Violences faites aux femmes : l’électrochoc du procès des viols de Gisèle Pélicot

Cette journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes se déroule dans un contexte particulier : le procès des actes dont a été victime Madame Gisèle Pélicot, qui a eu un retentissement dans la France entière, se poursuit. Quatre mois de procès, des milliers de preuves et 51 accusés : passé l’effroi et la colère, je considère que ce moment est celui, aussi, d’une réflexion collective en matière de violences faites aux femmes.

Avant de continuer, je voudrais parler de Gisèle Pélicot : nous devons retenir son courage et sa force. Son refus du huis clos nous sert toutes et tous et nous oblige. Elle a expliqué vouloir, par ce choix, que la société change. Nous avons le devoir d’honorer son souhait.

Les journées d’audience se déroulent, attestant encore un peu plus chaque jour de l’horreur de ces faits. Il est inutile que je les rappelle ici : la machine infernale mise en place par Dominique Pélicot contre sa femme a été largement disséquée et commentée. Bien sûr, il nous fallait connaître l’horreur de ces faits pour comprendre et, surtout, ne pas détourner le regard. Mon intime conviction, en tant que femme et en tant qu’acteur public luttant pour la fin des inégalités entre les femmes et les hommes,est celle-ci : notre émotion face à ces faits ne doit pas être vaine. Nous devons nous en servir pour œuvrer à la fin, pure et simple, de ces violences. Sans hésitations, sans délai.

Alors que le procès arrive à son terme, je crois qu’il est désormais temps de s’interroger : cette affaire, hors-norme dans son horreur et son ampleur, illustre aussi des mécanismes délétères et un continuum des violences faites aux femmes. A l’heure où j’écris ces lignes, la mobilisation pour cette journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes est toujours aussi vive. Je la salue et l’encourage.

J’ai fait le choix de ne pas m’exprimer dans les premiers jours du procès, parce que je crois en la vertu de laisser la justice faire son travail et de laisser à la victime le soin de choisir le traitement de cette affaire.

C’est aussi toute une famille qui se retrouve meurtrie – des vies brisées, sacrifiées par la perversité d’un homme. Caroline Darian, la fille du couple, se retrouve quant à elle face à sa souffrance : est-elle une autre victime ? Y’en a-t-il d’autres ? Ces interrogations sont écrasantes. Il faut entendre son cri de colère dans son livre, Et j’ai cessé de t’appeler papa (JC Lattès, 2022), pour mesurer et comprendre la déflagration que les agissements de M. Pélicot ont provoqué dans cette famille. Toutes mes pensées vont à eux.

L’ampleur de ces faits ne suffit pas à oblitérer que la violence qu’ils véhiculent, elle, est tristement banale. C’est celle de la capacité à violer une femme, sans aucun égard pour sa condition d’être humain et son droit à l’intégrité. La défense déployée par ces hommes et largement relayée dans l’espace public laisse à penser – j’espère avoir tort – que leur remise en question n’est que partielle : c’est donc « le procès de la  lâcheté », l’expression a été lâchée par Gisèle Pélicot elle-même, le 19 novembre. Il nous faut nous souvenir du constat du Haut Conseil à l’Egalité dans son rapport sur l’état du sexisme en France en 2024 :

« Il apparaît […] que plus l’engagement en faveur des femmes s’exprime dans le débat public, plus, en face, la résistance s’organise. En dépit d’une sensibilité toujours plus grande aux inégalités dans les jeunes générations, les clichés et les stéréotypes sexistes perdurent. […] Comme l’année dernière, 37 % des femmes déclarent avoir vécu au moins une situation de non-consentement , et c’est quasiment une femme sur deux chez les 25-49 ans. Or, seulement 23 % des hommes reconnaissent avoir été l’auteur d’au moins une situation de non‑consentement : ce décalage évoque toujours un manque de prise de conscience notable de la part des hommes et contraste avec la progressive libération de la parole et la dénonciation des violences par les victimes »

Alors, bien sûr, dois-je rappeler que des rapports sains entre femmes et hommes ont toujours existé, et que la lutte contre les violences faites aux femmes ne se fait pas contre les hommes, mais avec eux ? Femmes et hommes pâtissent de ce climat sexiste et réactionnaire. De nombreux hommes souhaitent l’émancipation des femmes et les traitent déjà comme leur égale : il faut désormais mettre au jour nos rôles, à toutes et tous, dans la perpétuation de ces violences. La lutte contre les violences faites aux femmes et contre les inégalités est un combat résolument universel, et cela doit être notre boussole. Sinon, toute lutte se terminerait inévitablement par le dépit.

Le procès dit « des viols de Mazan » connaîtra-t-il le même retentissement que le « procès du viol » de 1978 ? Ce procès historique avait amené à un changement de législation et une modification de la définition juridique du viol : nous devons pour cela saluer le travail acharné de Maître Gisèle Halimi, ardente défenseure des droits des femmes. Le procès des viols de Mazan a remis à l’agenda, politique et médiatique, la question de l’inscription du consentement dans la loi : je ne ferais aucune prophétie sur l’avenir de ces débats, mais je salue ces discussions qui s’alimentent, se perpétuent, nous poussant chacune et chacun à nous questionner. Le débat est toujours louable, la lutte s’en enrichit : la complexité des inégalités entre les femmes et les hommes le rend nécessaire.

En cette journée de lutte, mes pensées vont vers celles et ceux qui travaillent sans relâche pour l’émancipation et pour la protection et l’accompagnement des femmes victimes de violences. Vers celles et ceux, aussi, qui militent pour une intégrité pleine et entière de toutes les femmes et, plus largement, pour honorer l’appel de Madame Pélicot : « Il est grand temps que la société machiste et patriarcale, qui banalise le viol, change, il est temps qu’on change le regard sur le viol ». Ces mots doivent résonner.

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