Mardi 8 février dernier, Karima annonçait lors d’une conférence de presse le démarrage de l’antenne parisienne de l’association « Insoumise et dévoilée » au Sénat. Michèle Picard a participé à cette initiative. Ci-après son intervention à cette occasion.
Mesdames, Messieurs, Chère Karima,
J’aimerais au préalable adresser mes félicitations, ma reconnaissance, à Karima Safia, et au courage dont elle a fait preuve.
Son livre, Insoumise et dévoilée, n’est pas qu’un témoignage de pratiques que l’on peut raisonnablement qualifier d’archaïques, au nom d’une religion dévoyée par des illuminés et intégristes. Son livre a brisé la loi du silence qui règne en la matière, il a levé un tabou, et en matière de droits des femmes, fissurer la chape de plomb du système archéo-patriarcal, c’est déjà accomplir un premier pas vers l’émancipation. Elle a donné à voir, à comprendre ce qui se passe à huis clos, lorsque les portes se ferment, lorsque l’autorité paternelle bascule dans l’obscurantisme religieux : mariages forcés, violences, obligation du port du voile, négation de la féminité, des signes de féminité, puis purement et simplement de la femme tout court, avec ce sentiment de peur de sa propre famille, de ses propres désirs. Ce livre est beau car sincère, poignant : Karima ne renie pas l’islam ni sa famille, mais les usurpateurs qui en détournent la nature, le sens et les pratiques.
Son combat se poursuit aujourd’hui avec l’implantation à Paris de l’antenne française de l’association « Insoumise et dévoilée ». Nous lui souhaitons la bienvenue car nous avons besoin, aussi bien dans les principes que dans les actes, de renforcer et protéger la laïcité en France. Le sanctuaire de l’école, sans signes de prosélytisme religieux, et des lieux publics, où le port du voile intégral est dorénavant interdit, a été conforté par le législateur français.
Il a fallu passer par la loi pour réaffirmer ce principe pourtant si simple : le visage, c’est le fondement de l’humanité. Le visage, c’est l’identité. Le visage, c’est le verbe, celui autour duquel se construisent les échanges, la parole et le respect. Il y a une double atteinte dans le port de la burqa : atteinte faite à soi-même, comme si l’on n’était pas digne d’être vu, et atteinte faite à l’autre, comme si ce dernier n’était pas digne de vous voir. C’est une rupture de l’identité, c’est, sans jeu de mots, l’écran noir du contact, du regard, du partage.
En tant que maire de Vénissieux, en tant que femme aussi, je peux vous certifier que nous avons besoin du travail du milieu associatif, au plus près de la réalité, au plus près des difficultés.
Quand je liste les actions d’Insoumise et dévoilée, pour entourer et accompagner les personnes, les aider à trouver un hébergement, mener des opérations de sensibilisation, de prévention, c’est l’exacte copie conforme de notre travail au quotidien à Vénissieux. En ce sens, se focaliser uniquement sur la burqa serait faire fausse route, ou du moins ne nous donnerait qu’une vision partielle de l’état de la société. Le voile intégral n’est qu’une composante d’une régression plus générale, celle répétée et de plus en plus prononcée du droit des femmes. C’est sous cet angle-là que la ville de Vénissieux aborde le problème.
Dans le monde du travail, il y a des reculs et des régressions pour les femmes : inégalités salariales, recours aux temps partiels contraints sous-payés (31% pour les femmes contre 6% pour les hommes au niveau national) et forte représentation dans la catégorie des salariés à bas salaires dont les 2/3 sont… des femmes ! Dans la société civile aussi où le droit à l’IVG est attaqué, où les familles monoparentales (à 90% des mères de famille) sont fragilisées par la crise, où les femmes seront particulièrement pénalisées par la réforme des retraites. Et dans la sphère privée enfin, qu’on ne peut passer sous silence : les violences conjugales progressent, tous les deux jours et demi en France, une femme perd la vie sous les coups d’un compagnon jaloux, et près d’une femme sur dix est victime de violences psychologiques ou physiques !
Nous avons mis en place, dans notre commune, des outils pour agir, au jour le jour, dans tous ces domaines : le Collectif Femmes, le travail avec Filactions pour sensibiliser la population et les jeunes à ce fléau des violences conjugales, la commission Grande Pauvreté pour porter auprès de l’Etat les difficultés économiques et sociales rencontrées par les familles monoparentales, les carences inadmissibles en matière de logement et de logements d’urgence. Je le crois sincèrement : tout est imbriqué, tout est lié et notre combat doit aller de la laïcité à l’égalité, du social au sociétal, du monde du travail au monde civil, éducatif, de la sphère publique à la sphère privée.
Les attaques systématiques contre le droit commun, contre les services publics fragilisent en premier lieu la place et le rôle de la femme dans nos sociétés. Lorsque la solidarité n’agit plus, ou moins, pour la prise en charge des personnes âgées, des enfants, des malades, ce sont souvent les femmes qui prennent le relais. Au final, les obstacles pour mener de front vie professionnelle et vie privée s’additionnent au point de pénaliser les femmes dans l’accès au marché du travail, au point de détériorer gravement leurs conditions de vie. Il faut des siècles pour que les femmes gagnent des droits mais il suffit de quelques années pour qu’on les leur retire.
« Insoumise et dévoilée », les forces progressistes et républicaines, les citoyens de nos cités, les forces syndicales, tout le monde doit garder en tête que l’émancipation des femmes, c’est l’émancipation de la société.
A nous d’être vigilants et intangibles car les droits les plus chèrement acquis sont aussi les droits les plus fragiles. Je vous remercie