Ouverture du festival Essenti’Elles 2020

… »Pour les femmes, rien n’a été facile, et rien ne le sera jamais. Nous ne gagnerons pas non plus ce combat sans les hommes, pas plus que nous le gagnerons sans l’Etat. »…

Nous ouvrons aujourd’hui la 8ème édition du Festival Essenti’Elles. 8ème édition déjà, pour un festival qui a trouvé sa place et pris ses marques, à tel point qu’il paraît installé dans notre ville, depuis bien plus longtemps encore.

Je voudrais féliciter tous nos services, nos équipements, tous les invités et intervenants, qui ont contribué au fil des années, à donner de l’ampleur à notre manifestation, à la faire rayonner à l’échelle de la Métropole.

Je profite de l’occasion, pour mettre en valeur le travail des jeunes des EPJ, qui ont créé l’affiche du festival, des affiches sur les violences conjugales, et développé un travail sur le harcèlement de rue. Autre implication à mentionner, celle de la DSAS et la Maison des Associations Boris Vian, à travers des ateliers consacrés aux stéréotypes, dans les relations femmes/hommes.

Le Festival Essenti’Elles touche en moyenne environ 800 personnes, un travail de sensibilisation, dont l’utilité n’échappera à personne, tant notre société est traversée par des inégalités profondes, et une violence sourde inqualifiable. L’accent a été mis cette année, sur les violences faites aux femmes, et notamment les violences conjugales. A la fin de l’année 2019, le décompte macabre des femmes tuées, sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint, a montré l’ampleur de ce fléau de société. 101 victimes un jour de septembre 2019. 24 heures après, le chiffre est passé à 103, puis 105, 110, et ainsi de suite. Les semaines passent, et on a l’impression que le compteur ne s’arrêtera jamais. En 2019, 149 femmes seront ainsi tuées, soit, n’oublions pas ce chiffre, 29 de plus qu’en 2018 !

La violence, elle est dans les mots des proches des victimes. « Elle est morte en sang dans mes bras », dit un voisin venu porter secours. « On aurait pu sauver ma fille en éloignant son conjoint qu’on savait violent », constate une mère inconsolable. D’autres s’en veulent de n’avoir pas vu les coups quotidiens, qu’une victime subissait avant de périr. Cette violence insoutenable est partout.

Le 25 juillet 2019, un mari tuait sa femme, en l’écrasant contre un mur avec sa voiture, alors que la victime se rendait à son travail à Vénissieux. Ignoble, insoutenable. Ces témoignages glaçants, et la brutale cruauté des faits, nous obligent à agir. Le Grenelle contre les violences conjugales lancé, et les mesures gouvernementales qui en ont découlé, ont suscité autant d’attentes que de déception de la part des associations. Comme le résumait Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, je la cite : « Un Grenelle sans argent, ça n’est pas un Grenelle ». Une campagne de communication a été mise en place par le gouvernement, mais au-delà de la sensibilisation, le compte n’y est pas. Entre des mesures qui existaient déjà, et le manque de financement, les réformes gouvernementales ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.

Au sujet des violences faites aux femmes, le Conseil de l’Europe a souligné des lacunes criantes, en France, que les collectivités locales dénoncent depuis des années, comme le manque de dispositifs d’hébergement d’urgence par exemple. En la matière, notre ville, qui possédait déjà un logement d’urgence pour les femmes victimes de violence, est à la pointe du combat. Cette année, notre travail de fond s’est poursuivi, à travers  la convention tripartite passée avec la commune de Saint-Fons, et l’association Viffil-SOS Femmes. Nous avons convenu du principe d’une mise à disposition respective, des logements d’urgence. La mise à l’abri de la victime sur l’un des deux logements, est validée en fonction des risques et de la situation par Viffil, et ou la coordinatrice sociale du commissariat de secteur. Ces deux logements sont dédiés uniquement aux femmes victimes de violence. Ce dispositif vient en complément du travail d’accompagnement mis en place sur le terrain. 25 femmes vénissianes isolées, avec ou sans enfants, victimes de violences, sont ainsi suivies par l’association Viffil-SOS Femmes. Je rappelle que notre ville prend également en charge, le financement d’une intervenante sociale au commissariat, un premier accueil essentiel, pour orienter et rassurer la victime. A la demande conjointe du commissaire et de moi-même, un psychologue a pris ses fonctions au commissariat, afin de renforcer encore les démarches d’accompagnement. Voilà des réponses concrètes, des réponses de terrain de la ville de Vénissieux.

Pour finir sur les recommandations du Conseil de l’Europe, le groupe d’experts pointe du doigt un arsenal juridique, qui peine à reconnaître la spécificité des violences faites aux femmes. La définition du viol dans notre droit, ne repose pas assez sur l’absence d’un consentement libre, et reste liée au recours à la violence, la menace ou la contrainte. La réponse pénale peut s’avérer insuffisante : requalifier le viol en délit d’agressions sexuelles, minimise la gravité du viol, et fait peser sur les victimes, les insuffisances du système judiciaire. De même, l’application de l’ordonnance de protection, qui préconise la mise à l’abri des victimes pendant six mois, varie selon les tribunaux, alors qu’elle fait partie des exigences de la convention d’Istanbul. Ce dispositif civil fait l’objet de 3 000 demandes en France contre 40 000 en Espagne, pays le plus efficace, et le plus déterminé dans sa lutte contre les violences conjugales. Enfin, l’intérêt de l’enfant ne prime pas assez, dans le cadre des droits de visite et de garde, ce qui permet à l’agresseur de maintenir une emprise, sur la femme et la famille.

