Hommage rendu aux Résistants du groupe Manouchian

Dans le cadre de la Commémoration du 80ème anniversaire de l’exécution du groupe Manouchian et du transfert au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian, une exposition est organisée à la médiathèque Lucie-Aubrac. La ville de Vénissieux, ville de mémoire et de résistance, a choisi de rendre hommage à ces hommes et cette femme, Olga Bancic, qui comme d’autres résistantes communistes n’a pas été passée par les armes au Mont Valérien, mais guillotinée à Stuttgart, traitement sadique et révélateur de l’ignominie du régime nazi.

Il a cru et espéré, non pas à une grâce, mais à la reconnaissance posthume de la France.

Dans sa dernière lettre adressée à sa femme, Mélinée, à quelques heures de la mort des « 23 », fusillés au Mont Valérien, Missak Manouchian emploie ces mots en forme d’espoir, j’ouvre les guillemets : « Je m’étais engagé dans l’armée de la Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la liberté et de la paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement».

80 ans après, la reconnaissance est enfin là ! Le 21 février, les cercueils de Missak Manouchian et de sa femme Mélinée entreront dans la crypte du Panthéon, dans le caveau où reposent la meneuse de revue, féministe et résistante Joséphine Baker et l’écrivain Maurice Genevoix. Une plaque dédiée à l’entrée du caveau mettra à l’honneur les 23 de l’affiche rouge, ou plutôt les 24, car Joseph Epstein, le chef des FTP – MOI à Paris, arrêté le même jour mais fusillé en avril 44, a été ajouté à la liste. Ce qui entre au Panthéon est plus qu’un nom. C’est la mémoire résistante et partagée des familles gaullistes et communistes, c’est aussi la place reconnue des communistes, le parti des fusillés, qui ont payé un lourd tribut tout au long de la guerre.

Enfin, c’est la contribution, au prix du sang, des immigrés dans la libération et l’histoire de la France. Les FTP – MOI que commandait Manouchian étaient composés de juifs de l’Europe de l’Est, d’Espagnols fuyant le franquisme, de communistes italiens opposés aux ligues fascistes de Mussolini.

Mais ce 21 février 2024, ce sont les combattants de tous horizons et de toutes classes sociales qui suivent le cercueil de Missak et Mélinée Manouchian : des Allemands et Autrichiens antinazis, des arméniens, des polonais, de nombreux combattants africains et maghrébins originaires des colonies, simples sujets de l’Empire français, à l’image des 5 000 tirailleurs africains et malgaches, déserteurs ou évadés des camps de prisonniers.

Ce sont tous ceux qui se sont levés contre l’ordre nazi. C’est aussi l’amour de la France qui nous est rappelée. A l’image de Joseph Kessel, Romain Gary et Missak Manouchian, ils ne voulaient pas être italiens, belges ou anglais, ils voulaient devenir français, être français, ils voulaient porter et défendre l’esprit des Lumières, la patrie des libertés, ils voulaient appartenir au cœur de la France, aux valeurs qu’elle incarnait à l’époque et, faut-il l’espérer, qu’elle continue d’incarner.

Par quelle force étaient-ils habités pour prendre les armes et défendre un pays qu’ils venaient de découvrir ? Il y a quelque chose de fusionnel, quelque chose de supérieur, entre le destin de ces résistants et le destin d’une nation.

Pour eux, le 3ème Reich, son racisme, son antisémitisme et l’idée d’une race aryenne supérieure aux autres ne pouvaient triompher sur notre sol, sur cette terre-là, celle de l’idéal républicain, la France des droits de l’homme. Oui, les FTP-MOI et les immigrés qu’on montre du doigt, que l’extrême-droite stigmatise aujourd’hui comme hier, que les milices de Vichy traquaient sans relâche, tous étaient fous amoureux de notre pays et beaucoup d’entre eux lui ont donné leur vie, pour nos libertés ! Il serait temps de le reconnaître et de le dire haut et fort, en ces temps populistes et réactionnaires.

Pour les 80 ans de l’exécution du groupe Manouchian, la ville de Vénissieux, ville de mémoire et de résistance, a choisi de rendre hommage à ces hommes et cette femme, Olga Bancic, qui comme d’autres résistantes communistes n’a pas été passée par les armes au Mont Valérien, mais guillotinée à Stuttgart, traitement sadique et révélateur de l’ignominie du régime nazi. Comme si les femmes n’avaient pas le droit de mourir auprès des autres, auprès de leurs compagnons.

