Journée de la Résistance

Le mardi 29 mai 2012 – Retrouvez l’intervention de Michèle PICARD à l’occasion de la journée de la Résistance, le dimanche 27 mai dernier.

Le mardi 29 mai 2012

Retrouvez l’intervention de Michèle PICARD  à l’occasion de la journée de la Résistance, le dimanche 27 mai dernier

« Le mot résister doit toujours se conjuguer au présent ».

Lucie Aubrac ne croyait pas si bien dire. Il résonne dans le monde d’aujourd’hui, comme jamais depuis bien longtemps. Il résonne en Espagne à la Puerta del sol, à Athènes, au Portugal, en France, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, au pied même de Wall Street.

A travers le mouvement des Indignés, c’est le mot résister qui est brandi. Résister au capitalisme financier, résister aux forces de l’argent, qui confisquent le pouvoir et l’expression des peuples, résister à une mondialisation qui crée des inégalités impensables, qui exploite le plus faible, détruit les droits du travail, et recrée les conditions de l’esclavagisme et du déterminisme social.

Oui, résister est un verbe de notre temps, de notre époque, de notre siècle. Il est parmi la citoyenneté, et il est aussi au cœur d’une nouvelle pensée politique, face à un capitalisme à l’agonie. Edgar Morin, Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, leurs derniers livres parlent tous de résistance, de reconquêtes citoyennes, de la priorité de l’homme et de nos sociétés sur le matérialisme, sur l’individualisme et l’argent. Le plus surprenant n’est pas de trouver une hauteur de vue sur notre siècle, de la part de tels auteurs et de tels résistants, le plus surprenant, c’est l’écho éditorial que ces œuvres ont provoqué au cœur de l’opinion publique, au cœur de nos sociétés.

Certains parleront du succès inattendu d’Indignez-vous, je préfère y voir une réelle prise de conscience collective, l’amorce, peut-être, enfin, d’une vraie résistance à un mode de développement économique et social désastreux. Une onde de choc contre la résignation, une onde de choc contre l’impuissance, ressentie par beaucoup, à agir sur le monde, à le changer, à le réformer.

« Que l’espérance est violente ! », disait Sartre. Oui, il y a une violence, mais aussi une non violence, dans l’acte de résister. Car résister, c’est espérer, résister, c’est créer.

Cette violence, c’est l’énergie, pas simplement du désespoir, mais une énergie collective, qui vous fait avancer contre un système établi. Je veux ici rendre hommage à Raymond Aubrac, disparu il y a un peu plus d’un mois, et dont la parole et la voix manquent déjà à toutes les générations, anciennes ou plus jeunes. Je le cite : « Il faut être optimiste, c’est cela l’esprit de résistance. On ne le dit pas assez.

Tous les gens qui se sont engagés dans la Résistance, ou avec le général de Gaulle, ce sont des optimistes, des personnes qui ne baissent pas les bras, qui sont persuadées que ce qu’elles vont faire va servir à quelque chose. Il faut avoir confiance en soi, être optimiste et croire que ses combats sont utiles ». Il y a dans ces propos plus d’une leçon à tirer, il y a des perspectives et des lignes à suivre, pas pour l’histoire passée mais pour nous, pour nos sociétés et nos engagements.

Ce que nous dit Raymond Aubrac, c’est de sortir de nos égoïsmes, qui prennent parfois le visage du cynisme ou de la résignation, du « à quoi bon puisque c’est ainsi». Il nous dit tout simplement d’y croire, d’y croire collectivement. La question de la Résistance, en France, renvoie immédiatement à celle de la seconde guerre mondiale. C’est bien évidemment un raccourci, puisque les mineurs de Carmaux, ou encore les luttes des femmes tout au long du 19ème et 20ème siècle pour les droits civiques et l’émancipation, sont de formidables Résistances, avec un grand R.

Résistance au patronat, résistance au patriarcat, résistance là encore, et comme toujours ai-je envie d’ajouter, à l’ordre établi. Mais c’est bien contre le régime de Vichy, contre l’occupant allemand, contre la déportation des juifs de France, contre la répression des communistes, syndicalistes, socialistes et progressistes que notre pays s’est construit. Et c’est bien grâce à la Résistance que la France, comme le dit si bien Régis Debray, « a pu voyager en 1ère classe avec un billet de seconde ».

Oui, c’est une question que l’on est en droit de se poser : que serait, et à quoi ressemblerait la France d’aujourd’hui, sans Jean Moulin, sans le Général de Gaulle, sans Lucie et Raymond Aubrac, Missak Manouchian, sans Jean Zay, Marc Bloch, les FTP MOI. Sans les anonymes, les justes, les maquisards, tombés pour une idée et une grandeur, celle d’homme libre défendant une France libre.

Cette résistance est incomparable, car ce que chacun engageait dans ce combat, c’était sa propre vie. Résister au risque de la torture, résister au risque de mettre en péril sa famille, ses enfants, ses amis, son réseau. Résister et surmonter sa peur, de mourir, de souffrir, d’être trahi. A-t-on idée de la nature de ce sacrifice pour la liberté, de cette exposition totale, et souvent tragique, pour vaincre la bête immonde du 3ème Reich, de l’extrême droite.

Mesure-t-on bien le choix de ces hommes et femmes, capables de sublimer l’angoisse d’une vie qui ne sera plus jamais la même. Il ne peut pas y avoir d’engagement plus fort, plus sincère et plus courageux que celui dont ont fait preuve tous les résistants.

