Journée de la Paix

Vendredi 20 septembre 2013 – « … La paix n’est jamais gravée dans le marbre. La paix est une quête perpétuelle, un cheminement au quotidien, une aspiration des peuples, quelles que soient leurs cultures, à vivre en bonne intelligence, à vivre ensemble, à s’enrichir, justement, au contact des différences… »

Vendredi 20 septembre 2013

Retrouvez l’intervention de Michèle Picard, à l’occasion de la Journée de la Paix.

La paix n’est jamais gravée dans le marbre. La paix est une quête perpétuelle, un cheminement au quotidien, une aspiration des peuples, quelles que soient leurs cultures, à vivre en bonne intelligence, à vivre ensemble, à s’enrichir, justement, au contact des différences.

Au 20ème siècle, à deux reprises, le Vieux Continent s’est embrasé, entraînant le monde et des générations entières dans une tragédie et des massacres sans précédent. Depuis presque 70 ans, ce qui est court à l’échelle de l’histoire, la France n’a pas connu de combats sur son sol. Mais il suffit de regarder au-delà de nos frontières, pour comprendre que la guerre continue de tuer des civils, des innocents et des enfants. Elle a même frappé au cœur du Vieux Continent, que l’on aurait pu croire immunisé, lors de l’éclatement de la Yougoslavie dans les années 90. Et puis bien sûr, cet été a apporté son lot d’horreur, avec un Moyen Orient au bord du gouffre et une guerre civile en Syrie ignoble. L’utilisation du gaz sarin contre des populations civiles, dans la banlieue de Damas, nous rappelle que les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, que le recours aux armes chimiques sont bien réels, dans une escalade de la violence que cette journée de la paix doit dénoncer, haut et fort. Le Moyen Orient attire notre attention, mais les conflits armés touchent tous les continents : Birmanie, Somalie, Afghanistan, Pakistan, au Darfour, aux Philippines, dans le Sud de la Thaïlande, dans le delta du Niger, au Mali, en Colombie, contre les narcotrafiquants au Mexique, des hommes, des femmes, des enfants meurent dans le cadre de conflits religieux, de conflits économiques ou géopolitiques. Bref, le monde n’est pas en paix, au contraire même, aujourd’hui en 2013, les tensions sont vives et les radicalités montent, dans une spirale de la violence très inquiétante.

Œuvrer pour la paix est un geste capital, un geste d’espoir, un geste qui fait le pari de l’intelligence contre la montée des intolérances. Nous devons l’avoir en tête, non pas seulement une journée par an, à l’occasion de cette manifestation internationale pour la paix, mais tous les jours, l’actualité quotidienne se charge de nous le rappeler ! Œuvrer pour la paix, c’est semer. Semer des connaissances auprès des jeunes générations, et transmettre l’histoire, dans sa globalité et dans sa complexité, pour mieux appréhender le présent, et le monde qui nous entoure. Raymond Aubrac, Stéphane Hessel, Germaine Tillion, récemment disparus, et dont les mots nous manquent déjà si cruellement, ont œuvré toute leur vie pour donner un sens et un écho, une représentation de ce qu’est une guerre aux enfants, écoliers, et aussi aux adultes. Ce travail pédagogique, d’éducation, dans lequel l’école joue un rôle central, nous devons, chaque citoyen que nous sommes, l’étendre, le prolonger, lui donner une suite. C’est ce que fait si bien le comité de Vénissieux du Mouvement de la paix, et je remercie sa présidente, Arlette Cavillon, pour sa formidable abnégation, en travaillant avec les EPJ, avec le BIJ, ou encore cette année, avec le centre social du Moulin à Vent. Sans oublier la participation du cinéma Gérard-Philipe, pour sa programmation spéciale mercredi dernier. Expo, atelier, films, conférences, le canal du savoir se prête à tous les supports (images, photos, textes, prises de paroles), pour toucher, informer et sensibiliser les jeunes générations notamment. Les commémorations des grandes dates de notre histoire à Vénissieux, auxquelles j’ai convié les jeunes du Conseil Municipal Enfants, s’inscrivent dans cette grande chaîne de la transmission. Il ne s’agit pas de donner une leçon d’histoire aux générations qui nous succéderont, mais de susciter leur éveil, d’ouvrir leurs consciences, de stimuler leurs curiosités.

