Commémoration de la libération de Vénissieux

La ville s’est donc libérée d’elle-même, signe d’une détermination farouche à recouvrer la liberté et un honneur républicain, sali par la collaboration.

Discours de Michèle PICARD, Maire de Vénissieux, Vice-présidente de la Métropole de Lyon, à l’occasion de la commémoration de la libération de Vénissieux.

Dans la prochaine Maison des Mémoires, dont nous avons posé la première pierre le 3 juillet dernier, un espace sera dédié à Vénissieux pendant la seconde guerre mondiale, composé d’archives et de la donation du fonds du musée de la Résistance et de la Déportation à notre municipalité, au début des années 2010.

Un focus sur le sauvetage des enfants juifs du camp de Bac Ky y figurera également.

Deux chapitres clés d’une période sombre, aux côtés desquels d’autres épisodes viendront éclairer les différentes strates de l’histoire de notre ville dans notre prochain équipement culturel.

Il n’y aura pas une mémoire, mais toutes les mémoires collectives car rien dans l’identité d’une ville, comme dans celle d’une vie, n’est linéaire.

Il y a les passages heureux, douloureux, les époques charnières de mutations agricoles, industrielles, les générations qui se succèdent, les réfugiés politiques d’Europe de l’Est et d’Espagne, puis les migrations économiques des populations du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne ou d’Asie, la Marche pour l’égalité et contre le racisme.

La vie de Vénissieux n’a pas commencé ni fini le 2 septembre 1944, lorsque le drapeau tricolore flotte enfin sur la façade de l’ancien hôtel de ville.

Le comité de libération de Vénissieux vient de le hisser.

La ville s’est donc libérée d’elle-même, signe d’une détermination farouche à recouvrer la liberté et un honneur républicain, sali par la collaboration.

Mais ce qui a pris date, à travers cette auto-libération, ce sont des traits de caractère qui ne la quitteront plus : résister, se rebeller, prendre son destin en main.

Cette identité vénissiane, on la retrouvera tout au long des crises traversées, mais aussi dans une forme d’émancipation, de souveraineté et singularité du développement de la ville. C’est une volonté populaire qui trace le chemin, ouvre les horizons, dans les périodes sombres comme en temps plus serein.

Le Régime de Vichy a tenté justement de briser ces formes de solidarité. Solidarité des syndicats, solidarité de la culture ouvrière, solidarité des mouvements sociaux pour obtenir de meilleures conditions de vie, de travail, de salaires. Dans le monde du travail, Vichy a posé aussi une main de fer sur les employés, ouvriers et syndiqués.

Je rappelle la Charte du Travail, promulguée en octobre 1941, au croisement de l’Italie fasciste de Mussolini et du courant contre-révolutionnaire de la droite maurassienne.

Elle dissout officiellement les syndicats (qui l’étaient déjà de fait depuis le 9 novembre 1940), et, dans son article 5, interdit la grève.

A la SIGMA, à l’ex-usine Maréchal, futur Veninov, à la Société des Electrodes, à la SOMUA, il fallait donc oser s’opposer aux ordres de réquisition, quand le préfet de région n’attendait qu’une chose : réprimer le mouvement syndical, le mouvement social, les communistes et les progressistes.

Beaucoup ont dit non et se sont opposés.

Employons les mots justes quand il s’agit de nommer les choses : il s’agit bien de courage des ouvriers, des cheminots, des salariés, le courage des Vénissians, le courage des convictions, le courage de défendre le contrat social et les droits des salariés dans un pays occupé et dirigé par une droite revancharde, qui veut en finir avec la République, le Front Populaire et l’héritage des Lumières.

Courage des immigrés et étrangers qui forment le groupe « Carmagnole-Liberté », auteur de multiples sabotages d’usines de la commune.

Tous ces hommes et femmes ont bâti l’identité de Vénissieux.

Non seulement ils ont marqué notre ville de leurs empreintes, mais ils nous ont légué une mémoire qui continue de vivre en nous à travers des résistances et des solidarités contemporaines.

L’histoire les a placés face à eux-mêmes. Se soumettre à la collaboration ou la refuser ?

Courber l’échine ou relever la tête ?

C’est sûrement grâce à la culture syndicale, dans ce creuset de fraternité, dans le fait de ne pas se sentir seul, qu’ils ont basculé dans le camp de la liberté.

Il faut rappeler le contexte : l’activité industrielle de notre ville et la prise de position de la famille Berliet qui collabore avec l’Allemagne en font une cible privilégiée.

L’agglomération lyonnaise est étroitement surveillée par le nouveau préfet, Angéli, qui multiplie les arrestations arbitraires, exécutions sommaires avec la connivence d’une justice expéditive.

Aragon, chroniqueur dans le journal Ce soir, dira de lui et de tous les préfets zélés du Régime de Vichy, j’ouvre les guillemets : « Pendant quatre ans, des hommes ont trahi la France. Ils siégeaient dans les conseils de Vichy, ils administraient nos villes, rançonnaient nos campagnes.

Ils étaient revêtus des signes de la dignité qui commande, ils usurpaient le langage et le drapeau de la France. »

Le préfet Angeli doit faire régner la peur pour briser toute forme de résistance.

A Vénissieux, l’ancien maire Ennemond Roman est destitué, interné à la prison Saint-Paul.

Louis Dupic, futur maire, sera transféré dans un camp du Sud algérien tandis que Georges Roudil, secrétaire de la section communiste, sera livré aux Allemands, puis déporté au camp de Buchenwald.

