Roger Gaget, Chevalier de la Légion d’Honneur

… »Surtout qu’elles seront suivies par une politique de terreur et de terre brûlée contre la population locale, contre les maires des petites communes également, qui seront assassinés. »…

Un Nobel ne récompense pas un livre mais une œuvre, cette médaille de Chevalier de la légion d’honneur récompense non pas un fait extraordinaire, mais une vie entière.

Cher Roger Gaget, permets-moi de te tutoyer, c’est ton parcours, ton engagement sans faille pour la liberté des hommes que cette cérémonie éclaire. Né en 1923, tu as vingt ans en 1943, lorsque tu désertes des chantiers de jeunesse pour t’engager dans la résistance, « groupe Périclès », école de cadres des maquis du Haut-Jura.

Savoir dire Non, quand il est interdit de s’opposer, savoir dire Non, quand c’est une question de vie ou de mort, savoir dire Non, pour construire un autre lendemain. La fougue et l’énergie de la vingtaine n’expliquent pas tout, il faut y associer une sacrée force de caractère, car entrer en résistance, c’est entrer dans une autre dimension : faire confiance ou se méfier, agir, sans exposer ses proches ou son réseau. Tu as souvent dû te poser ces questions à la tête des « groupes francs », chargés de ravitailler le maquis en armements, en nourriture et en équipements, et de débusquer les membres de la gestapo et de la collaboration.

Force mentale de la résistance, force physique des êtres qui la composent pendant un hiver 43/44 très vigoureux, et dans le cadre d’un quotidien aux conditions de vie précaires. Le mois de mars qui suit, est le mois de l’attaque des troupes de Pétain sous les ordres des Allemands. L’offensive est repoussée, les forces militaires du 3ème Reich pilonnent le maquis du Haut-Jura, qui résiste 48 heures malgré des moyens nettement plus limités. Ces journées-là, celles de tenir tête aux Allemands, puis de se retirer dans les forêts environnantes, doivent rester vives dans ta mémoire.

Surtout qu’elles seront suivies par une politique de terreur et de terre brûlée contre la population locale, contre les maires des petites communes également, qui seront assassinés. Le cauchemar, d’une violence sans fin, et l’espoir de vaincre malgré tout, l’occupant et le régime de Vichy, illégitime et illégal.

Le débarquement de juin 44 va changer la donne, et les missions de libérer le Haut-Jura et une partie de l’Ain, vont se multiplier. C’est au cours de l’attaque du poste allemand de Pratz, le 10 juin, que tu es blessé par des tirs de grenades allemandes, heureusement sans gravité.

Mais les combats vont repartir de plus belle, crimes, bombardements, tortures, déportations deviennent le lot terrible, le lot répété de ces années noires, de ces années tragiques. Les jeunes s’engagent, il faut les former, la Résistance est aussi une école de la vie, de la transmission, où toutes les expériences servent, surtout dans un tel contexte. Une école de la différence aussi, différence de classes sociales, différence de cultures, différences de langues, à l’image de cette unité FFI que tu intègres avec des jeunes ukrainiens, des interprètes russes, pour assurer le bon fonctionnement d’une troupe cosmopolite.

Une fois Paris libéré, un délégué de l’ambassade soviétique te charge d’exfiltrer les troupes ukrainiennes jusqu’à Odessa via Marseille. Affecté à l’État-major de Dijon, tu suivras ensuite de nombreuses périodes d’instructions pour la validité de ton grade de lieutenant FFI. Démobilisé fin 45, tu reviens enfin à la vie civile.

Ce retour à un réel pacifié, n’a d’ailleurs pas toujours été facile pour bon nombre de résistants. Il faut retrouver des repères, retrouver la confiance que l’on accorde à l’autre, quitter une famille, celle des maquisards, pour se réinsérer dans sa propre vie  privée.

Dans une certaine mesure, il faut apprendre et réapprendre à respirer, à sourire, à agir sous un air plus léger. Et puis il y a l’attente, des proches dont on est sans nouvelles, des détenus dans les camps dont on espère le retour, et le décompte macabre de ceux qu’on ne reverra plus.

Depuis 1948, tu milites dans les associations d’anciens résistants des maquis du Haut-Jura, et de l’ANACR, organisation nationale, dont tu as été le co-président pour le département du Rhône. Actuellement, président d’honneur de l’ANACR du Rhône, tu continues d’assurer des témoignages sur la résistance.

Quand je parle de ton parcours pendant la seconde guerre mondiale, je pense à tous les récits que j’ai pu lire sur l’entrée en résistance, puis la vie en résistance, puis la vie après la résistance. Je pense à Edgar Morin, à Raymond Aubrac, et donc à toi Roger, avec ce point commun remarquable entre vous : faire de l’expérience vécue, bien que violente et traumatisante, une force de vie à transmettre aux jeunes générations.

La guerre chez chacun de vous ne s’est pas arrêtée à l’armistice, elle s’est poursuivie à travers d’autres combats et d’autres chemins, l’éducation, la pédagogie, la reconnaissance nationale que méritent les anciens combattants.

Cet exercice et cette nécessité de la transmission, pour protéger les autres d’un enfer que l’on a soi-même connu, la ville de Vénissieux en a fait une question centrale qui rejoint, je le sais, l’ensemble de tes préoccupations.

C’est la raison pour laquelle je suis fière que tu reçoives, cher Roger, la médaille de Chevalier de la légion d’honneur. Il n’y est pas question de légitimité, mais d’un immense et mérité retour des choses.

Je vous remercie.

X