8 mai 1945, capitulation sans conditions des armées nazies

Le 7 mai 1945 à Reims, le général allemand Alfred Jodl signe, aux côtés du général Eisenhower, les termes de la capitulation. Un cessez-le-feu et une fin des combats sont actés, et doivent être mis en œuvre sur le terrain dans les 48 heures. C’est donc dans une salle d’un collège de Reims que prend fin officiellement, la fin de la seconde guerre mondiale. L’histoire ne retiendra pas cette date, mais celle du 8 mai. Staline, qui se sent trahi par cette signature, tient avant tout à ce que l’Allemagne Nazie, l’ennemi vaincu, capitule sur son territoire, c’est-à-dire à Berlin.

Le 8 mai, une cérémonie officielle est organisée en présence des pays vainqueurs, dans la capitale allemande, le document quasi identique à celui de Reims y est paraphé, la seconde guerre mondiale prend fin, du moins sur le Vieux Continent. Car l’escalade de l’horreur se poursuit en Asie. Les 6 et 8 août, à Hiroshima et Nagasaki, l’armée américaine lâche deux bombes nucléaires sur les populations civiles : en l’espace de quelques secondes, au moins 200 000 personnes mourront brûlées, ou ensevelies sous les gravats.

L’histoire a retenu le 8 mai 45. Elle retiendra surtout que jamais un régime politique nationaliste, xénophobe, antisémite, le 3ème Reich d’Adolf Hitler, n’était allé aussi loin dans la barbarie, dans un déchaînement de haine et de rage impensable. Ce 8 mai 45, pour les survivants des camps d’extermination, pour les rescapés d’un conflit inimaginable, il faut tout réapprendre. Croire en l’homme à nouveau, croire à l’humanité à nouveau, croire aux forces de la vie à nouveau. Se pardonner, presque, d’être vivant, quand les membres de la famille, les proches, les amis sont tombés sous les balles, sous les bombes ou dans les chambres à gaz.

Car l’extrême droite de Goebbels et Himmler n’a pas ouvert une brèche, dans le cours de notre civilisation, elle a ouvert des gouffres insondables. Il ne s’agissait pas de tuer un ennemi, mais de penser, imaginer, puis mettre en œuvre l’industrialisation de la mort, pour supprimer les juifs d’Europe, pour liquider les opposants, les communistes, syndicalistes, socialistes, pour éliminer les minorités, tsiganes, homosexuels, pour écarter les plus faibles et les personnes handicapés.

Auschwitz 1 : 70 000 morts. Auschwitz 2-Birkenau : plus d’un million de victimes. Ravensbrük, camp de concentration de femmes : 90 000 morts. Bergen-Belsen : 150 000. Mauthausen : au moins 95 000. Dachau : au moins de 30 000. Buchenwald : 56 000. On estime que 6 millions de personnes ont perdu la vie, dans ces camps de l’innommable. Des hommes, des femmes, des enfants suppliciés, sacrifiés par millions, des expériences médicales réalisées sur des détenus vivants, 70 ans après, le même effroi nous saisit, la même nausée nous prend. Les villes deviennent des villes martyres. En six mois, la bataille de Stalingrad, entre juillet 42 et février 43, fait un million de morts, dont 250 000 civils. Sous les bombardements alliés, Dresde est littéralement rayé de la carte. Berlin et Varsovie sont presque complètement détruites.

En France, Brest, Caen, Le Havre, Lorient, Saint-Nazaire, Saint-Lô, Évreux, Saint-Malo, Rouen, sont en ruines. Pour notre seul pays, le montant de la reconstruction s’élève à plus de 4 milliards de francs ! 74 départements métropolitains sont très sévèrement touchés, et plus d’un million de ménages, sur les 12,5 que la France comptait à l’époque, sont sans abri à la sortie de la guerre.

Rares sont les familles qui n’ont pas perdu l’un des leurs, un ami, une connaissance, un proche. A la terrible blessure physique, s’ajoute un traumatisme psychologique sans précédent. Pour les rescapés des camps de concentration, le retour à la vie normale est quasi impossible. Troubles du sommeil, sentiment de culpabilité d’être encore en vie, dépression profonde, impression d’une identité niée à tout jamais, la reconstruction psychologique des survivants d’Auschwitz, ou de Dachau, sera longue, terrible épreuve au cours de laquelle, il faut tout réapprendre : rire, aimer, et surtout croire à nouveau en l’homme. Certains d’ailleurs n’y parviendront jamais tout à fait. Ecoutons ces mots de Primo Levi, extraits du livre la Trêve, qui évoquent le retour dans son Italie natale, après la libération d’Auschwitz. La maison était toujours debout, sa famille vivante, lui à peine reconnaissable, barbu, les vêtements déchirés. J’ouvre les guillemets :

«  C’est un rêve à l’intérieur d’un autre rêve, et si ses détails varient, son fond est toujours le même. Je suis à table avec ma famille, ou avec des amis, au travail ou dans une campagne verte ; dans un climat paisible détendu, apparemment dépourvu de tension et de peine ; et pourtant, j’éprouve une angoisse ténue et profonde, la sensation précise d’une menace qui pèse sur moi. De fait, au fur et à mesure que se déroule le rêve, peu à peu ou brutalement, et chaque fois d’une façon différente, tout s’écroule, tout se défait autour de moi, décor et gens, et mon angoisse se fait plus intense et plus précise. Puis c’est le chaos ; je suis au centre d’un néant grisâtre et trouble, et soudain je sais ce que tout cela signifie, et je sais aussi que je l’ai toujours su : je suis à nouveau dans le Camp et rien n’était vrai que le Camp. Le reste, la famille, la nature en fleur, le foyer, n’était qu’une brève vacance, une illusion des sens, un rêve ».

