Arrêtes Vie digne au TA

Un acte citoyen, pour faire bouger les lignes face à une situation de plus en plus dramatique pour des millions de nos concitoyens.
Un combat pour la dignité humaine.

Depuis plus de 10 ans, Michèle Picard mène un combat politique et juridique pour mettre un terme à l’intolérable, pour éviter que des milliers de familles ne basculent dans la spirale de l’exclusion. Le 29 mars dernier, elle prenait à nouveau 3 arrêtés interdisant sur le territoire communal les expulsions locatives sans proposition de relogement, les saisies mobilières et les coupures d’énergies . Le Préfet du Rhône a, une nouvelle fois, saisi le Tribunal administratif de Lyon et demande leur suspension. L’audience en référé avait lieu au Tribunal administratif de Lyon  ce jeudi, après un rassemblement de soutien dès 13h30. L’occasion pour Michèle Picard de développer ses arguments de défense à la barre.

Monsieur le Président,

En 2020, l’INSEE estimait à 9,3 millions le nombre de nos concitoyens vivant sous le seuil de pauvreté. Une stabilité relative qui cache une toute autre réalité. Car si le niveau de vie de personnes pauvres n’a pas évolué, la pandémie a accentué la précarisation des plus vulnérables et fragilisé plus 4 millions de personnes jusque-là épargnées.

Les habitants des villes populaires sont particulièrement touchés par cette crise. Confrontés à une crise sociale déjà présente, leur pouvoir d’achat est profondément impacté par la perte d’un emploi, le chômage partiel subi et la hausse des produits de première nécessité.

A Vénissieux

  • Entre 2019 et 2021, le nombre de foyers au RSA a augmenté de 21 %.
  • Depuis 2020, le service social de la ville a enregistré une hausse de 42 % des demandes d’aides financières, essentiellement pour le paiement des factures courantes (énergies/loyer).
  • Pour faire face aux besoins des habitants, la ville a augmenté sa subvention au CCAS de 162 000 euros en 2021 et de 300 000 euros cette année.

La pandémie a renforcé une crise du logement déjà dramatique

Plus de 4 millions de nos concitoyens sont mal-logés, 300 000 n’ont pas de domicile personnel ou dorment dans la rue. Les ménages, fragilisés économiquement, sont de plus en plus nombreux à vouloir accéder à un logement social. Comment répondre à leurs besoins alors qu’avant la pandémie, la demande était déjà supérieure aux possibilités d’attribution ?

Pour rappel, 80 000 demandes sont toujours en attente dans l’agglomération lyonnaise. 4 000 à Vénissieux. Seule 1 demande sur 7 aboutit, et les délais d’attribution peuvent atteindre 4 ans !

Les crises successives ont fait basculer de nombreuses personnes dans la spirale de l’exclusion. Pour ces ménages à bout de souffle, le quotidien devient insoutenable. Confrontées à un accident de la vie, ces familles voient, du jour au lendemain, leur vie basculer dans la précarité. Dépassées par des difficultés qui s’accumulent, culpabilisées, elles ne sont plus en capacité de réagir, et n’ont pas toujours recours aux aides auxquelles elles peuvent prétendre.

Le non-recours est une réalité dans notre pays

Chaque année, des milliards d’aides sociales ne sont pas sollicitées par les personnes en difficultés, par manque d’informations ou d’accompagnement. L’accès aux outils numériques, indispensables pour les démarches administratives, est impossible pour toute une partie de nos concitoyens. Il est de notre devoir d’aider les plus en difficulté au lieu de leur maintenir la tête sous l’eau !

A Vénissieux, nous connaissons cette situation et nous nous efforçons d’y faire face autant que nous le pouvons. Depuis octobre 2021, Vénissieux expérimente le dispositif « Territoire Zéro non-recours », sur un quartier de la ville. Un partenariat étroit et actif avec les partenaires médico-sociaux du territoire, pour cibler les personnes en situation de précarité, leur faire connaitre leurs droits, et les orienter.