Œuvrer pour la paix, c’est aussi s’engager contre les injustices sociales, contre l’exploitation de l’homme, contre la spoliation des ressources et des richesses, contre des systèmes économiques qui appauvrissent les populations, à l’image du libéralisme actuel. Les guerres ne naissent pas du jour au lendemain, elles prennent forme dans ces germes, que je viens de citer, et que l’indifférence du plus grand nombre laisse croître. Elles naissent dans les désarrois qui alimentent les replis identitaires, les replis culturels, les replis nationalistes. Elles naissent dans le rejet de l’autre, dans l’intolérance, puis dans la haine irraisonnée. C’est l’antisémitisme, c’est l’islamophobie, c’est l’homophobie, c’est la xénophobie, à savoir la négation pure et simple de la différence. Je parlais d’engagement pour la paix à l’instant, mais cet engagement n’est pas uniforme, engagement de la personne, engagement dans la création. Nous avons eu la chance de recevoir, lors de la journée internationale des femmes en 2012, Marguerite Barankitse. En pleine guerre civile au Burundi en 1993, cette femme de bien, cette femme de caractère, va être témoin d’un massacre de 72 personnes. Un réflexe de vie va la guider et lui permettre de sauver de cette barbarie 25 enfants. Ce point d’origine est aussi le point de départ d’un espoir : celui de parvenir par l’éducation, par l’accès aux connaissances et aux soins, par l’enfance, à apprendre à revivre ensemble, à réconcilier hutus et tutsis, à recréer les liens multiethniques.

De ces 25 enfants enlevés à une mort promise, Marguerite Barankitse va construire « une éducation à la paix ». Dès 1994, elle crée la Maison Shalom à Ruyigi, destinée à accueillir et à aider les orphelins de la guerre et du sida, de quelques ethnies qu’ils soient. Depuis la fin de la guerre en 2005, la maison Shalom, rebaptisée Cité des Anges, s’est développée avec un centre de protection maternelle et infantile, un hôpital, et une école d’infirmiers. Trois autres centres de ce genre ont vu le jour depuis au Burundi. Et deux autres surnoms se sont ajoutés au nom de Marguerite Barankitse : « Mère Térésa africaine » pour la dévotion, « femme aux 10 000 enfants » pour l’éducation. La Cité des Anges est devenue aujourd’hui un espace culturel, composé d’une bibliothèque, d’ateliers artisanaux, d’initiation et de formation aux technologies multimédia. C’est plus qu’un message d’espoir, et je crois que tous ceux qui ont rencontré Marguerite Barankitse, ici à Vénissieux, ne sont pas prêts de l’oublier, c’est la force de croire à l’intelligence de l’homme et à la protection de l’enfance, qu’elle nous a inculquée. Un îlot d’humanité, quand tant d’enfants à travers le monde subissent le pire et l’infamie. Viols, violences sexuelles, enlèvement, mutilation et utilisation d’enfants dans le cadre d’attentats suicides ou de combats armés. A titre d’exemple, près de 200 millions de filles vivent dans des États en conflit, et l’on estime à 30 % le nombre de filles enrôlées dans les armées, sur les 300 000 enfants soldats dans le monde. Elles sont devenues les otages et la monnaie d’échanges des factions. Enlevées de force, humiliées, séquestrées, brutalisées, violées, des témoignages effarants et récurrents décrivent leurs conditions d’esclaves domestiques et d’esclaves sexuelles, la négation de leur être et de leur corps. Non, décidément, le monde n’est pas en paix.

J’aimerais finir cette intervention en vous signalant un projet artistique, au croisement de la mémoire et de la vie. L’an prochain, nous allons marquer les 20 ans du génocide des Tutsi au Rwanda, l’un des plus violents de ces dernières années. Pour graver dans la mémoire collective l’horreur de ce carnage (près d’un million Rwandais tués, essentiellement des Tutsi, en 3 mois !) le plasticien Bruce Clark a décidé de redonner une présence aux disparus. Il s’agit de peindre des hommes, des femmes et des enfants, debout et dignes, sur l’extérieur des lieux de mémoire. Le 7 avril 2014, les figures, plus grandes que nature, (jusqu’à 7 mètres de hauteur), verront le jour sur les lieux des massacres, mais aussi sur la Place des Nations à Genève, la Route de l’esclave au Bénin, ou encore au Parlement européen à Bruxelles. Cette opération crée un lien entre les victimes et les survivants, entre une terre meurtrie et une terre en paix. « Les hommes debout », c’est le nom de cette belle initiative, mais c’est aussi la posture que chacun doit adopter, pour défendre le bien de l’homme le plus précieux : vivre ensemble, vivre en paix.

Je vous remercie.

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