C’est le rapport au réel, le rapport à l’humanité et à la civilisation, que le 3ème Reich a totalement détruit. Le choc est terrible, renforcé par le nombre total de victimes lors de ce conflit, 60 millions de morts, par l’entrée dans l’ère nucléaire, qui frappe l’opinion publique par sa capacité de destruction massive et terrifiante. Le 20ème siècle est cassé en deux. Dans ce torrent de haines et de drames, la France, elle, allait commettre l’irréparable.

La faute impardonnable, celle de croire que la droite pétainiste et l’extrême droite, en se soumettant au joug nazi, allaient protéger notre pays, va se transformer en tache indélébile, dans l’histoire de notre nation. La France de Vichy n’est pas légitime, ni légale, elle n’est pas élue démocratiquement, mais elle est revancharde, et va profiter de la collaboration, pour s’en prendre aux forces progressistes :

Les communistes et syndicalistes dans un premier temps, puis les socialistes, les progressistes, les résistants, estimant même que le principal ennemi, c’est l’enseignant, coupable d’émanciper les enfants et la jeunesse. Les germes du pire sont déjà présents, l’abject va suivre : la déportation des juifs à l’été 42, et la collaboration active de l’Etat français, dans cette entreprise d’extermination. Oui, cette tache est indélébile, elle l’est d’autant plus, que la France de Pétain, de Bousquet, la France des milices de Pucheux et de l’extrême droite, va faire preuve de zèle dans cette entreprise ignoble.

Dans le cadre des rafles, tous les services de l’administration ont été impliqués, la police en premier lieu bien sûr, mais aussi, et on le sait moins, les services financiers, censés trouver des budgets extraordinaires, afin de parquer et de transporter les personnes arrêtées. La politique de quotas est décidée à Berlin, elle sera appliquée à Paris, avant de s’étendre à la zone libre.

Pour la France le quota est fixé dans un premier temps à 40 000 juifs. Presse censurée, rafles effectuées au petit matin, pour limiter le nombre de témoins, tout a été programmé et prémédité. Pour la zone libre, l’idée des rafles est émise par Bousquet lui-même, auprès des autorités allemandes et de Heydrich, l’un des planificateurs de la Shoah ! Et c’est le même Bousquet qui rédigera les circulaires d’autorisation des arrestations, dès août 42. La nature de ces rafles change radicalement, dans la mesure où l’occupant n’y est pas présent, et c’est donc l’Etat Français qui livre de lui-même, ses propres citoyens.

Ce 8 mai 45, trente ans à peine après la 1ère guerre mondiale, le vieux continent est à terre, la désolation règne sur tous les continents, l’URSS compte ses victimes : 21 millions de morts.

Mais ce 8 mai est aussi jour de victoire, pour tous ceux qui ne se sont jamais soumis à la violence du 3ème Reich, à la lâcheté de la France pétainiste. De Gaulle, Jean Moulin, Manouchian, Lucie et Raymond Aubrac, les FTP MOI, les anonymes, femmes, jeunes et maquisards. C’est à ces gens, entrés dans l’histoire, tombés sous les balles ou victimes de délation, souffrant sous la torture, c’est à cette France libre, cette France du refus, à cette France debout, cette France du CNR, que nous devons penser aujourd’hui. Ils sont notre liberté, ils doivent nourrir notre vigilance. Car la grande leçon du 20ème siècle, elle est claire : le nationalisme, les replis identitaires de l’extrême droite et la haine de l’autre, c’est la guerre.

Lorsque Adolf Hitler prend le pouvoir, lorsqu’il réarme la Rhénanie, lorsqu’il ordonne la nuit de Cristal en 1938, contre les juifs, il est déjà trop tard. L’erreur des années 30, partagée aussi bien par Raymond Aubrac que par ses contemporains, est d’avoir cru que le nazisme était passager, qu’Hitler n’était pas sérieux, que tout allait finalement rentrer dans l’ordre. Erreur tragique, mais ne sommes-nous pas, aujourd’hui même, en train de la répéter ?

La banalisation de l’extrême droite, en France comme en Europe, la montée du populisme, la recrudescence des actes antisémites et islamophobes dans notre pays, la violence barbare du terrorisme djihadiste qui fait régner la terreur, qui assassine lâchement à Paris comme à Tunis, nous rappellent à nos devoirs. Oui, le totalitarisme, sous une forme ou sous une autre, peut resurgir, oui, la liberté démocratique est par essence fragile, oui, malgré l’exemple terrifiant du nazisme, des génocides peuvent se répéter, le Rwanda en témoigne. En 2015, dans nos sociétés, la notion de transmission, les principes de tolérance et de la laïcité, sont devenus un enjeu prioritaire, un enjeu national. « La guerre, c’est la guerre des hommes ; la paix, c’est la guerre des idées.», disait Victor Hugo. Personne, ce 8 mai, ne peut lui donner tort.

Je vous remercie.

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