Face à la crise du logement, nous multiplions les actions, avec nos partenaires, pour gérer, le plus en amont possible, les impayés de loyer. Commission des impayés/sous CCAPEX/ dispositif ETAGE, ont permis, en 2020, de réduire de 40 % le nombre d’assignations, et éviter ainsi l’expulsion. La Métropole de Lyon développe, elle aussi, des actions de maintien dans le logement et de prévention des expulsions.

Ces dispositifs ont prouvé leur efficacité, mais ils ne suffisent pas face à l’ampleur de la crise. L’an dernier à Vénissieux, les assignations ont augmenté de 84 %, les programmations d’expulsions de 38 %. Cette année, 22 expulsions sont d’ores et déjà programmées.

Une explosion des expulsions locatives à craindre

Aujourd’hui, les associations de solidarité le confirment, une explosion des expulsions locatives est à craindre. En 2021, alors que l’urgence sanitaire était toujours là, 8 200 ménages ont été expulsés de chez eux. Des expulsions sèches et sans relogement, malgré l’instruction ministérielle précisant que chaque expulsion devait être assortie d’une proposition de relogement pérenne. Près de 30 000 expulsions locatives sont prévues cette année, en raison, notamment, de celles restées en suspens du fait du contexte sanitaire.

Au vu de la crise sociale sans précédent que nous traversons, il est inconcevable de rajouter de la misère à la misère, d’autant qu’après l’expulsion, le rouleau compresseur continue.

Une étude de la Fondation Abbé Pierre confirme que l’expulsion locative renforce la précarisation et la stigmatisation de ceux qui en sont victimes. Ses effets sur la santé physique et mentale sont violents et durables. 71 % des personnes qui ont vécu une expulsion locative souffrent d’angoisse, d’insomnie, d’anxiété et de dépression, majoritairement les femmes à la tête de famille monoparentale. 43 % des enfants ont des troubles du comportement, de la concentration, et sont en situation de décrochage scolaire.

Des politiques nationales loin du compte

Pour la majorité des familles, la spirale de l’exclusion se renforce. 29 % des personnes expulsées n’ont pas pu poursuivre leur activité professionnelle. Pour plus de la moitié des personnes concernées, les dettes sont toujours là, pire, elles s’accumulent du fait des frais supplémentaires liés à l’expulsion (garde meuble, rachat de meubles).

Par la suite, l’accès au logement devient un vrai parcours du combattant. 1/3 des ménages n’ont pas retrouvé de vrai logement, 1 à 3 ans après l’expulsion. Ce sont alors des ménages stigmatisés par les bailleurs. Faibles revenus, passage par la rue, sont autant de freins au relogement. Ces familles se sentent déconsidérées, oubliées de la société. Elles ne peuvent plus se projeter vers l’avenir.

Face à ces problématiques, les politiques nationales, censées répondre à l’urgence sociale, sont bien loin du compte !

Les aides destinées aux locataires à bas revenus, diminuent drastiquement :

  • Moins 1 milliard d’Euros pour Action Logement (anciennement 1% logement).
  • Moins 4 milliards d’euros en 2022 pour les APL.
  • Le Fonds National des Aides à la Pierre est à 0.
  • Ces baisses constituent autant de freins pour l’accès au logement et la construction de logements sociaux.

De plus, le Dalo n’est toujours pas un droit effectif. L’attente d’un logement, après une décision favorable, peut atteindre 3 ans. La Cour des Comptes, dans son dernier rapport, dénonce une situation en totale contradiction avec le principe du relogement prioritaire et urgent. Depuis 2015, l’État a été condamné à verser près de 130 millions d’euros au titre d’astreintes pour non-respect des délais. Un constat aussi inadmissible qu’intolérable !!

Le « logement d’abord », censé lutter contre le sans-abrisme, reste toujours une promesse à tenir pour ces milliers de femmes, d’hommes, d’enfants, à la rue. Pour mémoire, leur nombre a augmenté de 8 % depuis le début de la crise sanitaire.

