Armistice de la guerre 1914-1918

Ils ont vécu un enfer que personne, aujourd’hui, ne peut réellement imaginer. Un enfer de tous les instants, de toutes les saisons, dans le froid et l’humidité de l’hiver, dans la suffocation et la fournaise de l’été…

Ils ont vécu un enfer que personne, aujourd’hui, ne peut réellement imaginer. Un enfer de tous les instants, de toutes les saisons, dans le froid et l’humidité de l’hiver, dans la suffocation et la fournaise de l’été. Sous la litanie des bombes qui pleuvent, des amis qui tombent sous les balles, des gaz moutarde qui vous brûlent la peau, les yeux, et détruisent les tissus pulmonaires. 4 % des morts ont été causées par l’utilisation des premières armes chimiques. Sous l’empire de la peur aussi, du chaos, du bruit, de l’effondrement, aussi bien physique que psychologique. Enterrés-vivants, vivants-enterrés dans des tranchées, de glaise, de boue, de sang.

Il y a un peu plus d’un siècle, des générations de jeunes ont été envoyées à la mort, comme chair à canon. En France, avec 1,3 million de soldats français morts au combat, c’est près de 27 % des 18-27 ans, qui disparaissent en 4 ans, soit 10 % de la population active masculine ! Au cours de la seule journée du 22 août 1914, 27 000 soldats français seront tués ! 27.000 morts sur 400 km de front, de la Belgique à la Lorraine, en l’espace de 24 heures ! Le chiffre est effarant et effrayant.

Cette date du 22 août 1914, nous devons tous la retenir : jamais une journée n’a été aussi sanglante, dans toute l’histoire de France. Pour la première fois, l’homme est dépassé par les armes qu’il a créées. Il n’est plus rien, sauf une victime à venir, bientôt un nom gravé sur un monument aux morts. 14-18 peut être considérée à juste titre, comme la 1ère guerre totale, mais elle reste avant tout, la 1ère guerre industrielle. 25 ans plus tard, le 3ème Reich et Adolf Hitler pousseront les limites de l’horreur encore plus loin, en mettant en place la mort industrielle, dans les camps de concentration et d’extermination. 14-18 est une rupture en forme de déflagration. Un historien a eu ce mot que je trouve si juste : « cette guerre a commencé comme une guerre du 19ème siècle, et fini comme une guerre du 20ème ».  Elle porte aussi en elle l’idée d’un monde qui disparaît, enseveli à tout jamais : la France rurale, en premier lieu, mais aussi une forme d’insouciance, qui régnait dans les grandes capitales européennes.

Revenir à l’histoire, c’est revenir aux mots, à la parole, et à l’homme pris dans les tourments d’un conflit, dont il n’est pas responsable. Le quotidien des poilus révèle l’enfer de la 1ère guerre mondiale. Ce dont témoigne Roland Dorgelès, journaliste et écrivain. Je le cite : « Tous avaient sous le casque les mêmes traits d’épouvante : un défilé de revenants. Les paysans du front ont le cœur endurci et ne s’émeuvent plus guère, après tant d’horreurs. Pourtant, quand ils virent déboucher la première compagnie de ce régiment d’outre-tombe, leur visage changea : « oh ! Les pauvres gars… ». Apollinaire, mort de la grippe espagnole deux jours avant l’armistice, aura ces mots : « Si tu voyais ce pays, ces trous à hommes, partout, partout ! On en a la nausée, les boyaux, les trous d’obus, les débris de projectiles et les cimetières. »

Guerre totale, guerre abominable, qu’un soldat de la Marne décrit ainsi : « Le vent en soufflant en rafales arrive à chasser les tourbillons de fumée, pas à chasser l’odeur de la mort. « Champ de bataille », ai-je dit plus haut. Non, pas de champ de bataille, mais champ de carnage !… » Mais c’est peut-être Jean Giono, dans le traumatisme que 14-18 a pu être, et dans les traces qu’elle va laisser, qui en parle le mieux, à l’aune d’un refoulé qui prend le pas sur le souvenir, ou quand le simple fait de se rappeler, ouvre sur un champ d’angoisses ineffaçables.

J’ouvre les guillemets : « Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois deux jours ou trois sans y penser et brusquement, je la revois, je la sens, je l’entends, je la subis encore. Et j’ai peur. Ce soir est la fin d’un beau jour de juillet. La plaine sous moi est devenue toute rousse. On va couper les blés. L’air, le ciel, la terre sont immobiles et calmes. Vingt ans ont passé. Et depuis vingt ans, malgré la vie, les douleurs et les bonheurs, je ne me suis pas lavé de la guerre. L’horreur de ces quatre ans est toujours en moi. Je porte la marque. Tous les survivants portent la marque ».

La 1ère guerre mondiale n’est pas une guerre de libération, ou d’émancipation, mais de décomposition des empires, d’exaltation des nationalismes, d’alliances de circonstances et d’atavisme du capitalisme. Cette poudrière va laisser un champ de ruines. Sur le Vieux Continent, la France est le pays le plus touché, avec 1,4 millions de tués et disparus. Le déficit des naissances s’élève à plus de trois millions. La production agricole et industrielle s’effondre, 3 millions d’hectares sont ravagés, et près de 50% de la population paysanne a été décimée. Le pays est à terre. Des régions entières, comme le Nord et l’Est de la France, sont ravagées, soit l’équivalent de 11 départements.