Contrairement aux propos réactionnaires qui tentent de détourner l’histoire, il ne s’y est pas construit un imaginaire, ni une mythologie, il s’y est construit une force et un programme, une réalité sociale et économique, contenue sous ces trois lettres : le CNR. Il est bon de rappeler ce que la résistance a construit à travers le Conseil National de la Résistance, surtout à l’heure où l’on tente honteusement de réhabiliter Louis Renault, par exemple.

Ils ont construit ce sur quoi nous avons vécu, et ce que nos nouvelles résistances doivent désormais reconstruire. Un pacte social de l’intérêt général, un pacte social de solidarité.

Après un tel désastre de civilisation, après la shoah, après ces millions de morts et de villes rasées, ils l’ont fait, alors que toutes les raisons étaient bonnes pour ne plus y croire, ni en la société des hommes, ni en des lendemains de progrès. Et pourtant, ils y ont cru, ils ont élaboré une Sécurité sociale pour tous, prévoyant remboursements des frais médicaux et indemnités de chômage.

Ils ont étendu les retraites à toutes les catégories de salariés. Ils ont nationalisé les grandes entreprises, en particulier Renault, la SNCF, Air France, les grandes banques, mais aussi la grosse industrie et les assurances, pas simplement pour les sanctionner après la collaboration, mais pour partager les richesses, et garder le contrôle des énergies et de l’appareil de production. Ils ont lancé la subvention de programmes culturels ambitieux, institué l’indépendance de la presse des capitaux des grandes industries, autorisé le vote des femmes.

Ce qu’ils nous ont légué, ça n’est pas rien, c’est tout, tout ce qui fait société, tout ce qui fait que l’on vit l’un avec l’autre, et non pas l’un à côté de l’autre, tout ce qui tend une collectivité vers plus de justice, plus d’égalité, plus d’humanité, tout ce qui nous fait vivre, ensemble ! Oui, Raymond Aubrac a raison, résister, c’est y croire et résister, le CNR nous le prouve encore aujourd’hui, ce n’est pas simplement s’arc-bouter, mais bien déjà construire ! Ne comparons pas l’incomparable.

Nos résistances avancent en temps de paix, les leurs œuvraient en temps de guerre. Pourtant, n’oublions jamais de résister aussi, au monde des idées. Il y a aujourd’hui un risque réel d’expansion du populisme, du repli nationaliste et de l’extrême droite, sur l’ensemble du Vieux Continent.

Résister aux amalgames, résister aux raccourcis, résister à la recherche du bouc-émissaire, une constante en temps de crise, cela fait partie de l’engagement de tout citoyen, en prise avec son siècle. Ne regardons pas chez le pays voisin, mais ce qui s’est passé ici, patrie de Rousseau et de Voltaire.

Depuis cinq ans en France, et au plus haut sommet de l’Etat, les discours qui ont été tenus ont ouvert des brèches, dont on risque de payer les conséquences dans un proche avenir. Laïcité bafouée, c’est le discours de Latran de Nicolas Sarkozy. Le continent africain rabaissé et humilié, c’est le discours de Dakar. Une communauté ciblée et stigmatisée, c’est le discours de Grenoble.

L’absurdité morale et historique « d’une civilisation supérieure », c’est le fait d’un Ministre de l’Intérieur.

Ce sont des glissements répétés vers la division, le clivage, le rejet. Quand un président candidat ose affirmer, à des fins électoralistes, que le Front National est compatible avec la République, il légitime le pire, et ouvre une brèche sans précédent.

Résister, c’est aussi savoir s’indigner et se révolter contre des mots qui blessent, contre des discours qui agressent, contre cette impunité du vocabulaire qui attise la haine… et les marchands de haine. Je voudrais finir cette commémoration de la Résistance, à laquelle la Ville de Vénissieux est très attachée, par ceux qui, pendant plus d’un an, ont résisté avec leurs moyens, avec leur volonté, avec leur courage.

La Résistance n’est pas un panthéon, elle n’obéit pas à une hiérarchie, elle offre de multiples visages. Elle n’est pas faite d’un seul bloc, mais d’actions isolées ou connectées, d’individus qui forment une entité, qui créent une collectivité. La plus belle des résistances que Vénissieux ait connues en 2012, c’est celle des salariés de Veninov.

Ceux qui ont connu les affres d’un plan social, savent ce qu’il en coûte à chaque individu. La peur du vide, la peur de ne plus trouver de travail, la peur de perdre ses collègues et son outil de travail, la peur de ne plus subvenir aux besoins de sa famille. Voilà ce que chaque salarié de Veninov a dû ressentir, à un moment ou un autre, dans ces temps d’incertitudes, d’espoirs, puis à nouveau d’inquiétudes. Plus d’un an à vivre ainsi, je vous le dis, c’est long, c’est très long.

Mais ils n’ont pas cédé face au fonds de pension, face à la résignation, face au capitalisme financier qui n’attend qu’une chose pour tout raser : l’usure de la volonté. Ils n’ont pas cédé, et ils ont gagné, en sauvant aussi bien leur entreprise, que leurs savoir-faire.

Alors cette année, je crois qu’ensemble, nous pouvons dédier cette journée locale de la Résistance à Raymond Aubrac, Lise London et aux salariés de Veninov. « La résistance se conjugue toujours bien au présent ».

Je vous remercie.

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