Garder espoir, rester fidèle à ses valeurs, ne pas céder aux effets de masse, à la soumission, à la peur. Continuer son chemin, seul au début, en faisant le pari que d’autres viendront se joindre à nous, que la victoire se dessinera grâce à la force du collectif, par une mosaïque d’hommes et de femmes, de toutes catégories sociales, animés par la même conviction : la libération de tout un pays et le retour de la France en République.
Il y a un peu de tout cela dans l’appel du 18 juin : un geste audacieux, de vie et de survie, un geste d’espoir et un geste un peu fou aussi sur le fond. Il y a quelque chose de déraisonnable, d’irrationnel à voir le Général De Gaulle derrière le micro. Car comment croire en la victoire alors que la débâcle de l’armée française date de quelques jours, que les troupes allemandes entrent dans Paris le 14 juin et que le premier ministre Paul Reynaud démissionne sous la pression du Maréchal Pétain et de sa volonté d’armistice.
De Gaulle est-il habité ?
Oui, mais pas par illumination, mais bien par des convictions profondes, concrètes. Le Général est lucide dès 1933 et la prise du pouvoir par les nazis. Les violations répétées du Traité de Versailles l’amènent à envisager une guerre prochaine.
Il n’écarte pas cette hypothèse, de même qu’il juge anachronique la stratégie de défense mise en place par l’état-major dont fait partie le Maréchal Pétain. Pour lui, la ligne Maginot est inappropriée, la guerre ne sera pas statique mais mobile, d’où ses préconisations pour l’utilisation massive des blindés. Il ne sera pas entendu. C’est pourtant cette tactique que les allemands vont employer. Mais la conviction la plus forte de De Gaulle est portée par une intuition : la guerre sera longue et elle sera mondiale. Mi-juin 40, rien n’indique un tel scénario. De Gaulle y croit. Les faits lui donneront raison.
De Gaulle arrive à Londres le 17 juin. Le même jour, le Maréchal Pétain, nouveau chef du gouvernement provisoire replié à Bordeaux, prononce lui aussi un discours funeste, dont je livre ici un extrait : « sûr de la confiance du peuple tout entier, je fais à la France le don de ma personne pour atténuer son malheur. En ces heures douloureuses, je pense aux malheureux réfugiés, qui, dans un dénuement extrême, sillonnent nos routes. Je leur exprime ma compassion et ma sollicitude. C’est le cœur serré que je vous dis aujourd’hui qu’il faut cesser le combat ».
L’appel du 18 juin est une réponse directe à l’intervention du Maréchal Pétain. Nous n’avons aucun enregistrement sonore de cet appel radiophonique, celui que les documentaires utilisent date du 22 juin, un texte relativement proche de celui du 18 juin. Il faut revenir sur les conditions de cet appel. Dans la nuit du 17 au 18 juin, Churchill donne l’autorisation à De Gaulle d’utiliser les studios de la BBC. Non sans quelques grincements de dents parmi les responsables anglais, qui souhaitent ménager Pétain et s’accorder un peu de temps avant de voir si la signature de l’armistice aura lieu. Le texte que nous connaissons a plusieurs objectifs.
Le premier est de redresser la tête et de refuser la défaite. Ce sont sur ces deux piliers que la résistance en France s’appuiera, le souffle de l’espoir et de lendemains meilleurs, que cette phrase de l’appel souligne et illustre. J’ouvre les guillemets. « Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non ! Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire. Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule !».
Le second objectif est de mobiliser des forces. Le contenu militaire de l’appel du 18 juin est évident. De Gaulle le dit ainsi : « Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j’invite les officiers et les soldats français, qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d’armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s’y trouver, à se mettre en rapport avec moi. »
C’est par ouï-dire et quelques filets dans la presse anglaise que la nouvelle se répand par petits cercles en France, quelques jours après le 18 juin. Le Petit Marseillais et Le Progrès de Lyon en feront également état, dans une indifférence généralisée. L’armée française, réputée la plus puissante du Vieux Continent avant le début de la seconde guerre mondiale, s’est écroulée en un rien de temps, à la stupeur générale. Sur les routes de l’exode, en plein désarroi, les militaires comme les civils ont autre chose à faire qu’écouter ce Général De Gaulle, que très peu connaissent.
Qui est-il, que veut-il et que peut-il faire, lui qui est de l’autre côté de la Manche ?
Pourtant, ici ou là, de façon embryonnaire, des hommes et des femmes ont déjà basculé dans la Résistance. Il faut retenir l’exemple et le courage des marins de l’île de Sein, petite île au large de la Bretagne. Dès le 18 juin 40, le maire de la commune et ses habitants décident de rassembler tout ce qui flotte pour éviter que le matériel ne tombe dans les mains allemandes. Si l’appel du 18 juin est passé inaperçu, celui du 22 juin, à 11h00, fera l’objet d’une mobilisation étonnante sur le quai des Français Libres.
