L’appel du Général de Gaulle

Parfois, les mots semblent vains, jetés dans le vide, perdus dans le bruit et la fureur qui les entourent.

Le Général de Gaulle a-t-il eu ce sentiment d’impuissance et d’inutilité, ce 18 juin 40 aux micros de la BBC ? Non, il était animé d’un espoir, et convaincu que la République survivrait à ceux qui venaient de la trahir. Il ne savait pas, il pressentait, il ne s’agenouillait pas, il encourageait les hommes et les femmes à rester debout. Espoir, conviction, insoumission : voilà peut-être les trois sources de la Résistance, les trois sources du 18 juin, les trois sources d’un état d’esprit, qui allait relier des hommes et des femmes aux convictions, aux origines et aux nationalités différentes.

Ce 18 juin pourtant, personne n’écoute le général de Gaulle, peu connu du public, isolé, parti dans la précipitation à Londres. Vichy et Pétain raillent ce militaire isolé, et le surnomment le général Micro. Sur les 30 000 soldats français présents sur le sol britannique (les rescapés de Narvik et de Dunkerque), 58 décident de rester outre-manche. D’autres, de simples citoyens, partiront immédiatement de l’île de Sein, avec l’idée de poursuivre le combat depuis la Grande-Bretagne.

Le paquebot Le Massilia permettra, lui, à des membres du gouvernement et 27 parlementaires, de quitter la France pour continuer la guerre avec les troupes stationnées en Afrique du Nord. Il appareillera le 21 juin, soit 4 jours après la formation du gouvernement Pétain. Parmi les plus connus, figurent Pierre Mendès-France, Edouard Daladier, ou encore Jean Zay. Ce dernier et Pierre Mendès-France, sont arrêtés le 31 août à Casablanca, et traduits devant un tribunal militaire. Le travail de sape contre la Résistance, mené par Pétain et ses sbires, a déjà commencé.

Mais comment une centaine d’hommes peuvent lutter contre un régime, allié à l’Allemagne d’Hitler ?

Comment faire croire à des Français en pleine débâcle, que la guerre n’est pas perdue, que le combat n’est pas fini, que le Maréchal Pétain n’est pas un protecteur, mais le fossoyeur des idéaux républicains.

Par la force des mots et par la force de l’espoir, même si le sort de la guerre paraît à ce moment compromis, même si le chemin vers la victoire de la démocratie et de la liberté risque d’être long. Voilà le message que le Général adresse à ses concitoyens :

« Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non ! Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire… Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ! ».

Le 27 mai dernier, François Hollande a choisi de faire entrer 4 résistants au Panthéon.

Deux hommes, deux femmes, auxquelles on aurait pu ajouter, sans se lancer dans de stériles polémiques, les résistants communistes comme Missak Manouchian, Martha Desrumaux, Marie-Claude Vaillant-Couturier. Dans le geste du président de la république, il y a la valorisation de la dimension patriotique et républicaine, mais aussi la reconnaissance du rôle des femmes, au cœur de la résistance. Quand on parle de Germaine Tillion ou de Geneviève de Gaulle Anthonioz, on ne parle pas, pour une fois, de « la femme de », mais de femmes déterminées et indépendantes dans leur choix, de rejoindre dès la première heure la résistance.

L’esprit du 18 juin, il est dans la réaction physique de Germaine Tillion, quand elle apprend que Pétain a pris le pouvoir. Le non est catégorique, il est même viscéral, puisqu’elle ne peut s’empêcher de vomir. L’ethnologue poursuit : « Il suffit d’une seconde pour qu’une vie bascule. Devenir un salaud ou un héros, à quoi cela tient-il ? Après, le « choix » étant fait, on doit s’y tenir… ».

L’esprit du 18 juin, il est dans cette phrase de Geneviève de Gaulle Anthonioz, après son arrestation par la gestapo et sa déportation à Ravensbrück : « Je m’étais toujours dit que, si je devais un jour être reconnue coupable, je préférerais que ce soit sous mon identité véritable. Je trouvais que c’était bien qu’il y ait des gens de la famille de Gaulle qui soient arrêtés, que cela se sache ». Geneviève de Gaulle Anthonioz, Germaine Tillion, Pierre Brossolette, est-ce un hasard si ces trois figures se sont engagées, dès 41, dans le même réseau dit du Musée de l’Homme, un groupe vite démantelé et dont les fondateurs seront arrêtés.

Résister, Jean Zay, ministre de l’éducation nationale et architecte du Front Populaire, a toujours su ce que ça voulait dire. Républicain franc-maçon, de père juif et de mère protestante, il incarnait tout ce que l’extrême droite détestait. Une haine sans limites se déverse sur lui avant la guerre. Dans les colonnes de L’action française, les propos de Léon Daudet sont d’une violence et d’un antisémitisme inouïs, je le cite : « Le juif torche Zay ». Céline, lui-même, n’est pas en reste, dans son pamphlet L’école des cadavres : « Sous le négrite juif Jean Zay, la Sorbonne n’est plus qu’un ghetto ».

