Journée Nationale de la Résistance

A toute résistance, il y a un socle commun : refuser l’inéluctable, ne pas admettre la fatalité, n’accepter aucune compromission.

Retrouvez le discours de Michèle PICARD, Maire de Vénissieux, Vice-présidente de la Métropole de Lyon, à l’occasion de la commémoration de la Journée Nationale de la Résistance. Un moment annuel fort, pour se souvenir de toutes celles et ceux qui se sont battues pour la liberté, contre l’obscurantisme.

La collection « Ma nuit au musée », originale et singulière, propose à un écrivain de passer une nuit seul dans un lieu de culture, de création ou de mémoire. La romancière Ananda Devi a fait le choix de s’immerger dans le silence chargé d’histoire et de douleurs de la prison de Montluc.

Dans un texte puissant contre l’oubli, elle est allée à la rencontre des voix disparues, des résistants arrêtés, torturés, exécutés ou déportés. 80 ans après, elle ne croise pas une résistance, mais plusieurs résistances. Construite en 1921, la prison de Montluc devient d’abord une prison de droit commun avant d’être un lieu de détention politique où sont enfermés communistes, espions, déserteurs.

Le régime de Vichy y fait incarcérer les résistants français. Puis après la réquisition allemande en 1943, les juifs qui seront déportés vers les camps de concentration nazis. C’est de ce lieu que partiront les enfants d’Izieu.

A la fin de la guerre, les allemands y sont internés.

La décolonisation va ensuite nourrir les arrestations politiques avec les objecteurs de conscience, les opposants à la guerre d’Indochine. Dont de nombreux membres du parti communiste. De 1959 à 1961, Algériens et Français contre la guerre d’Algérie y sont à leur tour internés. Parmi les condamnés à mort algériens, onze seront guillotinés à Montluc.

Dans ce lieu de mémoire où toutes les formes de résistance ont été enfermées, torturées, déportées ou assassinées, l’écrivaine décrit l’oppression des lieux, je la cite. « Les cellules si étroites, dit-elle, si minuscules, qu’on a du mal à imaginer y être enfermé, même pour un jour. Marchant ici, on plonge dans une boue mémorielle. Tout contribue à cette sensation : les gris, les ombres, le vide ».

Plus loin, la romancière regarde les visages des enfants d’Izieu sur une photo, puis écrit. « Une explosion de sourires, de rires, on sent que certains sont même au bord du fou rire, les copains à l’arrière se tenant par les épaules, les fillettes en jupette, mais non moins rieuses, encore un instant, captés là, juste avant, juste avant, instant d’irrésistible joyeuseté, on ne peut que sourire en les regardant, ou plutôt on ne pourrait que sourire si on ne savait pas ».

Et de poursuivre, alors que Klaus Barbie ordonnera leur déportation :

« Alors murs, qu’avez-vous entendu cette nuit-là ? Le chant estropié de l’enfance ? Des pleurs et des gémissements, ou le silence de la résignation ?

Sentez-vous encore ce petit corps tassé contre vous, une petite main dont la paume s’est imprimée sur votre froide surface ?».

A Montluc toujours, onze Algériens détenus pendant la guerre d’Algérie furent guillotinés dans les années 60.

Détenus politiques, arrêtés pour leurs convictions ou leurs actions pendant la guerre d’indépendance, eux aussi illustrent la Résistance. La résistance contre la colonisation. Contre la soumission. Et contre la subordination d’une culture par une autre, par la domination d’un peuple par un autre.

L’autrice raconte les cris perdus dans la nuit. Les douleurs de la torture. Et le paradoxe de l’histoire de notre pays aux sources d’une criante contradiction.

J’ouvre les guillemets : « Nerf de bœuf, électrocution, privation d’eau et de nourriture. Dehil, emmené à l’échafaud, est déjà massacré.

Certains résistants de la seconde guerre mondiale qui ont été emprisonnés ici, puis, à la Libération, célébrés comme des exemples de la France qui ne ploie pas seront de nouveau emprisonnés à Montluc comme communistes, pacifistes objecteurs de conscience contre la guerre d’Indochine ou résistants contre la guerre d’Algérie. Ils croisent ainsi leurs propres pas, parfois dans les mêmes cellules. L’histoire est une roue broyeuse. »

Je recommande vivement ce livre « La nuit s’ajoute à la nuit ». Il interroge nos résistances sous toutes ses formes à l’aune du passé.

Ananda Devi écrit cette phrase très puissante au cœur de son livre, je la cite. « Ce lieu est une fissure dans le ventre de la ville. Vers où mène-t-elle ? ».

A sa manière, ce texte fait œuvre de résistance, contre l’oubli, contre l’effacement des opprimés et des voix disparues.

Il montre à quel point les résistances sont embryonnaires, multiples et protéiformes.

A toute résistance, il y a un socle commun : refuser l’inéluctable, ne pas admettre la fatalité, n’accepter aucune compromission.

Mais l’acte de résistance peut emprunter des chemins différents. Il peut être une opposition politique, un texte, un tract. Une appartenance à un réseau, à un maquis, une opération de sabotage. Ou encore l’approvisionnement de combattants, l’hébergement de personnes traquées et recherchées.

