Commémoration 8 mai

Journée Nationale de la Résistance

Le moteur de toute chose est d’y croire, de garder l’espoir malgré le contexte, c’est cela Résister.

Vénissieux se souvient … Cette journée de mémoire est l’occasion pour nous d’ouvrir une réflexion sur les valeurs de la Résistance et celles portées par le programme du Conseil national de la Résistance.

A quoi ressemblerait une société sans résistances ? A un bateau ivre, sans gouvernail, ni cap, à une société qui accepterait sa dérive et son naufrage sans manifester la moindre velléité. Dans toute démocratie, les résistances sont saines, ce sont elles qui modifient des trajectoires, ce sont elles qui nous interrogent.

Ne pas céder à l’inéluctable, ne pas se résigner, y croire et vouloir changer le cours des choses, voilà peut-être le socle commun qui définit la nature de toutes les résistances. En clair, il ne s’agit pas de s’opposer pour s’opposer, mais de s’opposer pour construire autre chose, bâtir un autre monde. Ces résistances sont inhérentes à nous comme à tout corps social, car qui pourrait être tout le temps d’accord avec ce qui l’entoure ? Personne.

Ecoutez ces mots de Raymond Aubrac : « Il faut être optimiste, c’est cela l’esprit de résistance. On ne le dit pas assez. Tous les gens qui se sont engagés dans la Résistance, ou avec le général de Gaulle, ce sont des optimistes, des personnes qui ne baissent pas les bras, qui sont persuadées que ce qu’elles vont faire va servir à quelque chose. »  

Le moteur de toute chose est d’y croire, de garder l’espoir malgré le contexte, c’est cela Résister. En France bien sûr, ce verbe ramène à l’occupation et au régime de Vichy. Les années noires d’un pays en pleine déroute face auquel des hommes et des femmes vont se lever. Et il en fallait du courage, des convictions, une dose d’inconscience et de folie pour basculer dans la clandestinité.

A quoi pensent-ils ceux qui s’engagent dès la première heure ? « Notre engagement était un choix individuel qui n’avait rien à voir avec telle ou telle opinion. Il s’est déterminé sur quelque chose de beaucoup plus profond, de plus personnel. », explique Daniel Cordier, ancien secrétaire de Jean Moulin, résistant dès juin 40. Pour d’autres, ce sera le combat de la liberté et une préscience politique qui les feront devenir résistants : De Gaulle, Pierre Brossolette et bien d’autres devinent dès 40 que cette guerre sera longue.

Si la débâcle a bien eu lieu, si une bataille militaire a été perdue, le sort de la guerre n’est pas scellé. Le courage de s’opposer à l’esprit dominant et le courage de dire non à l’oppression, à l’asservissement, posent les premières fondations.

Je crois également qu’il faut insister sur la notion de famille. Il n’y a pas de résistance sans appartenance à un groupe, un réseau, un collectif. La résistance a toujours été un corps vivant, multiple, assemblage d’hommes et de femmes aux parcours et cultures variés. Il y a là l’ouvrier et l’instituteur, le paysan et le marin, l’intellectuel et le manuel, il y a l’esprit républicain qui rassemble, fédère, soude au-delà des appartenances politiques et des catégories sociales. L’acte de résistance fait aussi l’effet d’une initiation, d’un apprentissage et un rite de passage.

Ecoutons à ce propos le philosophe Edgar Morin : « J’avais 20 ans, la vie devant moi, et n’avais pas envie de mourir. Mes amis me poussaient à franchir le pas. Mais ce n’est qu’en entrant dans une organisation de résistants que j’ai appris à devenir résistant, c’est à son contact que j’ai appris à résister ».

Il fallait oser rejoindre les maquis d’Azergues et d’ailleurs. Oser mettre en péril sa vie, celle de ses proches, oser changer d’identité pour ne pas être démasqué et se méfier de tout, même de ses voisins ou de ses amis. Il fallait oser quitter sa famille, sa région, son pays, guidé par l’idéal de la liberté et de l’insoumission. C’était quitte ou double. Au moindre faux pas, la sanction tombait : justice expéditive, emprisonnement, tortures, représailles contre les proches, condamnation à mort, exécutions sommaires ou encore la déportation vers les camps de la mort.

Au cœur de cette grande famille, les femmes ont joué un rôle prépondérant, tant dans les actes de sabotage que dans les combats. Lucie Aubrac, Lise London, Olga Bancic, Berthie Albrecht, Danielle Casanova, Elsa Triolet, Cécile Rol-Tanguy, femmes du Nord, femmes basques, corses, bretonnes, femmes immigrées, leur rôle dans la lente marche vers la libération de notre pays ne peut être dissocié de celui des hommes.

Une commémoration sert aussi à mettre en perspective les événements et à réhabiliter la part active des différents protagonistes. L’engagement précoce des femmes dans la résistance, à l’image de la communiste Danielle Casanova, est incontestable.