La loi SRU n’est toujours pas respectée. Plus de la moitié des communes n’ont pas atteint leurs objectifs.

Actionner tous les leviers

Face à l’exceptionnelle gravité de la crise que nous traversons, tous les leviers doivent être actionnés. Nous ne pouvons pas laisser nos concitoyens les plus fragiles sombrer dans l’exclusion.

Mon arrêté, donnant obligation de relogement avant toute expulsion locative, va dans ce sens :

  • Parce que le droit au logement est un droit fondamental, le socle de notre pacte républicain. Il est essentiel pour étudier, travailler, prendre soin de sa santé, se projeter dans l’avenir.
  • Priver des milliers de familles de ce droit le plus élémentaire, c’est accentuer la misère, c’est les fragiliser socialement, économiquement et psychologiquement.

Les circonstances exceptionnelles liées à la crise, imposent des solutions concrètes et solidaires, particulièrement pour nos concitoyens les plus vulnérables. Refuser l’expulsion sans relogement pérenne, c’est protéger les plus fragiles d’entre nous. C’est éviter que des êtres humains, désespérés, sans aucune perspective d’avenir, commettent l’irréparable. Un drame que nous avons vécu, en 2013, lorsqu’une septuagénaire vénissiane s’est donné la mort le jour de son expulsion. C’est redonner du sens à l’action publique.

L’État doit garantir l’accès à un logement, un emploi, à la santé, à l’éducation à tous les citoyens. Car ces droits fondamentaux sont inscrits dans notre Constitution.

Vivre dignement, c’est aussi permettre à chaque citoyen d’assurer ses besoins les plus essentiels. Le droit à l’énergie en fait partie.

  • 6 millions de ménages n’arrivent plus à payer leurs factures d’énergies,
  • En 2021, près de 790 000 interventions pour impayés (suspension ou limitation d’énergie), ont été enregistrées.
  • La hausse des prix (+70% pour le gaz, + 12 % pour l’électricité), aggravée par la guerre en Ukraine, l’explosion des produits de première nécessité impactent plus lourdement encore le pouvoir d’achat des habitants, particulièrement les plus exposés à la crise.
  • Et le pire est à venir. Des retraités ne se chauffent plus, confrontés à un budget trop serré. Pour eux, les conséquences sont dramatiques, notamment en matière de santé.
  • Un cercle vicieux continue pour des milliers de personnes, obligées à faire des choix. Se chauffer ou se soigner, se nourrir ou payer ses factures.
  • Face à l’urgence sociale, les dispositifs gouvernementaux, comme le chèque énergie, l’indemnité inflation, ou encore le blocage des prix de l’énergie ne sont pas suffisants.

Dans un contexte particulièrement difficile, il est impératif de protéger les plus fragiles d’entre nous. L’article L 121-1 du code de l’énergie définit d’ailleurs l’énergie comme un produit de première nécessité. Mon arrêté interdisant les coupures d’énergies tient aussi compte des circonstances exceptionnelles liées à la pandémie. Au plus fort de la crise, l’accès à l’énergie est essentiel à tous les habitants.

En tant que maire…

Il est de ma responsabilité de soutenir les ménages les plus fragiles. Il est de mon devoir de protéger la population, notamment face à l’usage de moyens de substitutions d’électricité et de gaz. Au vu de l’explosion de la précarité énergétique, ces pratiques risquent de se multiplier. Il n’est pas concevable que ces familles mettent leur vie, et celle de leur entourage, en danger. Il n’est pas acceptable, au 21ème siècle, que des femmes, des hommes, des enfants souffrent du froid l’hiver.

« La solidarité, ce ne sont pas des mots, mais des actes ».

Henri Barbusse

C’est le sens de mon action. Un acte de solidarité pour refuser l’inacceptable, la pauvreté et l’injustice. Un acte citoyen, pour faire bouger les lignes face à une situation de plus en plus dramatique pour des millions de nos concitoyens. Un combat pour la dignité humaine.

Je vous remercie.

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