Il y a aussi ceux qui sont morts sous les balles allemandes le long du mur Berliet, à quelques jours seulement de la libération : Louis Trocaz, Pierre Joseph Gayelen, Félix Gojoly, Louis Moulin et Jean Navarro.

D’autres noms sont entrés dans notre mémoire collective, les frères Amadéo, Francisque Paches, Charles Jeannin et tous les anonymes qui n’ont pas accepté la collaboration.

Vénissieux porte la mémoire de tous ceux qui ont créé les conditions de ce 2 septembre 44.

Notre ville a souffert, humainement, physiquement, dans ses pierres, son cœur, ses quartiers.

Les bombardements alliés de mai 44 ont provoqué la mort de 28 personnes au Charréard, rue Paul Bert et dans le vieux village.

Son activité industrielle, la prise de position de la famille Berliet et d’autres capitaines d’industrie pour collaborer avec l’Allemagne en font une cible privilégiée.

L’usine Sigma est visée, la cité Berliet réduite à un champ de ruines.

Vénissieux est, après Lyon, la ville du Rhône ayant le plus souffert des bombardements anglo-américains.

Des centaines d’immeubles sont endommagés  ou totalement détruits.

Les usines, grandes ou petites, sont frappées de plein fouet. Vénissieux est détruite à 50%.

La Ville reçoit à ce titre la Croix de Guerre en 1945.

Dans le podcast que nous avons diffusé l’année dernière, les écrits d’Etienne Broallier, cheminot mécanicien et résistant, donne une idée précise de la période d’insurrection de fin août 44 au 2 septembre, jour de la libération de Vénissieux.

Les risques encourus sont énormes, comme cette opération réussie de détournement, aux dépens des troupes allemandes, d’une rame de 35 wagons à la gare de Vénissieux, contenant de la nourriture qui sera destinée aux réseaux résistants et à la population vénissiane.

L’un des symboles de cette résistance vénissiane, ce sont les mains d’une femme du comité de Libération, qui confectionnent avec des bouts de tissu le drapeau tricolore brandi au balcon de l’ancienne mairie.

Elle s’appelle Marguerite Carlet, seule femme membre du Comité de Libération de Vénissieux, qui deviendra par la suite la première femme 1ère adjointe de Vénissieux.

Etienne Broallier finira son journal avec ces mots qui se conjuguent toujours au présent, je le cite : « Unis dans la Résistance pour notre libération, nous devons rester unis dans le travail pour la renaissance de notre patrie et la paix dans le monde…

C’est pourquoi nous continuons de travailler au sein des comités de libération pour l’application intégrale du programme du CNR, c’est-à-dire le châtiment des traîtres et la renaissance française ».

Dans toutes les périodes sombres de l’histoire, il y a des hommes et des femmes pour porter l’espoir, une lueur dans la nuit.

C’est ce qui s’est passé à Vénissieux, dans un camp militaire désaffecté, appelé le camp Bac Ky, que le préfet régional de Lyon, Alexandre Angeli, aux ordres du régime de Vichy, avait réquisitionné.

Face à l’inacceptable, des résistants, des religieux, des acteurs associatifs vont coordonner leur action, pour exfiltrer des enfants juifs, et les sauver de la déportation.

Au-delà du courage, les parents signent des délégations de paternité pour que leurs garçons et filles puissent continuer de vivre. Du camp de Vénissieux, une centaine d’enfants sera sauvée grâce à ces Justes, à ces résistants, qui ne pouvaient tolérer la collaboration active de Vichy et de l’Etat Français.

Sans cet acte de résistance, Vichy aurait continué de livrer des juifs aux allemands, à raison de 3 000 par semaine.

Je n’entre pas plus en détail sur cette opération exceptionnelle car je vous invite à suivre dans la foulée de la commémoration la table ronde consacrée à la présentation du roman graphique « Vous n’aurez pas les enfants », en présence des auteurs Arnaud Le Gouefflec et Olivier Balez et de l’historienne Valérie Portheret, dont on ne louera jamais assez la pertinence et la qualité des travaux.

Deux mots pour conclure. François Bayrou a annoncé la suppression du jour férié du 8 mai.

C’est un contre-sens historique total.

Le 8 mai est un moment de recueil, mais il est surtout l’occasion de penser collectivement, à travers toutes les générations, la rupture de civilisation que le nazisme a engendrée.

Nous parlons de la pire barbarie jamais connue dans l’histoire des hommes, celle d’un génocide et d’une industrialisation de la mort.

Si on supprime ce temps de réflexion, de transmission aux jeunes générations, à quoi servent les politiques de mémoire ?

Dans un contexte où les démocraties sont fragilisées par l’abstention et la montée de l’extrême droite partout en Europe, cette proposition aberrante fait le jeu de l’oubli… et des régimes autoritaires !

Le second point concerne le monde dans lequel nous vivons, pris dans une spirale de violence et de guerres dramatiques.

En 2024, 61 conflits étaient recensés dans le monde, répartis entre 36 pays.

Jamais un tel chiffre n’avait été atteint depuis 1946.

On estime que c’est la quatrième année la plus sanglante depuis la fin de la guerre froide en 1989, liée essentiellement aux guerres en Ukraine, dans la bande de Gaza et la région éthiopienne du Tigré.

Les résistants de Vénissieux et de la France entière, les membres héroïques du CNR dont nous sommes les héritiers, ne se sont pas battus pour ce monde-là, où la loi du plus fort triomphe sur le droit international, où les civils, les enfants meurent sous les bombes ou de famine, où des villes sont rayées de la carte.

C’est le sens du combat des résistants qu’il ne faut pas oublier et qu’il est urgent de retrouver : œuvrer pour un monde de paix, libre et de solidarité.

Je vous remercie.

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