« L’invention du possible : pour une politique éducative de l’enfance, Vénissieux… Hier et demain »

Retrouvez l’intervention de Michèle Picard à l’occasion de la parution du livre « L’invention du possible : pour une politique éducative de l’enfance, Vénissieux… Hier et demain », le mercredi 20 avril 2011

Retrouvez l’intervention de Michèle Picard à l’occasion de la parution du livre « L’invention du possible : pour une politique éducative de l’enfance, Vénissieux… Hier et demain », le mercredi 20 avril 2011

Inventiondupossible20042011

1966. Je commence par une date, par une année, car je crois qu’elle résume à elle seule l’ambition et la résolution de la ville de Vénissieux en matière de politique éducative.

C’est dans notre commune qu’est créé le premier service municipal de l’enfance en France. Nous étions en 1966. 45 ans après, cette volonté ne s’est jamais démentie et la parution du livre « L’invention du possible : pour une politique éducative de l’enfance, Vénissieux… Hier et demain » est une nouvelle étape dans un processus qui s’étire dans le temps et qui n’est pas près de s’arrêter.

Quel chemin parcouru, quelle abnégation aussi dont l’ouvrage rend compte avec justesse. Nous pouvons être fiers de ce trajet, être fiers de cet ancrage, parce que l’enfance et la jeunesse constituent la richesse d’une ville, parce qu’elles sont la projection de notre propre avenir.

L’enjeu qui est face à nous, c’est justement de garder intacte cette place de l’enfance au cœur de la cité, au cœur d’un dispositif éducatif ouvert sur le monde.

C’est un enjeu de taille car l’environnement actuel, les politiques gouvernementales et l’hérésie libérale obèrent gravement la place de l’enfance et de la petite enfance dans nos sociétés.

Confusion des règles et de l’esprit, pure folie économique, qui fait passer l’investissement pour un coût, qui fait passer l’éducation pour une notion secondaire, qui considère l’enfance comme une part de marché. On touche là à ce qui construit, à ce qui échafaude.

L’enfance est ce point incandescent, d’où tout part et où tout nous ramène. C’est l’imaginaire, ce sont les sensations, c’est l’altérité, c’est la connaissance de soi et des autres, c’est l’apprentissage de disciplines inconnues, c’est l’ouverture à de nouveaux horizons et à ses propres limites.

Ne pas dupliquer, ne pas formater, ne pas restreindre : on est loin de cette éducation idéale à l’heure actuelle.

Pourtant les chemins qui mènent vers l’autonomie, l’émancipation, la construction de la personne ne suivent pas les trajets des chemins balisés, ce sont plutôt les chemins de traverse qui mènent à la singularité de chacun.

Il faut garder intact cet âge des curiosités, cet âge des possibles qui constituent les fondations du citoyen en devenir, et qui renforcent par sa diversité la richesse d’une collectivité.

Lors des forums des enfants que nous organisons, c’est ce bouillonnement de questions, de bon sens aussi, d’éveil permanent que j’aime partager à chaque accueil de groupe scolaire dans notre maison commune, la mairie, la République de 7 à 77 ans.

A l’aune de ces propos, les politiques menées depuis 10 ans relèvent de la non-assistance à démocratie en danger.

Parler de l’enfance dans de beaux et grandiloquents discours, alors que dans le même temps on met à sac les services publics, c’est non seulement contradictoire, mais c’est mensonger.

Expliquez-moi en quoi la suppression de l’école maternelle favorisera la socialisation des enfants de deux ans et plus ?

Depuis des années, nous luttons contre le démantèlement de l’école publique, et plus récemment encore, contre les non-remplacements d’enseignants ou contre les fermetures de classes comme à l’école Clos Verger la semaine dernière.

Et avec les nouvelles règles qui consistent à ne plus comptabiliser les enfants de moins de trois ans dans les écoles hors- ZEP, le maintien ou la création de nombreuses classes sont directement menacés dès la rentrée prochaine.

Expliquez-moi également comment le personnel des crèches et les crèches elles-mêmes, soumis aux règles du profit et de la rentabilité, vont avoir les moyens et le temps de favoriser l’épanouissement des enfants ?

Expliquez-moi comment on favorise l’émulation scolaire alors que les suppressions de postes d’enseignants atteignent des niveaux sans précédent, des niveaux alarmants pour l’avenir de l’école publique ?

Expliquez-moi pourquoi le fonds de protection de l’enfance (150 millions d’euros), base qui devait soutenir la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l’enfance, a depuis lors fondu des deux tiers ?

Expliquez-moi comment une société digne de ce nom peut tolérer les expulsions locatives qui plongent aussi des enfants dans la plus grande misère, dans le nomadisme urbain ?

Expliquez-moi comment cette même société peut fermer les yeux sur les conditions inhumaines, qui ne sont pas de leur âge ni de leur responsabilité, que les enfants connaissent dans les centres de rétention.

Jeu de dupes, qui ne trompe personne, mais jeu de dupes très dangereux, qui donne une idée de la considération et de la plus-value éducative dans ce pays.