Des dizaines d’habitants se sont massés sous la façade de l’Hôtel de l’Océan. L’île ne possède que 4 postes de radio, l’un est posé sur le rebord d’une fenêtre pour que chacun entende la seconde intervention de De Gaulle dans un silence religieux. La communauté se rassemble, discute et alors que la préfecture de Quimper, sous les ordres allemands, ordonne un recensement des militaires et jeunes de l’île de Sein, le maire, le recteur et les patrons pêcheurs décident de ne pas obtempérer. Quatre heures plus tard, des navires sont affrétés, et près de 128 hommes décident d’embarquer et de rejoindre de Gaulle à Londres.
Pourquoi une telle ferveur ? Les témoins encore présents parlent tous des liens forts qui en faisaient une communauté solidaire et des vertus d’une éducation solide. Ces 128 hommes, en juin 40, forment un quart des effectifs de la France libre des premiers jours, ce qui fit dire à De Gaulle, dans une célèbre boutade, que l’île de Sein… « était un quart de la France ».
Vivre en résistance
Est une expérience humaine, une aventure humaine aussi, une école de la vie, un apprentissage. C’est ce que dit Edgar Morin notamment, j’ouvre les guillemets : « J’avais 20 ans, la vie devant moi, et n’avais pas envie de mourir. Mes amis me poussaient à franchir le pas. Mais ce n’est qu’en entrant dans une organisation de résistants que j’ai appris à devenir résistant, c’est à son contact que j’ai appris à résister ». Entre le 18 juin 40 et le 27 mai 1943, date de naissance du CNR, la route sera longue.
La Résistance s’est organisée, structurée, communistes, socialistes, gaullistes sont réunis pour la même cause : libérer le pays et imaginer en plein chaos les fondations de la France de l’après-guerre, celle qui gagnera et appliquera son programme de solidarité et de justice sociale « Les jours heureux », adopté à l’unanimité par le Conseil national de la Résistance le 15 mars 1944. Mais nous devons également le respect aux résistants d’origine étrangère des FTP MOI de Manouchian, du groupe Carmagnole-Liberté à Lyon, de la 35ème Brigade à Toulouse, de la section juive de la MOI, de la branche Liberté à Grenoble, des tirailleurs sénégalais, des espagnols, maghrébins, polonais, et j’en oublie.
C’est le rôle de cette résistance que la France a enfin reconnu en faisant entrer Misaak et Mélinée Manouchian au Panthéon le 21 février dernier.
Le prix à payer pour ces hommes et ces femmes, jeunes pour la plupart et de toutes conditions sociales, fut lourd, très lourd. Vivre dans la clandestinité, perdre son identité sous un nom d’emprunt, s’éloigner de ses proches, de sa famille, avec la crainte de représailles, vivre tous les jours sous le régime de la peur : la peur de la trahison, la peur de l’arrestation, la peur des séances de torture et des milices de Pucheu, Ministre de l’Intérieur du régime de Vichy, la peur de la déportation dans les camps de la mort.
Quand vous parcourez les cimetières des maquis du Vercors, sur les stèles, l’âge de tous ces anonymes vous saute au visage. 22 ans, 18 ans, 26 ans, 19 ans, 20 ans, 17 ans, 28 ans, tous fauchés à l’orée d’une vie pour défendre les valeurs de la France, ses droits de l’homme, le « liberté égalité fraternité » républicain des frontons de nos mairies.
Aujourd’hui, cet appel du 18 juin résonne de façon particulière et solennelle. Le monde actuel est un monde en guerre. Les drames, massacres, populations déplacées et villes en ruines, sont terribles, insoutenables. Il faut se battre, tous autant que nous sommes, pour les arrêter, pour trouver le chemin de la paix. Bien sûr, nous en sommes loin, mais abdiquer, ce serait faire le jeu des armes et perpétuer des crimes de guerre abjects.
En France, ce 18 juin s’inscrit dans un contexte lourd de menaces. La montée de l’extrême droite, aux portes du pouvoir, est un péril réel pour nos libertés et pour la République., Nous devons faire bloc, savoir y résister. Dans un raccourci du temps que j’ai choisi pour nous interpeller, entre ce 18 juin 40 et ce 18 juin 2024, je laisserai la parole à Daniel Cordier, grande figure de la Résistance qui nous a quittés en 2020.
Nous étions alors en 2017 et l’extrême droite parvenait à nouveau au 2ème tour de la Présidentielle. « Marine Le Pen représente la négation de tout ce pourquoi nous nous sommes battus » rappelait, non sans douleur, Daniel Cordier. Saurons-nous enfin nous rappeler du courage de nos aînés et des virages tragiques que peut prendre l’Histoire ?
Je vous remercie.


