Hommage à Henri Alleg

Henri Alleg, journaliste, militant communiste et écrivain, vient de nous quitter. Son livre, La question, publié en 1958, va provoquer une véritable onde de choc. Nous sommes en pleine guerre d’Algérie….

Henri Alleg, journaliste, militant communiste et écrivain, vient de nous quitter. Son livre, La question, publié en 1958, va provoquer une véritable onde de choc. Nous sommes en pleine guerre d’Algérie. Juin 1957, Henri Alleg, membre du parti communiste algérien, directeur du quotidien Alger Républicain, interdit de publication, vit dans la clandestinité lorsqu’il est arrêté par des parachutistes. La guerre d’Algérie, qualifiée d’événement en métropole, bat son plein. La sauvagerie et l’horreur se déchaînent, l’usage de la torture se banalise. L’Etat Français ferme les yeux, tout en cautionnant de telles pratiques. Le livre d’Henri Alleg va les lui ouvrir brutalement.

Séquestré dans un immeuble d’El Biar, le journaliste va subir des sévices ignobles, terribles. A ses cotés, Maurice Audin, jeune assistant en mathématiques, militant du PCA, mourra sous la torture. Henri Alleg résiste aux coups, à la gégène, aux brûlures, à l’étouffement par l’eau, aux humiliations, aux menaces de représailles sur sa famille. Il trouvera la force et les mots pour décrire cet enfer-là, dans le livre La question préfacé par Jean-Paul Sartre. Un livre aussitôt censuré par les autorités françaises, que Malraux, Martin du Gard, Mauriac et Sartre défendront en vain auprès de René Coty, président de la République.

Ces mots sont durs, ils vont faire voler en éclats un terrible non-dit : oui, la France est en guerre en Algérie, oui, des militaires pratiquent la torture : « D’un seul coup, je bondis dans mes liens et hurlai de toute ma voix. Charbonnier venait de m’envoyer dans le corps la première décharge électrique. Près de mon oreille avait jailli une longue étincelle et je sentis dans ma poitrine mon cœur s’emballer… Des nuits entières, durant un mois, j’ai entendu hurler des hommes que l’on torturait, et leurs cris résonnent pour toujours dans ma mémoire. »

Peu à peu, l’histoire de la guerre d’Algérie sort enfin de l’ombre. Mais il reste encore beaucoup d’archives à ouvrir et de travail à accomplir, pour que les historiens, les sociologues et les témoins de l’époque entreprennent le travail de mémoire qui s’impose. Le processus est lent, le processus est long, mais il est en marche et Henri Alleg, Germaine Tillion et bien d’autres en auront été les principaux artisans. Devoir de justice, devoir de vérité de l’Etat Français, devoir d’une histoire assumée, voilà ce que le journaliste écrivain réclamait et exigeait, voilà le travail qu’il nous faut poursuivre et approfondir.

Henri Alleg n’aura pas été que l’unique auteur de La question. Ses combats ont été multiples, contre la spoliation et l’exploitation de l’homme par l’homme. Il parlait du présent et au présent, d’une forme de « néo-colonialisme » qui ne dit pas son nom mais qui alimente toujours les guerres impérialistes en Irak, en Afghanistan, mais aussi dans l’oppression du peuple palestinien par l’Etat d’Israël.

Adhérent de longue date au PCF, il avait pour ligne d’horizon la justice sociale, la fraternité entre les hommes et les peuples, et le combat contre toute forme de discriminations, d’apartheid.

Sur la crise actuelle, Henri Alleg tenait ces mots : « Moi aussi, j’ai fait le point. Mais je crois que les désillusions ne doivent pas ébranler notre conviction que l’on peut changer le monde ».  Des mots à la hauteur d’un homme de mémoire et d’un homme d’espoir, d’un homme d’engagement et de conviction qui s’est battu pour ses idéaux jusqu’à son dernier souffle.

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