Intervention de Michèle PICARD sur le rapport N°2 « AFFAIRES CULTURELLES – Équipement polyvalent Pyramide. Dénomination. »
Depuis le début du projet, on l’a longtemps appelé l’équipement polyvalent Pyramide, à tel point que c’en serait presque devenu son identité. Ce n’est pas le cas car cet équipement va désormais porter un nom, celui d’une femme : Annie Steiner, dont sa fille vient de nous donner son accord. Il y a des parallèles entre Germaine Tillion, figure de la résistance et ethnologue, et Annie Steiner. Les deux femmes sont anticolonialistes, et Annie Steiner, algérienne d’origine française, fille de pieds-noirs, va commencer sa vie professionnelle dans les centres sociaux créés par Germaine Tillion.
Sa mission est d’apporter une assistance médicale et d’alphabétiser la population, mais c’est aussi là qu’elle mesure la pauvreté et la misère des Algériens et prend conscience de l’asservissement et de l’abjection de la colonisation. Son engagement est total pour l’indépendance de l’Algérie. Peu de temps après la Toussaint Rouge, elle entre en contact avec des militants du FLN, en devient son agent de liaison en transportant des lettres qui ont permis un rapprochement entre le FLN et le Parti Communiste Algérien.
La suite est un long parcours d’arrestation, dès 1956, et d’emprisonnements. D’abord à la prison de Barberousse, où trois militants nationalistes sont guillotinés, puis à Maison-Carrée, où elle côtoie des prisonnières de droit commun, et enfin, après avoir dénoncé les conditions de détention, à la prison disciplinaire à Blida, où il lui est interdit de sortir de sa cellule. Envoyée en France, elle passera par les prisons de Paris, Rennes, Pau avant d’être libérée en 1961. Après avoir perdu la garde de ses enfants, exilés en Suisse avec leur père, Annie Steiner choisit de retourner en Algérie dont elle adopte la nationalité à l’indépendance. Son engagement auprès du FLN est selon ses propres propos inévitable car, dit-elle, « elle n’a jamais pensé qu’elle aurait pu vivre autrement ».
Son exposition à la misère du peuple algérien sous l’empire colonial, son intérêt pour la politique internationale à l’occasion de la fin des protectorats français en Tunisie et au Maroc ont forgé ses convictions et sa révolte contre tout système dominant. Elle est allée au bout de son idéal, un idéal auquel elle a toujours cru malgré un parcours âpre qui aurait pu lui faire courber l’échine. Ce ne fut jamais le cas.
Il n’aura échappé à personne que les dernières dénominations de nos équipements et espaces publics portent le nom de femmes. Flora Tristan, Simone Veil, Frida Kahlo, Lili Garel, Anne Sylvestre, Katia Krafft, et bientôt Madeleine Bres, qui figure à l’ordre du jour de ce conseil. C’est un choix délibéré, non pas pour répartir équitablement le nom d’hommes et de femmes, mais pour combler un tant soit peu l’immense retard des patronymes féminins par rapport aux personnalités masculines. En moyenne en France, sur 33 % de voies, rues, places et autres espaces publics portant des noms de personnalités, seuls 6 % sont celui d’une femme. C’est dire si la marge de réajustement est immense.
Je vous remercie.