Arrêté après son embarcation sur le Massilia, condamné à la prison à vie après un procès truqué, détenu dans la prison de Riom, les milices de Pucheu iront même jusqu’à l’extraire de sa cellule, pour l’exécuter sommairement dans un bois. L’extrême droite tenait sa revanche, elle ne la laissera pas passer, dans ce flot de rage et de violence qui la caractérise. Il est symptomatique de remarquer que son entrée au Panthéon a ravivé, aujourd’hui encore, les rancœurs de l’extrême droite sur les réseaux sociaux.

Réécoutons plutôt l’intelligence et la lucidité de Jean Zay dans son ultime confidence : « Je n’ai jamais été si sûr de mon destin et de ma route. J’ai le cœur tranquille, je n’ai aucune peur ». Même dans les camps, l’esprit de la résistance, l’esprit du 18 juin continuera de maintenir une lueur d’espoir. Matricule 27372, Geneviève de Gaulle Anthonioz va connaître l’enfer de Ravensbrück, aux côtés d’une certaine Germaine Tillion. Destins croisés, destins uniques et, chez l’une comme chez l’autre, la même volonté de ne rien céder à la vie.

Geneviève frôle la mort plusieurs fois, qu’elle décrit dans son livre témoignage « La traversée de la nuit »: « J’ai manqué cent fois de mourir, au milieu des femmes massacrées à la pioche, mordues par les chiens, jetées au milieu des folles dans les immondices ». Mais c’est la même femme qui gardera au fond d’elle-même, une forme de malice, malgré des conditions de vie insupportables : « Pour mes camarades déportées, dit-elle, j’étais une sorte de de Gaulle miniature ».

Et que dire de Germaine Tillion. Où trouve-t-elle cette force de vie qui lui fait écrire clandestinement, à Ravensbrück, une opérette, oui, vous avez bien entendu, une opérette. Elle s’appelle « Le verfügbar aux enfers » et elle raconte, avec un humour grinçant, les inhumaines conditions de détention des déportées. Sur son cahier soigneusement caché, Germaine Tillion accompagne sa parodie d’airs populaires, extraits du répertoire lyrique qu’elle avait gardés en mémoire.

Force de la vie, force de la liberté, force de caractère, force de l’esprit plus fort que la soumission, plus fort que la domination, plus fort que la violence et la bêtise de l’oppresseur. Il y a chez ces deux femmes un autre trait d’union remarquable : la notion de combat ne connaît pas de fin, elle fait partie de leur vie. Ainsi, bien après la capitulation des nazis, l’une dénoncera et luttera contre la torture et la guerre d’Algérie, l’autre contre la misère et la pauvreté, à la tête d’ATD Quart Monde.

Plus qu’une date, le 18 juin 40 prend date, il fait le pari d’un possible, d’une éventuelle victoire de la démocratie et de la République, sur la veulerie et le régime de Vichy. Dans son appel, le général de Gaulle sème quelque chose, quelque chose qui allait germer naturellement dans l’esprit de chaque résistant, du nord, du sud, parmi les syndicalistes, les cheminots, les communistes, socialistes et progressistes. Parmi aussi les anonymes, parmi les membres du CNR, parmi les jeunes et moins jeunes. Le chemin sera long, jonché de drames et de ruines, de familles meurtries, certaines décimées.

Mais aucun résistant n’a hésité à l’emprunter, en mesurant les risques encourus, sans retour possible, pour eux, pour leurs proches, pour leurs amis. C’est une date en forme de réaction épidermique, une date en forme de réflexe, une date d’orgueil, pour ne pas mourir comme ça, sans combattre les armes et les idéaux à la main. L’écho du 18 juin résonnera parmi toutes les résistances, celle de la première heure, celle des Francs-Tireurs et Partisans Français, celle du tournant de l’été 42. Son aboutissement aura une date pour acte de naissance : le 27 mai 43.

Au terme d’une réunion clandestine de 19 personnes, animée par Jean Moulin, le CNR voit le jour, avec une double mission : concourir à la libération du pays, et imaginer le modèle social de l’après-guerre, ce modèle social français, qui est encore le nôtre.

De nos jours, la résistance devient une valeur refuge de notre histoire. Faut-il y voir l’expression des inquiétudes et des difficultés que notre République rencontre ?

Le libéralisme qui la détruit, la montée de l’extrême droite et des replis identitaires qui la rongent, montrent combien le courage, la résistance et l’engagement, sont l’essence même du pacte républicain. Il n’y a pas de République sans nous, sans notre volonté de construire ensemble, un bien commun. Aujourd’hui comme un 18 juin 40, aujourd’hui comme demain.

Je vous remercie.

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