Commémoration du 51ème anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie

Le 19 mars que nous célébrons aujourd’hui s’inscrit, pour la première fois et officiellement, dans le cadre de la journée nationale du souvenir des victimes de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Enfin, et après tant de combats, de polémiques et de déclarations réactionnaires, le 19 mars est reconnu comme date officielle, adoptée par le parlement le 6 décembre 2012. Ce choix fort, pourtant si difficile à obtenir, est symptomatique d’une histoire que la France n’a pas voulu regarder dans les yeux.

Mercredi 20 mars 2013

Retrouvez l’intervention de Michèle PICARD à l’occasion de la Commémoration du 51ème anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, mardi 19 mars 2013.

 

Cette commémoration du 19 mars doit nous permettre de continuer d’avancer. Avancer en dépassant les crispations, avancer en mettant fin aux guerres mémorielles, avancer vers un seul objectif commun : la mémoire partagée, ici en France, là-bas en Algérie. Nous y parviendrons, et nous allons y parvenir, en faisant se rejoindre les peuples et l’histoire, en reconnaissant les responsabilités de chacun, dans ce drame et cette tragédie que furent les temps de la colonisation.

Le traité d’amitié Franco-Germanique est là, pour nous montrer qu’une voie de la pacification, entre les peuples et les États, existe, malgré 14-18, malgré 39-40, malgré les massacres qui ont eu lieu sur notre sol, lors de la retraite allemande, malgré les familles endeuillées et les générations que l’Histoire a fauchées, ensevelies, anéanties. Je le dis souvent : il s’agit moins de tourner la page que d’en écrire une autre, forte justement des leçons du passé, une page de réconciliation, tournée vers l’avenir, tournée vers les jeunes générations. Sans repentance, sans ressentiment.

Je tiens ces propos à dessein car, je le crois sincèrement, les choses bougent, et plutôt dans le bon sens.

Le 19 mars que nous célébrons aujourd’hui s’inscrit, pour la première fois et officiellement, dans le cadre de la journée nationale du souvenir des victimes de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Enfin, et après tant de combats, de polémiques et de déclarations réactionnaires, le 19 mars est reconnu comme date officielle, adoptée par le parlement le 6 décembre 2012. Ce choix fort, pourtant si difficile à obtenir, est symptomatique d’une histoire que la France n’a pas voulu regarder dans les yeux.

Il faut revenir sur les origines de ce 19 mars 62 et sur sa portée historique : il renvoie à l’application de l’accord de cessez le feu, signé à Évian, entre la France et les représentants du gouvernement provisoire algérien.

Cet accord, approuvé par référendum le 8 avril 1962 par 90 % des votants, mit officiellement fin à ce qu’on appelait, avec une grande lâcheté, « les événements d’Algérie ». Le Président Jacques Chirac avait alors choisi la date « neutre » du 5 décembre, pour instituer une journée nationale d’hommage aux « morts pour la France », pendant la guerre d’Algérie et les combats en Tunisie et au Maroc.

Mais, sans réelle signification, cette date continuait d’être contestée par les plus importantes organisations d’anciens combattants qui lui ont toujours préféré la date du 19 mars. Certes, après le 19 mars 62, le sang a continué de couler (attentats de l’OAS, massacre des harkis), mais dans cette incapacité française à instituer une journée du souvenir, ne faut-il pas y voir tout simplement la volonté de laisser la guerre d’Algérie dans l’ombre et le non-dit, de la refouler au lieu d’en assumer la tragique erreur ? Dans le même esprit, il aura fallu attendre le 10 juin 1999, soit 37 ans après les accords d’Évian ! pour que l’Assemblée nationale reconnaisse l’expression « guerre d’Algérie ».

La mémoire partagée a perdu du temps en route, beaucoup de temps, à l’image du massacre du 17 octobre 1961 à Paris, tu, caché lui aussi pendant de longues années, par bon nombres d’autorités françaises. Mais là encore, les lignes bougent : les travaux de l’historien Benjamin Stora montrent que des avancées ont eu lieu. L’ouverture partielle des archives de l’armée française, dans les années 90, et l’arrivée d’une nouvelle génération de chercheurs, ont permis un nouvel éclairage de cette période. Le 17 octobre, même si c’est une journée noire de notre pays, entre progressivement dans notre histoire commune, et enfin reconnue.

La stèle que nous avons posée, commémorant le 17 octobre 1961, parc Louis Dupic, illustre cette démarche et cette volonté politique : l’histoire finit un jour ou l’autre par s’imposer.