Il n’existe pas de profil type de résistant en France en 1940.

Beaucoup sont issus des classes populaires et ouvrières.

Les syndicalistes, communistes, francs-maçons et socialistes sont les premières cibles du régime de Vichy et des milices de Pucheu.

A Paris, des premiers réseaux se constituent parmi les étudiants ou les intellectuels, comme l’organisation du Musée de l’Homme. Des pionniers de la Résistance se recrutent également dans des milieux de droite : notables, médecins, hauts fonctionnaires. Dans le Nord et la zone occupée, l’hostilité à l’occupation allemande est très marquée.

Des structures se mettent donc en place très rapidement pour exfiltrer en Angleterre des prisonniers de guerre ou des soldats alliés bloqués dans la poche de Dunkerque.

Dans le Sud et la zone libre, l’organisation de la résistance y est plus tardive. Même si de petites cellules se créent ici ou là.

Dès 1941, l’ensemble des forces communistes bascule dans la Résistance. Pour être plus efficaces, ces mouvements se rapprochent les uns des autres. Ceux de la zone Sud fusionnant au sein des Mouvements Unis de Résistance.

La loi de septembre 42 sur le service du travail obligatoire va faire basculer beaucoup de jeunes dans l’opposition au régime de Vichy. Et alimenter la Résistance dans les maquis.

Elle franchira un cap quand Jean Moulin parviendra à l’unifier.

Au terme de ces étapes successives s’ébauche ainsi un gouvernement clandestin, bras armé de la libération du pays et laboratoire de notre modèle social français. Le CNR, conseil national de résistance.

C’est lui qui dessinera l’après-guerre de la France et c’est au cœur de ses avancées progressistes que nous vivons encore : plan complet de sécurité sociale, établissement d’une démocratie plus large, nationalisation des grands moyens de production, reconstitution d’un syndicalisme indépendant, droit au travail et droit au repos, réajustement des salaires, etc…

Il était temps aussi d’éclairer et réhabiliter le rôle des femmes et des français immigrés dans la libération de La France.

Les entrées au Panthéon ces dernières années de Germaine Tillion, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, de Missak et Mélinée Manouchian ouvrent les chapitres manquants ou tronqués à notre récit collectif.

Au sein des FTP-MOI, des Espagnols, Italiens, Polonais, Yougoslaves, Allemands, Roumains, Arméniens, Bulgares, Hongrois, immigrés ashkénazes et apatrides étaient réunis pour le combat d’une France libre.

Ces étrangers viennent donc se battre sur le sol français, tout comme les tirailleurs sénégalais, marocains, tunisiens et algériens, qui paieront un très lourd tribut pour la défense de la liberté et la renaissance la France républicaine.

En pleine lumière ou en coulisses, dans les maquis ou à Paris, les femmes, elles aussi, ont lutté avec âpreté, et mené un double combat: contre l’occupant et contre les lois scélérates et humiliantes sur la condition féminine adoptées par Vichy.

Lucie Aubrac, Lise London, Olga Bancic, Berthie Albrecht, Danielle Casanova, Elsa Triolet, Cécile Rol-Tanguy, femmes du Nord, femmes basques, corses, bretonnes, femmes immigrées, leur rôle ne peut être dissocié de celui des hommes, et ce n’est pas un hasard si notre prochaine Maison des Mémoires s’appellera Maison des Mémoires Olga Bancic.

Notre équipement aura pour vocation, dans notre société si morcelée, de redonner du sens et une unité à toutes les mémoires, toutes les racines qui ont fait et font Vénissieux.

Nous nous souvenons que notre ville, pendant la seconde guerre mondiale, a porté une lueur d’espoir avec l’exfiltration de 108 enfants juifs et des centaines d’adultes du camp d’internement de Bac Ky, au 52 avenue de la République.

On ne mesure pas aujourd’hui encore la portée de cet acte de sauvetage, que Serge Klarsfeld décrit lui-même comme « l’action collective de sauvetage d’enfants juifs en France la plus exceptionnelle de la guerre dans un camp».

Se souvenir de la Résistance est une condition nécessaire, mais est-elle suffisante dans le monde de chaos qui nous entoure ?

Les principes de solidarité et de justice sociale s’étiolent. L’état de droit fait aussi l’objet d’une remise en cause aussi inédite que dangereuse. Les démocraties vacillent. Les discours de l’extrême droite, en France comme en Europe, gagnent du terrain, dans la division et le rejet de l’autre.

La souveraineté des Etats et le droit international cèdent le pas à la loi du plus fort.

Des chimères d’empire et de conquêtes territoriales renaissent, des guerres épouvantables massacrent des populations civiles.

C’est du contenu et de la force de nos résistances actuelles dont sera fait le monde de demain.

Je laisse le mot de la fin à Ananda Devi. Je la cite : « Et toujours, la question se pose : Quel serait mon choix ? Que ferions-nous, à cet instant de bifurcation ? Quel est notre seuil de tolérance ? ».

Cette question, aujourd’hui plus que jamais, doit nous interpeller et réveiller nos citoyennetés.

Je vous remercie. 

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