Dans le Nord, premier territoire touché par l’invasion allemande, les femmes sont, au départ, majoritaires (en 1940, 23% des femmes du Nord-Pas-de-Calais sont résistantes, contre 13% des hommes). Elles seront suivies par d’autres dans des « stratégies d’émancipation », comme Berty Albrecht, l’une des fondatrices de Combat, qui était dans les années 30 militante féministe et surintendante d’usine. Aucune femme pourtant ne figure au CNR et 6 seulement sur 1061 faisaient partie des compagnons de la libération. Dans les manuels scolaires, elles ont été comme effacées. Beaucoup de résistants pour quelques résistantes seulement. Jusqu’à la fin des années 70, les résistantes ne représentaient en moyenne que 2 à 3% des noms cités dans les ouvrages consacrés à la Libération. A titre d’exemple, dans certains manuels d’histoire en 2019, les femmes y apparaissent dans six pages sur 277 !

Sur près de 3 500 personnages répertoriés dans les manuels scolaires, toutes disciplines confondues, on décompte une femme pour cinq hommes, selon plusieurs études. Les sous-représentations des femmes et la persistance des représentations stéréotypées sont manifestes.

C’est comme si le récit de l’histoire en général et celui de la résistance en particulier était uniquement masculin. La mémoire qui nous en reste le deviendrait ainsi tout autant. Il y a là un travail en profondeur à accomplir. Il ne s’agit pas de comparer l’héroïsme des hommes et des femmes, mais de rendre à celles qui se sont engagées dans la résistance la place qui leur est due dans le récit national. Des anonymes à celles qui sont restées dans la mémoire collective.

Ce récit national, il doit aussi faire une place aux résistants d’origine étrangère des FTP MOI de Manouchian, du groupe Carmagnole-Liberté à Lyon, de la 35ème Brigade à Toulouse, de la section juive de la MOI, de la branche Liberté à Grenoble, des tirailleurs sénégalais, des espagnols, maghrébins, polonais, et j’en oublie.

L’idée circule de faire entrer au Panthéon Missak et Mélinée Manouchian, immigrés arméniens devenus figures de la Résistance. Je soutiens cette initiative car elle montrerait que la France s’est construite, et ici libérée, à partir de sa diversité et que son identité et ses racines sont plurielles, contrairement à ce que l’extrême droite veut nous faire croire.   

27 mai 2023-27 mai 1943. Il y a 80 ans, dans l’appartement de René Corbin, au premier étage du 48 rue du Four à Paris, naissait notre modèle social français.

Cette journée de mémoire est l’occasion pour nous d’ouvrir une réflexion sur les valeurs de la Résistance et celles portées par le programme du Conseil national de la Résistance.

Ce 27 mai 43, la lutte des hommes et des femmes pour la libération de la France va se transformer en un combat politique pour imaginer la France de l’après-Vichy et replacer en son coeur le chemin de la République.

Ce 27 mai, ce sont ces hommes qui feront l’Histoire, et non l’histoire qui les fera plier. Jean Moulin, délégué du Général De Gaulle, et ses deux collaborateurs, Pierre Meunier et Robert Chambeiron, ouvrent une réunion qui va changer le cours de notre pays.

Ils sont entourés des huit grands mouvements de résistance, des deux grands syndicats, la CGT et de la CFTC, et des représentants de six partis politiques : le PC, la SFIO, les Radicaux, les démocrates-chrétiens, l’Alliance démocratique, la Fédération républicaine.

19 personnes autour d’une table, gauche et droite confondues. 19 personnes activement recherchées par la France de Pétain, par la France des milices de Pucheu, par la France qui, en cédant à l’occupant, s’est reniée et a bafoué ses principes universels : 1789, 1848, 1936. L’intelligence du CNR fut notre chance. Son héritage circule encore parmi nous, de la sécurité sociale au système de retraites par répartition, et bien sûr, de la renaissance du lien indéfectible entre la France et le pacte Républicain.

Et c’est cet héritage que nous devons défendre, contre l’individualisme et les intérêts privés, pour nos acquis que les politiques libérales attaquent, comme la réforme des retraites vient tristement de nous le rappeler. 

Je voudrais finir cette intervention par une parole de proximité, une parole prévenante, celle de Charles Jeannin, résistant et rescapé des camps. A Vénissieux plus qu’ailleurs, on savait à quel point la transmission lui était devenue nécessaire, vitale, comme une obligation, un devoir pour éclairer les jeunes générations, j’ouvre les guillemets : « Mon rôle n’est pas de dire : « quand j’ai été arrêté, je pesais 62 kilos, j’ai été libéré, je n’en pesais plus que 32, j’ai eu mal, j’ai souffert… » Mon rôle, c’est de vous prémunir contre l’avenir, vous dire ce que j’ai enduré, non pas pour me plaindre, mais pour vous protéger ». Je vous remercie.

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