Enfin, la visite en décembre dernier de François Hollande en Algérie, a ouvert elle aussi de nouvelles perspectives. Face aux parlementaires algériens, le président de la République a reconnu « les souffrances que la colonisation a infligé au peuple algérien ». En citant « les massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata » qui « demeurent ancrés dans la mémoire et dans la conscience des Algériens », François Hollande a également dénoncé un système colonial « profondément injuste et brutal ».

Certains ont crié à la repentance (les mêmes réactionnaires, certainement, qui défendaient la loi du 23 février 2005, et son article 4 sur les « bienfaits d’une colonisation positive », présentée à l’Assemblée nationale), d’autres ont estimé qu’il n’était pas allé assez loin. Il n’empêche, ces avancées sortent la guerre, que l’État français a mené en Algérie, de l’omerta et du reniement, et c’est cela qui nous donne des raisons d’espérer et d’aller de l’avant, d’œuvrer pour la réconciliation des peuples avec leur propre histoire commune, dût-elle être aussi douloureuse et tragique.

Ces avancées doivent aussi nous rappeler qu’il faut lutter et se battre constamment, pour faire prévaloir le droit de vérité, pour accéder à une histoire restituée, et non pas officielle, sans aspérités ou revisitée. Car en face, il y aura toujours des forces réactionnaires, pour nier et bafouer la réalité, car en face, il y aura toujours cette tentation du repli communautaire, pour relire l’histoire à ses propres fins et l’assujettir à ses propres intérêts.

Le chemin qui est devant nous, il se situe pile entre ces deux écueils, car la guerre d’Algérie n’appartient à personne, si ce n’est aux historiens pour qu’ils l’éclairent et la restituent aux peuples français et algériens, dans la plus exacte vérité des faits, du contexte national, international et des responsabilités de chacun.

Cette guerre est une double tragédie. Tragédie d’un peuple asservi et d’une terre spoliée pendant plus d’un siècle. Entamée à la fin de la Restauration, et à peine achevée sous Napoléon 3, la colonisation est un bain de sang dès le 19ème siècle.

Viols, pillages, récoltes dévastées, mise à sac des villages tenus par la résistance d’Abd-el-Kader, populations enfumées dans des grottes, jusqu’en 1847, la guerre, soutenue par Thiers, est déjà sauvage, féroce. Tragédie d’un peuple humilié par le code de l’indigénat qui créait deux catégories de citoyens : les citoyens français (de souche métropolitaine), et les indigènes ou sujets français (Africains noirs, les Malgaches, les Algériens, les Antillais, les Mélanésiens). En clair, les « sujets français » soumis au Code de l’indigénat, étaient privés de la majeure partie de leur liberté et de leurs droits politiques. Idem en matière d’éducation, d’accès aux soins, de justice.

Un code qui ne sera abrogé qu’en 1944 par le comité français de libération nationale. La guerre qui suivra sera un long chapelet de souffrances et de brutalité : côté algérien, entre 300 000 et un million de morts, pour un pays qui ne comptait à l’époque que 10 millions d’habitants.

La France avait mobilisé deux millions de jeunes et déployé 400 000 hommes. 30 000 d’entre eux ne reverront plus leur sol natal, dont 13 000 appelés emportés par une histoire qui les dépassait, et sacrifiés par un État français autiste et aveugle. Et puis, il y a cette autre tragédie, celle d’une République, la 4ème, qui rate le rendez-vous avec l’histoire de son siècle.

Il est toujours plus facile de juger les faits 60 ans plus tard, hors du contexte, mais le mythe de l’Algérie française est une erreur terrible que des hommes politiques, des sociologues, ethnologues et intellectuels, de Derrida au Manifeste des 121, dénonçaient avec véhémence. Ils dénonçaient cette sale guerre qui ne disait pas son nom, mais l’État français, aveugle, n’en a pas tenu compte. Alors que la SFIO s’alignait sur l’idée de l’union française, les militants et la base du PCF prenaient de court leur propre direction, hésitante, frileuse, une direction qui allait se fourvoyer en votant les pouvoirs spéciaux à Guy Mollet.

Les manifestations pour « la paix en Algérie », les figures d’Henri Alleg, de Maurice Audin, de Germaine Tillion, les morts de Charonne, parviendront à faire entendre une autre voie, celle de la raison, celle de l’arrêt des combats, celle de l’indépendance.

C’est aux victimes bien sûr, mais aussi à tous ces hommes et femmes qui ont lutté et ouvert les esprits contre la raison d’État, que je voulais rendre hommage aujourd’hui.

Notre tâche est de poursuivre leur mission : faire en sorte que la mémoire rapproche, faire en sorte que l’histoire soit partagée et non morcelée, faire en sorte qu’une nouvelle page des relations apaisées entre la France et l’Algérie s’écrive sous nos yeux, et dès aujourd’hui.

Je vous remercie.

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