Les grandes oubliées de l’Histoire

L’absence de femmes historiennes a largement contribué à l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire.

A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, la Métropole de Lyon propose une série d’initiatives. Dans ce cadre, des conférences sont organisées en partenariat avec le magazine Femmes Ici et Ailleurs. Des temps de sensibilisation et de réflexion, autour de l’égalité Femmes-Hommes  ouverts aux habitantes et habitants de l’agglomération lyonnaise. Lundi en fin de journée, la dernière conférence « Les grandes oubliées de l’Histoire : d’une histoire nationale et internationale qui a effacé les femmes à un présent qui les oublie » accueillait Marianne Thivend enseignante-chercheure à l’Université Lyon 2, membre du Laboratoire de recherches historiques en Rhône-Alpes (LARHRA) ; cofondatrice du master européen MATILDA d’histoire des femmes et du genre, Fadila Mehal écrivaine et réalisatrice, et Florence Montreynaud historienne et féministe. Ci-après l’introduction de Michèle Picard lors de cette soirée d’échanges autour des femmes et de l’Histoire.

Je suis très heureuse d’être parmi vous aujourd’hui pour cette conférence qui clôture notre cycle sur l’égalité femmes-hommes.

Je veux remercier Marianne Thivend, Fadila Mehal et Florence Montreynaud pour leur présence parmi nous ce soir, ainsi que le magazine Femmes Ici et Ailleurs pour nous avoir accompagné dans l‘organisation de l’ensemble des conférences programmées depuis le 2 mars dernier :

  • certaines dédiées uniquement à nos agents
  • d’autres, comme celle-ci, ouverte à tous.

Notre objectif était d’offrir des temps de sensibilisation et de réflexion autour de cette question de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Nous aborderons donc ce soir la place des femmes dans l’Histoire et plus largement dans notre culture commune.

Quand l’équipe de Femmes Ici et Ailleurs nous a proposé ce thème, je l’ai immédiatement retenu car il me semble incontournable quand on s’intéresse au sujet de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Cette question de la place des femmes dans l’Histoire est, en effet, le sujet qui illustre peut-être le mieux et de façon criante le chemin à parcourir pour atteindre l’égalité réelle. Car l’histoire c’est à la fois ce qui s’est passé (et indéniablement les femmes sont présentes), et le récit que l’on en fait. Et c’est là que les femmes sont absentes, oubliées. Dans la tradition historique, il  n’y aurait donc que les hommes qui ont fait l’Histoire ! 

Cet oubli illustre de façon frappante comment les femmes ont toujours été considérées comme des citoyennes de seconde zone, comme absentes au monde, et sont vues,  contrairement aux hommes, comme des objets et non comme des sujets de la marche du Monde.

Quand on voit l’infime place laissée aux femmes dans la façon dont nous est relatée notre Histoire nationale et internationale, on comprend mieux les difficultés qu’elles ont rencontré pour faire entendre leurs voix et donc leurs droits.

Or, comment permettre aux filles de se rêver un destin public, national quand depuis toute petites la seule référence aux femmes dans les livres scolaires serait Jeanne d’Arc ou George Sand, qui ont du « faire semblant d’être des hommes » pour qu’on leur reconnaisse une valeur.

Ou à l’inverse la vierge Marie ou certaines martyres chrétiennes, dont l’existence n’est pas toujours certaine… ou encore, Marianne, symbole républicain mais sans chair ni os. La femme idéale, serait donc celle que l’on ne peut toucher, que l’on ne peut atteindre. Bref, les femmes dans l’Histoire ne peuvent exister vraiment.

Et il est alors évidemment très facile de franchir le pas, et certains le font encore allégrement aujourd’hui, entre cette idée largement véhiculée que les femmes sont absentes ou inexistantes des grands faits historiques à celle de dire « On s’est passé d’elles pendant des millénaires, pourquoi ne pas continuer ainsi ?»

Si 95% du contenu des programmes d’histoire est consacré à l’histoire des hommes, quelles inspirations peuvent-ils fournir aux jeunes filles qui les étudient ? Quel rôle peuvent-elles imaginer jouer dans le futur si elles n’ont personne à qui s’identifier?

Et pourtant elles existent ces femmes inspirantes.

Qui connait Alice Hamilton et sa grande contribution aux questions de santé publique dans les années 1930 ?

Ou Catherine Bernard, poétesse et première femme-dramaturge jouée à la Comédie Française

Ou encore Laure Moulin, grande résistante pendant l’occupation aux côtés de son Frère Jean Moulin mais dont peu de livres d’histoire retracent le parcours : lui seul aura droit à la postérité. 

Les femmes sont d’ailleurs  les grandes oubliées de la lutte contre l’occupant nazi. Seulement six d’entre elles comptent parmi les 1038 Compagnons de la Libération et elles ne représentent que 10% des médaillés de la Résistance. Un manque de reconnaissance injustifié au regard de leur réelle implication.
Toutes ces femmes ont  pourtant bel et bien existé, et ont contribué dans tous les domaines, au même titre que les hommes, à écrire l’Histoire de l’humanité !

L’absence de femmes historiennes a largement contribué à l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire. C’est elles, en accédant aux études et à la recherche en histoire, qui ont contribué à l’écriture de l’histoire des femmes. Et l’on ne peut que se réjouir des publications récentes qui replacent les femmes dans l’Histoire et même la Préhistoire comme l’a mis en évidence la préhistorienne Marylène Patou-Mathis dans son livre « L’homme préhistorique est aussi une femme ».

Il reste évidemment un grand travail d’appropriation de ces parcours de femmes, et d’acculturation de tous et toutes autour de cette idée que femmes et hommes ont contribué à la petite et grande Histoire.

Aussi, on ne peut que se réjouir de voir un public nombreux ce soir venu s’informer et s’interroger sur ce sujet.  

Je vous remercie.

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