Les résultats ne se font d’ailleurs pas attendre : dans son rapport, la défenseure des enfants, Dominique Versini, met le doigt là où ça fait mal : en France, on compte 2 millions d’enfants pauvres, dont 960 000 vivent dans des familles touchant un minimum social. Je ne passerai pas non plus sous silence les 16 000 enfants sans toit que compte notre pays.

C’est contre cette démission politique, que la Ville de Vénissieux s’oppose depuis de très nombreuses années.

Nous assumons un choix, nous le revendiquons, nous le portons et, je crois pouvoir le dire sans fierté mal placée, nous l’incarnons de belle façon : pas question de céder sur l’éducation populaire dont nous avons fait une priorité.

Comment donner une définition de ce terme ? Elle se définit bien sûr en complément des actions de l’enseignement formel, elle n’est pas verticale mais diffuse, et cherche à refondre la culture populaire en accordant une égale dignité à toutes les composantes de la société.

Entourer l’enfant de possibles et d’accès à ces possibles, c’est tout l’enjeu de la culture populaire actuelle.

C’est aussi l’enjeu dans un proche avenir dans la mesure où, à l’incurie gouvernementale, s’ajoutent des barrières de nature psychologique, culturelle, inconsciente, entre repli sur son territoire ou nouvelle forme d’autocensure. Quitte à faire tomber des tabous et des frontières, il faut sans cesse élargir l’horizon de l’enfant, lui faire comprendre qu’un univers qu’il suppose inaccessible, interdit par déterminisme social, reste à portée de main.

Les politiques sociales fortes que nous menons percent peu ou prou les murs de l’argent, donc ceux de la discrimination et de la ségrégation territoriales.

Ça demande des efforts, une sacrée volonté aussi, mais je crains que les replis culturels aient des effets plus redoutables encore. C’est un défi auquel les villes populaires risquent d’être confrontées et il va nous falloir faire preuve de vigilance mais aussi d’audace pour ouvrir les territoires sportifs, artistiques, culturels à tous… et pour les partager ensemble !

A Vénissieux, des axes forts se sont dégagés naturellement : la parentalité, l’éducation autour de valeurs fortes et républicaines (laïcité, respect, égalité, autonomie, diversité culturelle), l’intégration citoyenne des jeunes par la coresponsabilité.

Nous disposons d’un maillage de structures étoffé (11 maisons de l’enfance, 3 centres extérieurs pour les vacances et centres aérés, 11 équipements d’accueil du jeune enfant), qui nous permet d’assurer en priorité une continuité éducative de tous les temps de l’enfant. Une ATSEM par classe ; des locaux et une restauration de qualité ; 11 postes d’infirmières scolaires entièrement financés par la Ville ; des concertations riches et permanentes avec l’Education Nationale, avec les enseignants, une mobilisation sans faille pour défendre leurs conditions de travail et leurs revendications légitimes : nos combats ne sont pas vains, et chaque enfant en bénéficie.

Si nous cumulons les postes budgétaires Enseignement Ecoles + Sport Jeunesse + Culture, nous atteignons la barre des 53% des dépenses de fonctionnement. Nous consacrons donc en volume, 1 euro sur 2 à l’enfance et la jeunesse, et à la place qu’elles vont occuper au cœur de notre cité.

Je peux vous assurer qu’en tant que maire de Vénissieux, je suis très fière de ce budget car il réintroduit les vertus républicaines là où le système libéral cherche à les détruire.

L’enfance et la jeunesse sont des écrins formidables où la découverte de disciplines inconnues, sportives, culturelles, artistiques, les expérimentations, réussies ou pas, dessinent pas à pas la personnalité en devenir.

L’éducation populaire réside, je le crois, dans cette possibilité de construction, de recherche, de tâtonnement et d’expérimentations de l’enfant, qu’il peut trouver au cœur de sa propre ville. Elle réside dans cette possibilité d’associer éducation, loisirs, vacances avec l’Apasev.

Cinéma, médiathèque, bibliothèque de quartier, théâtre, arts plastiques, équipements et complexes sportifs, voilà pourquoi la ville s’est dotée de structures à la pointe de notre agglomération et mène pour sa jeunesse un combat politique exemplaire.

C’est le maintien de l’égalité des chances et de l’intérêt général, du désenclavement des quartiers par la présence de services publics de proximité et par la diversité d’accès à des activités que chacun a le droit de trouver en bas de chez soi.

L’éducation populaire est un outil pour lutter contre la (dis)continuité territoriale et une passerelle d’accès vers les connaissances, de soi-même comme de l’altérité, de la différence ou du méconnu. Je crois en ses vertus, tout comme je crois en sa profonde modernité.

Je tiens à remercier tous les acteurs pour ce formidable travail accompli au service de l’enfance, notamment Nicolas Serediuk qui, pendant 30 ans, a porté cette dynamique, et le directeur de l’APASEV, Serge Lombardi, qui œuvre chaque jour à faire vivre cette politique éducative ambitieuse.

X