Inauguration du festival « Brisez le silence » à Vénissieux

48 000 femmes sont victimes de viols, je précise, constatés par les services de police ou de gendarmerie, soit 132 actes ignobles par jour, traumatismes dont il est très difficile de se relever.

Le 24 novembre 2010

Michèle Picard a inauguré aujourd’hui, en présence de Maryvonne Bin-Heng, présidente de Filactions et du Collectif Femmes de Vénissieux, l’étape vénissiane du festival « Brisez le silence » contre les violences conjugales.

Retrouvez, ci-après son intervention

Ce siècle, à l’heure actuelle, est à la décote humaine.

Tout se passe comme si l’homme perdait peu à peu le contact avec les hommes : accélération et emballement du temps, individualisme forcené, liens de solidarité attaqués, sentiments d’impuissance face à des modèles économiques qui fonctionnent en vase clos et qui détruisent tout sur leur passage, du social à l’environnement.

A la société des hommes se substitue une société du flux où le sort des individus devient anecdotique. Dans ce cadre-là, (il porte un nom, c’est le capitalisme financier), tous les droits d’émancipation (des enfants, des femmes, des minorités, des immigrés) sont tenus en joug, en recul, en régression.

Violence économique, violence sociale, violence verbale, violence physique. Au final : la décote humaine règne sans partage, les valeurs de respect de l’autre, respect de la différence, de la singularité sont foulées aux pieds.

Les femmes sont bien souvent le baromètre de nos sociétés, aussi bien dans leur émancipation, que dans l’atteinte ou la régression de leurs droits.

Les données réelles vont au-delà de toute interprétation : une femme meurt sous les coups de son conjoint tous les deux jours et demi en France, soit 140 victimes en 2009.

Cette violence conjugale représente 16% des homicides dans notre pays !

48 000 femmes sont victimes de viols, je précise, constatés par les services de police ou de gendarmerie, soit 132 actes ignobles par jour, traumatismes dont il est très difficile de se relever.

Violence aveuglante à laquelle il faut ajouter la violence muette, confinée, la violence sous la férule de l’omerta et des fondamentalistes : les crimes d’honneur, les excisions, la burqa, les mariages forcés, qui n’ont qu’un but : nier le corps, l’indépendance, la liberté et même l’identité de la femme. La nier dans sa chair comme dans son esprit, dans ses mouvements comme dans ses droits. Sous quels ordres ?

Ils peuvent être de différentes natures : patriarcal, religieux, mais aussi dans le fonctionnement de nos sociétés de consommation, celui de la femme vénale, de la femme-objet.

Face à cette situation, qui empire d’année en année et que la crise actuelle va accentuer, le gouvernement a fait adopter la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites aux femmes.

Il y a dans ce texte quelques avancées, notamment en matière de protection des victimes ou de mariage forcé. Mais il y a aussi dans ce texte beaucoup de blancs, de trous intentionnels et de paragraphes à écrire.

Entre les intentions et le terrain, il y a un pas, immense, que l’Etat ne franchit pas. Je citerai pour commencer le problème de l’hébergement d’urgence. Il y a carence de places, de structures et le budget 2011 entérine une baisse de 2% pour l’hébergement d’urgence par rapport 2010.

Première contradiction d’une très longue liste.

A Vénissieux, nous travaillons sur ce point avec l’association Fil et le conseil municipal vient de décider l’aménagement d’un logement d’urgence sur la Ville. C’est bien, mais c’est aussi ce que j’appelle un logement « d’urgence de l’urgence » car à l’échelle des municipalités nous ne parviendrons pas, seules, à colmater les brèches.

Sans loi cadre comme en Espagne, et sans volonté politique nationale, la loi du 9 juillet 2010 restera une coquille, bien présentée à l’extérieur, mais vide à l’intérieur.

Pour étayer mes propos, je vous rappellerai également les baisses des subventions de l’Etat accordées aux associations, de l’ordre de 19% entre 2006 et 2009. De fait, on supprime les moyens d’éradiquer sur le terrain, là où les violences ont lieu, toute action de prévention, d’accompagnement, de mobilisation et de sensibilisation.

L’abandon des missions régaliennes contraint les collectivités à se substituer à l’Etat. Les centres de planning familial sont exsangues, sans moyens financiers.