Pénurie de charbon, pénurie de main d’œuvre, déficit de naissances considérable, auxquels il faut ajouter la propagation de la grippe espagnole, et le retour des Gueules Cassées, qui choquent et alimentent le traumatisme d’une société k.o, debout et incrédule : les lendemains sont terribles. A l’échelle planétaire, il est difficile d’estimer le nombre total de victimes, les historiens s’accordent sur le chiffre de 19 millions de morts, 10 millions pour les militaires, 9 millions pour les civils. Mais les victimes de la grippe espagnole, conséquence directe des conditions sanitaires épouvantables, de ces quatre années de combat, ne sont pas recensées.

Lorsque le 11 novembre 1918, les généraux alliés et allemands signent l’armistice, dans la clairière de Rethondes, la fin des combats ne marque pas la volonté réelle d’apaisement. Le traité de Versailles signé un an plus tard sera vécu comme une humiliation par l’Allemagne.

C’est sur ce terreau qu’Adolf Hitler va propager, dans les années 20, son nationalisme mortifère, en exploitant le mythe du coup de poignard dans le dos d’une République de Weimar, cédant à toutes les exigences des alliés, et trahissant les intérêts du peuple allemand. S’il existe des ramifications entre les deux conflits mondiaux, les réunir en une seule période, qui irait de 1914 à 1945, me paraît réducteur. La crise de 29, la montée des intolérances contre les juifs, contre le communisme, le socialisme et les forces syndicales, la recherche de boucs-émissaires, le désarroi et l’amertume des classes populaires, touchées par la crise et l’inflation, et la faiblesse des démocraties, constituent autant de facteurs propres à la guerre de 39-40. Un marqueur, par contre, reste constant, et c’est celui-là qu’il nous faut retenir : le nationalisme, c’est la guerre, quel que soit l’endroit géographique, quelle que soit la période historique.

Oui le nationalisme, la haine de l’autre proférée par l’extrême droite, ont mené à chaque reprise, les peuples vers les abîmes et le néant. Plus un témoin, plus un soldat, plus un poilu n’est là pour témoigner de l’horreur vécue. La mémoire de 14-18 est passée dans les livres, les manuels, les photos, les films et archives disponibles. Elle est passée aussi dans la fiction, qui interroge différemment, le rapport que nous entretenons avec cette guerre.

L’un des coups de cœur de la rentrée littéraire, Le garçon de Marcus Malte, roman initiatique et sauvage, qui croise la folie des hommes et la fureur de 14-18, montre que la 1ère guerre mondiale continue d’imprégner notre présent, de questionner notre imaginaire. Des questions concrètes demeurent aujourd’hui encore, comme la réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple, pour laquelle André Gerin et Guy Fischer se sont battus. Le sénateur avait d’ailleurs déposé une proposition de loi au Sénat, fin 2012. Cela concerne 650 à 700 soldats, et dans leur grande majorité, ils n’étaient ni lâches, ni traîtres, mais désorientés, apeurés, pétrifiés par la violence des combats. Une réhabilitation au cas par cas est difficile à envisager, dans la mesure où 20% des dossiers ont, un siècle après, disparu. Le pas vers la concorde, le pas le plus sage, serait de réunir sous un même vocable, tous les morts pour la France, à l’aune d’un enfer qu’ils ont tous connu, mais que certains n’ont plus eu la force physique, ni psychologique, d’affronter.

J’aimerais aussi que l’on se souvienne aujourd’hui, de tous ceux qui, loin de leur terre natale, sont morts pour la défense de la France : les tirailleurs sénégalais, marocains, algériens, tunisiens, ceux venant d’Indochine, d’Océanie, de Madagascar. Les pertes seront, là aussi, considérables, estimées à plus de 70.000 hommes, sur le sol français. Au printemps 1914, dans les rues de Berlin, de Paris, de Vienne, l’insouciance règne, les affaires continuent, et ceux qui voient dans la montée des nationalismes, un péril à venir, à l’image de Jaurès, ne sont pas écoutés, voire même menacés. Il y a bien, ici ou là, quelques foyers de tensions, mais l’Europe continue d’avancer en « Somnambules », comme le titre si bien, l’historien Christopher Clark.

Du jour au lendemain, l’attentat contre l’archiduc François-Ferdinand et de sa femme à Sarajevo, fera basculer le Vieux Continent, puis le monde, dans une guerre d’une violence inouïe et insoupçonnable. Il s’agit bien d’une rupture de l’histoire, d’un basculement tragique d’un monde vers un autre, dans le fracas des armes et des obus, avec les peuples comme principales victimes. Un siècle plus tard, nous devons retenir que la paix peut être balayée, plus vite qu’on ne le croit, par le populisme, par la montée de la xénophobie, par le recours aux instincts les plus primaires.

Le monde qui est le nôtre est un monde en guerre, ici guerre militaire, là, guerre économique, géopolitique ou religieuse. 14-18 nous apprend qu’une étincelle dans les Balkans, a provoqué un embrasement planétaire. Je voudrais, à cette occasion, remercier tous ceux qui œuvrent à la transmission et à la connaissance des grands conflits du 20ème siècle. Les associations d’anciens combattants portent une mémoire active et présente parmi nous, ici et maintenant. Elles en sont des acteurs à part entière, et c’est la raison pour laquelle, nous venons de dévoiler, avec Monsieur Jacques Salanon, vice-président de la section Bron-Vénissieux de l’UMAC, une plaque commémorative du centenaire de l’Union des Mutilés et Anciens Combattants.

Comme le notait Albert Camus, « la liberté est la seule valeur impérissable de l’histoire ». A nous de porter cet espoir, et de transmettre les combats vécus, les tragédies endurées et, au final, la volonté de vivre libre et de vivre en paix.

Je vous remercie.

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