans l’imaginaire collectif, entre vénalité et pornographie, atteintes au droit à l’avortement, avec la fermeture de nombreux centres d’IVG. Ce n’est pas le jour d’entrer dans l’analyse de ces phénomènes car nos pensées se tournent vers Sakineh et le martyre qu’elle endure.

Vénissieux, en tout cas, la soutient, se mobilise et demande, au nom des droits de l’homme, sa libération. « Vous êtes des hommes, et moi, je ne suis qu’une femme, et pourtant je vous regarde en face », lançait à la face des jurés et à l’heure de son procès Louise Michel. Transmettre à Sakineh un peu de cette force-là, c’est le moins que l’on puisse faire.

Je vous remercie.

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