Pour mesurer les degrés de difficultés actuelles, le centre de planning du Rhône nous a demandé pour la première fois une subvention exceptionnelle de 1000 euros afin qu’il puisse boucler son budget et continuer ses missions d’information et de prévention auprès des femmes. Demande à laquelle, bien sûr, nous avons répondu positivement.

Voilà la réalité du milieu associatif, et elle n’est pas des plus réjouissantes, sans oublier de mentionner les menaces qui planent sur l’hôpital public et les centres d’IVG inscrites dans la loi Bachelot.

Lorsque je parlais d’absences et de trous dans la loi du 9 juillet 2010, je parlais de cette inadéquation flagrante entre le discours d’une part et son application concrète d’autre part, qui nécessite des moyens humains, financiers ou matériels, qui demande une action quotidienne de proximité et à long terme.

Et ce sont ces leviers d’action que le libéralisme détruit méthodiquement au nom de la rentabilité, du maillage associatif à l’éducation nationale, de la santé publique à la justice. Difficile de croire à l’ambition de cette cause nationale décrétée pour les violences faites aux femmes.

A-t-on déjà vu une politique porter ses fruits sans la volonté de s’en donner les moyens. Je vous le dis sincèrement : non, trois fois non.

Pour autant, nous n’avons pas à céder à la résignation. C’est la raison pour laquelle je me réjouis du travail fourni avec l’association Filactions, avec le Collectif Femmes et avec les EPJ. Parce que ce travail de fourmis est un travail qui débouchera sur des résultats.

Je pense notamment à toutes ces actions qui sont menées dans les lycées et collèges pour sensibiliser les jeunes à une question que les précédentes générations avaient tendance à cacher sous le tapis.

Prévention, respect dans les relations entre filles et garçons, luttes contres les humiliations et la banalisation des actes de violences, on en parle, enfin, et la fin de l’omerta est la condition nécessaire, certes pas suffisante, pour avancer dans le bon sens.

Oui, on en parle enfin et c’est peut-être le socle des préjugés, du machisme conscient et de la misogynie inconsciente qui sont en train de se fissurer.

Ce que nous entreprenons ici tous ensemble est un travail de longue haleine car nous nous attaquons à des comportements « acquis » dont nous voulons en modifier la nature et les règles. A Vénissieux, en élevant Sakineh au rang de citoyenne d’honneur, nous nous élevons contre l’injustice, la peine de mort, pour la dignité de la femme, mais nous nous élevons aussi contre l’indifférence et contre les discours réactionnaires.

On ne peut pas comprendre la lapidation car elle appartient à une autre culture, à une tradition ancestrale, voilà le genre de rhétorique qu’il faut combattre.

Non, la lapidation est bien un crime ignoble, non la peine de mort n’est pas une peine, mais bien un meurtre !

Non la violence faite aux femmes n’est pas l’expression banale d’un conflit conjugal, mais un acte grave, qui relève du pénal.

Non le harcèlement sexuel n’est pas une joute verbale, mais un comportement répréhensible et inacceptable. Et ainsi de suite.

De la journée internationale des femmes du 8 mars au festival que nous inaugurons, nombreuses sont les barrières physiques et psychologiques que nous avons à franchir.

Cette violence terrible de coups portés derrière la porte d’une chambre, cette violence que des enfants entendent à travers l’appartement et qui les brisent intérieurement, cette violence gratuite, bestiale, de celui qui se sent fort en tapant sur ce qu’il croit, juge et considère comme faible, cette violence-là n’est pas supportable, n’est pas justifiable.

Autour de ce village associatif, écoutons ce témoignage anonyme et gardons-le en tête : « La violence a commencé quand on s’est mariés. Elle était d’abord psychologique et morale. A partir de là, j’ai eu deux maris, un charmant et un démon. Lors de différentes crises, il cassait tout : la table, la vaisselle. Et je lui donnais toujours raison même quand il avait tort pour ne pas augmenter la dispute. Mais le lendemain quand je lui disais, il me demandait si je cherchais encore de la dispute, alors, alors, je me taisais… ».

Se taire et se terrer dans la peur, omerta insupportable qu’il nous faut briser dès maintenant.

Je vous remercie.

inaug festival brisez le silence a venissieux241110

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