Le thème des violences conjugales sera abordé pendant le festival, à travers deux temps de débat et échanges, le 6 mars : le matin à la Maison des associations Boris Vian, avec un débat sur les stéréotypes dans les relations amoureuses, et le soir au Théâtre. La table ronde qui aura lieu à 20h au Théâtre, à laquelle participeront l’association VIFFIL, le commissaire de police de Vénissieux et une avocate, sera l’occasion de revenir sur les facteurs et schémas de violences conjugales, mais aussi sur la prise en charge des femmes victimes, et leur possible reconstruction.

Le fil rouge de cette 8ème édition s’imposait, mais le Festival Essenti’Elles ne se réduit pas à une seule dimension. Nous ne parlons pas du droit des femmes, mais des droits des femmes. Ce qui nous intéresse, c’est leur place dans nos sociétés et dans nos villes, dans l’espace privé, professionnel, dans notre espace public, dans la création, etc. Je le rappelle à chaque édition : ce n’est pas le combat des femmes contre les hommes, mais le combat commun des femmes et des hommes de progrès, pour la justice et l’équité sociales, pour un contrat social nouveau, débarrassé des schémas dominant-dominé, et de toute discrimination liée au genre. Le festival Essenti’Elles vise à interpeller sur les droits et luttes des femmes, mais il s’agit également de mettre en lumière les femmes, leurs actions, leurs parcours, talents et engagements, là où elles manquent encore aujourd’hui de visibilité. L’un des axes forts est de promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, dès le plus jeune âge, avec en particulier, des temps de sensibilisation en direction des jeunes : actions en direction des publics scolaires, et des EPJ en particulier, avec tout un travail sur les rapports filles-garçons, et des actions dédiées à la citoyenneté.

L’émancipation des femmes passe aussi, par le renforcement de l’accès des femmes aux loisirs, et notamment à la pratique sportive : il est à noter que le pourcentage de pratiquantes, sur l’ensemble de la ville, est passé de 33% en 2009, à 47% en 2018, grâce notamment à l’action de la Preuve Form’elle, qui a permis le soutien à de nombreux projets de pratiques sportives féminines. La Ville est aussi incitative en direction des clubs sportifs, en les finançant sur des critères encourageant la mixité, pour que les femmes soient mieux représentées dans les instances dirigeantes des clubs notamment.Que peut-on remarquer ? Que lorsque la volonté politique est présente, comme c’est le cas dans notre ville, les lignes bougent. Sur le plan de l’action sociale par exemple, de nombreuses actions sont menées, pour accompagner les femmes fragilisées, dans le cadre de la commission de lutte contre la grande pauvreté, dans le développement de l’information pour l’accès aux droits (guide, écrivain public…). Même volonté et détermination dans l’insertion professionnelle des femmes, avec la mise en place de parcours spécifiques, en relation avec le CIDFF, et les entreprises signataires de la charte de coopération notamment.Dans le monde du travail avec des inégalités salariales injustifiables, dans la culture où les femmes sont sous-représentées (un quart d’entre elles seulement assurent la direction d’un théâtre), dans les conseils d’administration des grandes entreprises, dans la vie publique et politique, partout, des discriminations perdurent, et des verrous continuent de fermer des pans entiers de notre société.

Prenez l’exemple de la réforme des retraites du gouvernement. Les premières victimes seront les personnes, dont les carrières auront été heurtées.

Avec les congés maternité, les temps partiels subis et une plus grande précarité, les femmes seront à n’en pas douter, les plus pénalisées. Se battre aujourd’hui, c’est se battre pour la dignité des femmes de demain.

Notre festival rappelle tous les ans, la nécessité de se rassembler, et souligne en priorité, les sens multiples de cet engagement pour l’égalité hommes-femmes. Le combat du 21ème siècle n’est pas autre chose, que le prolongement des luttes menées et des acquis enregistrés au 19ème siècle, puis tout au long du 20ème. Pour les femmes, rien n’a été facile, et rien ne le sera jamais. Nous ne gagnerons pas non plus ce combat sans les hommes, pas plus que nous le gagnerons sans l’Etat.

Les droits des femmes, c’est le régalien associé aux politiques publiques de proximité, la loi et son application sur tout le territoire, la force des discours fondateurs, renforcée par l’expérience du terrain, du réel. Bref, c’est la volonté de porter ce combat dans son ensemble, et non pas de l’affaiblir avec les politiques d’austérité, qui font tant de mal aux collectivités locales, et aux acteurs associatifs présents au quotidien.

Le Festival Essenti’Elles a toujours mis l’accent sur la création, sur son pouvoir émotionnel, subversif, sur sa capacité à nous toucher collectivement, à nous sensibiliser à des réalités que nous ignorions. Cette 8ème édition permettra de découvrir des rappeuses, avec Pumpkin et KT Gorique, à Bizarre !, l’artiste plasticienne Sandra Lecocq, le travail de la réalisatrice Haifaa Al Mansour, ou encore la poétesse canadienne Emilie Turmel. Avec leurs mots, leurs images, leurs couleurs et leurs univers singuliers, elles nous diront que la femme n’est pas un objet, mais un sujet, à part entière et sur un pied d’égalité.

Je vous souhaite à toutes et à tous, un excellent festival et je vous remercie.

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