Ici même à la Médiathèque Lucie-Aubrac, jusqu’au 24 février, la bande-dessinée « Vivre à en mourir », qui raconte l’histoire tragique de Marcel Rayman, membre du réseau Manouchian, fera l’objet d’une exposition.

L’armée du crime, film de Robert Guédiguian, sera projeté dans notre cinéma Gérard-Philipe le mercredi 21 février à 18h00. Un concert de François Mardirossian, pianiste français d’origine arménienne, viendra clore cet hommage au FTP-MOI, vendredi 23 février à 18h00.

Je voudrais remercier de leur présence les deux auteurs de la bande-dessinée « Vivre à en mourir », et les agents de nos services culturels au cinéma et à la Médiathèque pour leur mobilisation et les synergies créées à l’occasion de cet hommage historique. Ce moment n’est pas comme les autres. Car le parcours de Missak Manouchian est atypique. Enfant du génocide arménien, il choisit les mots et la poésie pour exprimer son amour des hommes et des femmes, sa sincère fraternité et sa colère des injustices sociales. « A me battre contre la mort, aspirant à la vie, j’ai été attentif à chaque enchantement. »

Il s’interroge sur le sens de la vie et des combats à venir : « Qui sommes-nous, nous qui sommes nés en temps de paix dans un pays de cocagne, nourris à l’humanisme triomphant ? Qui sommes-nous, nous qui venons de cette partie la plus occidentale de l’Orient, de cette culture la plus orientale de l’Occident ? Nourri de la poésie de Verlaine, Baudelaire, Rimbaud, Hugo, l’histoire rattrapera le poète naissant en février 1934, quand la République vacille sous les provocations et la violence des ligues d’extrême-droite. Il réalise alors que les dictatures et régimes autoritaires ne pourront être vaincus que par un engagement authentique et politique : il rejoint le Parti Communiste.

La fin du pacte germano-soviétique et l’invasion de l’URSS par l’Allemagne entraînent une confrontation directe avec les forces occupantes et Vichy. Les premières répressions tombent, première arrestation et internement au camp de Compiègne. Libéré, Missak prendra la direction de la section arménienne MOI de la région parisienne avec pour mission le recrutement des meilleurs éléments intégrés aux combattants des francs-Tireurs et Partisans. Avec peu de moyens, en quinze mois seulement, les FTP-MOI vont s’en prendre aux occupants allemands, mais jamais aux civils : 229 attentats, des sabotages, déraillements de train.

Ce sont les policiers français des brigades spéciales, plus de 200, qui traqueront le réseau et procéderont aux arrestations en novembre 43. On connaît la suite : justice expéditive, mascarade de procès, exécution le 21 février 44 au mont Valérien. Missak Manouchian avait 37 ans. Avec l’affiche rouge collée sur les murs à des milliers d’exemplaires, la propagande nazie tentera de faire passer les FTP-MOI pour des terroristes étrangers,  « une bande de métèques hirsutes » comme le dénonce la France de la collaboration dans une sémantique raciste et abjecte. Six mois plus tard, Paris sera libéré, ce que ne verront pas les 23. En 1955, Aragon rendra hommage aux FTP–MOI de Manouchian dans Strophes pour se souvenir :

« Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans »

Des mots que la voix de Léo Ferré fera résonner par la suite dans le cœur des Français. On peut aussi approfondir nos connaissances dans des livres tels que Missak de Didier Daeninckx ou encore Le tombeau de Tommy d’Alain Blottière.

39-45 : il y a eu deux France, celle qui s’est soumise et compromise et celle qui est restée debout et n’a rien cédé. C’est bien sûr à cette dernière que Missak Manouchian, Olga Bancic appartiennent. Souvent l’histoire ne retient qu’un nom, un visage, pour représenter de façon symbolique tous les autres. Pour les FTP-MOI de Manouchian, je crois qu’il faut tous les citer.

  • Joseph Boczor, Hongrois de 38 ans ;

Longtemps, le voile a été jeté, comme on détourne le regard, sur cette période dramatique de la collaboration. Des dates et des faits sortent de l’ombre et nous aident à y voir plus clair. L’été 42 des rafles et de la responsabilité de l’Etat Français dans la déportation des juifs ; le 27 mai 43 et la création du CNR ; le 21 février 44, l’exécution du groupe Manouchian et la contribution des immigrés à la libération de la France, autant de jalons et de tournants historiques qui entrent progressivement dans la mémoire collective. L’histoire est au travail et la résistance du groupe Manouchian a toute sa place dans notre grand récit national.

Je vous remercie.

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